Débat du 1er août 2010 : « Malgré l’ignorance il faut juger » animé par Gunter Gorhan.

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Posted on 26th juillet 2010 by Cremilde in Comptes-Rendus

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Compte-rendu du dimanche, 1er août 2010 : « Malgré notre ignorance, il faut juger ».

Georges, prophétique, avait posté son commentaire avant (!) ce compte-rendu, d’où le paradoxe apparent d’un compte-rendu qui commence par répondre à son premier commentateur.

C’est vrai, je prends position quand j’en ai une, sans trop, j’espère, censurer/étouffer celle des autres. Comme je n’ai jamais cru qu’il était possible de cacher sa propre position, d’être objectif, impartial, il me paraît le plus honnête d’adopter l’attitude consistant à exposer son propre « parti pris ».

Souvent, cependant, je ne sais pas moi-même, du moins au début de nos échanges, ma position, ou mon « jugement » pour reprendre le thème du dimanche dernier.

Dimanche dernier, je ne savais pas, jusqu’à la fin, comment je pourrais, je devrais répondre à la question posée : « Malgré notre ignorance, faut-il juger ? ». Et je la  rumine depuis…

Voici quelques éléments, dans le désordre et dont la plupart a été évoqué hier matin, de mes ruminations post-« débat » :

-         Peut-on ne pas juger ? Peut-on enregistrer la réalité à la façon de machines qui ne trient pas selon des valeurs forcément subjectives (appareils de photo, magnétophones, etc.) ? Pour le courant philosophique nommé « phénoménologie » c’est impossible, toute perception est soutenue par une intentionnalité (qui juge, d’une façon ou d’une autre). Freud dit la même chose de façon plus directe : » L’objet, avant d’être perçu, est investi [d’un désir, donc d’un jugement] ».

-         Le fait de ne pas juger, ne revient-il pas à approuver la situation, l’état des choses tels qu’ils sont donnés dans leurs positivités respectives : « Qui ne dit mot, consent » (maxime du droit privé). Par exemple, celui qui ne vote pas, soutient (qu’il le veuille ou pas, qu’il le sache ou pas) le régime en place.

-         En même temps, n’avons pas le droit de ne pas juger ? N’y-a-t-il pas une pression à laquelle il s’agit de résister (surtout en ville, contrairement à la campagne, a-t-il été soutenu) pour que nous nous prononcions, que nous ayons des opinions, des jugements sur tout ?

-         Quel est le domaine qu’il faut laisser raisonnablement à l’expertise – je délègue mon jugement à plus compétent que moi, par exemple à un médecin – et quel est le domaine où tout un chacun (en démocratie, du moins) doit pouvoir juger lui-même pour prendre une décision adéquate ? Où commence l’expertocratie, le dépassement des compétences légitimement exclusives de l’expert ?

-         Quelle est l’articulation juste entre « juger », « condamner », « décider », « choisir » et j’oublie certainement d’autres verbes du même champ sémantique ?

-         Quelles sont les différences et les ressemblances entre deux types de jugement, celui prononcé par un tribunal et celui par le for (mot latin pour tribunal) intérieur ?

-         Deux sensibilités se sont dégagées au fur et à mesure que le temps passait : pour juger, il faut pratiquement tout savoir, tout maîtriser, tout prévoir, il ne faut pas prendre de risque, ou plutôt le moins possible; en face : il faut juger même si on n’a pas » toutes les cartes en main », il faut prendre des risques, la vie est risquée, une aventure, etc. Heureusement, pour certains, malheureusement, pour d’autres, il n’y a pas de mode d’emploi (ou des recettes) concernant la vie…

-         A un moment des échanges,  renversement spectaculaire de perspective : Et si c’était le contraire, si pour pouvoir juger il faudrait être dans une certaine mesure ignorant ? Sous-entendu – le lien entre jugement et action n’a été qu’effleuré, mais c’est la nécessité d’agir qui donnait son poids existentiel au thème retenu : quelle dose de connaissance est présupposée, exigée pour que l’action soit juste/vraie ? – celui qui sait trop ne pourra plus juger et donc agir, la situation serait tellement complexe que la seule alternative serait une action totalement aveugle : Alexandre le Grand tranchant d’un seul geste le nœud gordien – le démêler aurait pris tant de temps que toute action serait devenue inutile…

-         J’ai eu un trou à la fin de ma conclusion ; j’aurais voulu recommander le philosophe canadien Charles Taylor dont l’un des centres d’intérêt porte sur les valeurs qui déterminent nos jugements et nos actions. Chacun, selon Taylor, a sa propre hiérarchie de valeurs, bien au-delà du binarisme freudien : plaisir, déplaisir – telles que beauté, justice, courage, liberté, honnêteté, fidélité, vérité, constance, authenticité, sensibilité, etc., etc. Cette hiérarchie, en général inconsciente, exige d’être élucidé en cas de dilemme éthique où au moins deux  de nos valeurs se contredisent.

-         Finalement, peut-être l’ignorance la plus fondamentale ne concerne-t-elle pas les faits qu’il s’agit de juger mais celle qui porte sur notre hiérarchie des valeurs qui, pour Taylor, définit nos identités : « Dis-moi comment tu hiérarchise tes valeurs et je te dirai qui tu es. »

Nos échanges de réflexions aux Phares et ailleurs contribuent aussi à élucider nos subjectivités, nos identités – que l’on ne peut modifier, approfondir, élargir (c.-à.-d. nous amener à croître, autre mot pour vivre) que si on les connaît suffisamment….

Georges a raison, j’ai comme toujours trop parlé à mes propres yeux, mais sincèrement, un grand nombre de participants m’encourage pourtant dans cette voie. Il est vrai aussi que Marc parlait peu jusqu’ à la mi-temps où il prenait la parole assez longuement pour exposer son point de vue – si je me souviens bien.

Je ne crois pas, cependant, avoir orienté le débat cette fois-ci, j’étais moi-même désorienté et le je suis toujours en grand e partie concernant la question : « Malgré notre ignorance, faut-il juger ? ». Cette question a été formulée au départ par le « père du sujet » sous forme affirmative…