« L’ennemi est bête ; il croit que c’est moi l’ennemi, alors que c’est lui ! »
Le 30 Mai, tandis que les Mamans étaient à la Fête et qu’à La Charité sur Loire se déroulait le VIème Festival du Mot, au Café des Phares, comme d’habitude, on a procédé au traditionnel show hebdomadaire de l’éloquence, centré cette fois sur une boutade du regretté Pierre Desproges : « L’ennemi est bête ; il croit que c’est moi l’ennemi, alors que c’est lui ! », que Daniel Ramirez a choisi et animé comme sujet de réflexion philosophique du jour.
Que vient y faire la bêtise si les animaux ne sont pas en mesure d’être bêtes au point de s’exécrer jusqu’à réduire leurs congénères à l’insignifiance ? Juste pour valider l’antagonisme sensé/insensé ? Concédons que l’imbécile est borné mais, il est prouvé aussi que la bêtise est sans limites et qu’elle n’épargne personne ; c’est donc une crasse ânerie de faire croire que c’est l’autre qui est sot s’il s’agit d’un ennemi.
Mais c’est de l’humour !!!
Ah, voyons ! « La phrase se rapporte aux questions que l’on se pose, pour des tas de raisons », élucida l’auteur du thème à débattre, ce à quoi quelqu’un a ajouté qu’il « s’agissait d’un problème de logique dont il fallait résoudre la contradiction », un autre qu’« ‘ennemi’ ne caractérise pas des personnes mais leurs relations », l’animateur y ajoutant le fait que « les ennemis de mes ennemis sont mes amis ».
La première polémique surgit lorsqu’il a été question d’étymologie, « l’âme » se trouvant au centre d’une controverse qui, pour les uns était affectée par le préfixe « ‘en/in’ qui la niait faisant du sujet un ennemi », pour d’autres « un adversaire (‘ad –vers’), qui prive autrui de son âme, pour lui nuire », « une névrose du pouvoir » reposant sur « une subtilité logique ‘de l’alter ego’ qui explique pourquoi on ne s’entend pas ». Attribuée à François Mitterrand, surgit alors la prière de Guillaume d’Orange « mon Dieu, gardez-moi de mes amis ; de mes ennemis, je m’en charge », ainsi que « la projection sur l’autre de toute sorte de phantasmes » et de « l’ennemi qui n’est ennemi que de lui-même, la guerre n’étant que la continuation de la politique par des moyens différents », alors que « du point de vue psychanalytique il n’y a pas de problème ; juste un jeu de miroirs que Freud appelle la paranoïa », le tout suivi de « ‘l’opinion favorable’ de Hegel à ‘une bonne guerre’ », au sujet de laquelle « la pensée chinoise a posé des bases ludiques, comme le jeu de ‘go’ et du ‘judo’, ou le détournement de la force de l’adversaire pour s’opposer à lui », et dans les démocraties actuelles « le besoin d’un ennemi afin de renforcer sa propre cohésion et identité », jusqu’au crucial : « quel est l’ennemi de la pensée ? ».
Vint ensuite « la phase paranoïde par laquelle passe chaque humain, chez lequel l’amour côtoie la haine », « le regard qui désigne l’ennemi », « la part du mystère dans un tel antagonisme », « la guerre civile d’Espagne et son cortège d’inimitiés », « le lion qui veut manger la gazelle », et le « je suis bête si j’ignore être mon pire ennemi », « l’enfer c’est les autres », « la compétition pour des avantages au lieu de se partager les biens » ainsi que « l’hospitalité », plus la question du criminologiste « à qui profite le crime ».
Beaucoup d’effervescence verbale pour rien. D’un modique constat d’idiotie dont les affects débordent, nous sommes passés à la guerre ouverte, un domaine de l’incertitude que Clausewitz compara à un simple jeu de cartes. A partir d’une pure auto-accusation de cour d’école basée sur « c’est lui qui dit qui est », nous nous sommes appesantis sur une élémentaire règle de trois dénouée de sens car il lui manque l’inconnue ; une tautologie qui ferait braire de bon cœur l’âne auquel le muletier répéterait une pareille fadaise. La dénonciation de la bêtise n’empêche pas de s’y fourrer serinant la même rengaine ; s’y enfoncer consciemment est un luxe, sinon une volupté, et de ce point de vue nous fûmes gâtés passant quatre-vingt-dix minutes à l’expérimenter. Et pourtant, si la sottise nous empêche de comprendre, la stupidité, elle entend de travers. C’est clair que l’on ne combat pas son ennemi en priant pour sa santé et que si le chat vit en harmonie avec la souris il n’y a pas de fromage qui tienne mais, qu’est-ce que l’« Ennemi » ? Le temps, comme le suggère Baudelaire dans le plus beau poème des Fleurs du Mal ? Ou le soleil, ou l’alcool, ou le tabac, ou le chômage, ou la connerie, ou le Malin ? « L’Homme qui n’a pas d’ennemis est un bourricot », affirme un proverbe Kabyle, mettant l’accent sur le côté funeste de la passivité et soutenant que, pour être responsable, on doit faire face affrontant le regard de l’autre en le dévisageant.
Soyons honnêtes. Le noyau de la plupart de ce qui a été écrit ou dit sur la chose philosophique n’est pas faux mais peut néanmoins se trouver dépourvu de sens, ce qui n’est pertinent que pour celui qui le reconnaît. Dans le domaine métaphysique, Occam nous a mis en garde contre l’utilisation sans nécessité de différentes entités, et Kant, à l’aide du même type de rasoir, nous a avertis de l’inconvénient d’accorder des principes moraux à ce qui n’en requiert pas. Or, nous avons donné corps au ridicule, voulant prêter un sens au non-sens propre du comique, le sel et le poivre de nos modes de communication. L’humour se caractérise par un double jeu, un double langage que peut-être les philosophes, ayant les solutions de tout par-devers soi, ont du mal à discerner, mais puisque l’on n’a pas fini de dégoiser sur « la bêtise de l’ennemi », je ne résiste pas à rendre public un conseil tactiquement misanthropique glané dans un « Manuel d’instruction militaire » :
Q :- Que faire lorsqu’un soldat Belge vous envoie une grenade ?
R :- La dégoupiller et la lui renvoyer.
Carlos Gravito