Débat du 13 juin 2010 : « La dignité », à l’occasion des 50ans d’Amnesty International, animé par Pascal Hardy.

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Posted on 20th septembre 2010 by Cremilde in Comptes-Rendus

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RETOUR SUR LA DIGNITE

Un débat organisé récemment au café des Phares avait pour sujet la dignité, thème retenu pour la campagne du 50e anniversaire d’Amnesty International, et prétexte à ce débat. La dignité est en effet une notion centrale pour une association qui lutte pour le respect des droits humains. Rien d’abstrait dans tout cela, bien au contraire, mais un travail quotidien pour la dignité d’opprimés, de faibles, ou de victimes d’injustices. Mes réflexions après ce débat tournent autour de trois sujets : ce qui constitue la dignité, l’idée de « l’autre » comme « semblable différent », et l’interrogation sur l’indigne.

Constituer la dignité

Les premières traces de la notion de dignité que j’ai retrouvées dans la littérature datent de Cicéron, qui note que la correspondance entre les droits individuels et les droits collectifs implique une responsabilité mutuelle. Il trace ainsi une ligne que suivra ensuite Rousseau en axant sa définition autour des droits sociaux. Ainsi de la liberté, ajouterais-je, qui confère à la dignité sa dimension d’identité pour l’individu et sa dimension de sens pour ses actes.

 Une autre ligne est tracée par Pic de la Mirandole, qui voit l’homme comme la seule créature ayant  la liberté de se « finir » elle-même, ce qui fonde un humanisme et réfute l’idée de perfection divine. Cette intuition traversera les siècles pour en arriver à l’idée moderne que chaque homme est lié à son humanité, qu’il n’est pas objet, mais sujet. Ceci permet notamment aux associations comme Amnesty d’articuler leur combat pour les droits humains avec celui pour l’intégrité des individus.

Je vois une troisième ligne, tracée à l’origine par Kant, qui avance que ce qui a un prix peut être remplacé, alors que ce qui est supérieur à tout prix est ce qui a une dignité. La dignité de l’homme moral des fins sera de faire la loi. Aussi, Marx enfoncera ce clou en distinguant valeur marchande et valeur de dignité. Ce que je trouve intéressant dans cette ligne c’est que la notion de dignité s’inscrit dans une lutte contre la fatalité. Elle incite à l’action et ouvre droit au politique.

La dernière ligne de fondement est tracée par Freud : les soins maternels seraient à la base des principes de réciprocité, source première de tous les principes moraux. Ainsi le nourrisson impotent serait doté par nécessité d’un deuxième corps collectif – c’est-à-dire son entourage – et qui lui a des devoirs. Cette réflexion me fait penser aux travaux de Levinas sur la figure de « l’autre », et qui me semble-t-il, la prolongent.

Ces lignes s’entrecroisent et forment en bonne part le paradigme que nous reconnaissons dans l’usage du concept de dignité. J’en retiens en particulier que le respect des droits humains n’est rien sans une conception humaniste de l’homme. Ce qui m’inquiète est que beaucoup voient l’homme, et de plus en plus, comme un être exclusivement économique, un objet consommant, sommé même de consommer, assigné à un statut prédéfini et soi-disant indépassable. Il y perd là insidieusement mais inexorablement une part de sa dignité par aliénation de sa liberté.

L’autre comme semblable différent

Après le débat, c’est cette belle expression qui me parait caractériser le mieux la condition majeure de l’existence de la dignité : voir l’autre comme « semblable différent », réaliser sa proximité au-delà des frontières et séparations de tous ordres tout en respectant sa singularité. Considérer que l’homme et une fin et non un moyen, par exemple en traitant l’homme dans le pauvre, pas le pauvre dans l’homme. Dans un autre registre, on oublie bien trop souvent que la déclaration universelle des droits de l’homme place à égalité des droits économiques, sociaux mais aussi culturels.

L’indignité

Les scénarios d’humanité et d’inhumanité sont des séquences dans lesquelles nous sommes plongés quotidiennement et dont nous sommes acteurs ou témoins. Dans ce cadre je remarque qu’il nous est fréquemment donné d’identifier ce que j’appelle des porteurs de dignité, ainsi que des porteurs d’indignité. Me revient ainsi l’exemple d’un de ces porteurs de dignité, ce torturé algérien, considérant que la dignité était de réussir à préserver pour lui un espace inviolable et inconnu de ses bourreaux, malgré la souffrance et les dégradations imposées.

Plus largement, la survenance d’une catastrophe humanitaire précipite l’effondrement de tous les droits humains et sociaux fondamentaux et il devient très difficile, mais non moins indispensable, de voir dans les victimes des individus singuliers. Mais pour moi le comble du déni de dignité, c’est-à-dire de l’indignité, est que chaque année plus de 9 000 000 d’enfants puissent mourir de faim. C’est là la manière la plus extrême et la plus horrible de leur nier toute espèce d’humanité.

Cordialement,

Pascal Hardy

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