Débat du 29 Septembre 2013: »La solitude qui rend fou », animé par Irène Litvin

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Posted on 30th septembre 2013 by Carlos in Uncategorized

Au vu de ce qui se passait partout dans le monde, on avait la sensation que l’on perdait la tête. Côté Syrie, en vertu des violents bombardements sur des lieux pourtant connus pour ses grands agglomérats populationnels. Ailleurs, tout témoignait d’une affligeante solitude, au regard de telles violences, aussi bien qu’à celle « trouvée devant sa porte », comme le chante Barbara, ou le montre Tony Richardson dans son film, si singulier, « La solitude du coureur de Fond », tiré du roman de Alan Sillitoe. Or, le 29 Septembre, 2013, au Café des Phares®,  c’est encore une autre solitude qui a intéressé le peuple philosophe qui y accourt. Il s’agissait d’un échange de vues sur « La Solitude qui rend Fou », sujet du débat dominical, choisi et animé par Irène Herpe-Litvin.

Y aurait-il une solitude qui rend fou et d’autres qui ne le feraient pas ? En tous cas, bien que Gilber Bécaud ait chanté « La solitude, ça n’existe pas », c’était sur celle-là que la nombreuse assistance était invitée à se pencher, et point sur la Solitude des Nombres Premiers (de Mersenne), dont, dans cent, 25 à peine n’admettraient pour diviseurs que le 1 ou eux-mêmes ? Non ! « Celle qui rend fou !». Pas une autre. Pas celle de la souffrance motivée par un désir impossible comme la ‘saudade’ interprété par le Fado portugais, ou l’aspiration vers le tout autre, le mal être, la nostalgie, la ‘sehnsucht’, l’exil existentiel hors de soi… Non. En question était « la solitude qui rend fou ». Pas du tout ces sentiments secrets qui peuvent rendre sage, alors qu’il y en a pléthore, comme ceux par exemple des contemplatifs, cénobites, anachorètes, ou méditatifs et, pourquoi pas, celle d’un Descartes songeur, assis devant son poêle, voire d’un Victor Hugo, largué dans son exil. Non. Non. On voulait s’interroger, en somme, sur l’isolement infligé ! Sur l’odieux traitement imposée à quelqu’un, au point de lui faire perdre la raison !!! La solitude des êtres esseulés, délaissés, dépossédés de tout contact ou relation sociale avec autrui et qui, à force, devinrent douloureusement solitaires, « fous », déments, misanthropes. De cet angle là, bien que la solitude ne soit pas un repli sur soi ou le retrait du monde, elle paraissait désigner en l’occurrence tout être atteint de tel ou tel trouble mental lié à l’absence d’entourage.

C’est ainsi que Heidegger différencie « Einsamkeit », « solitudo », de l’isolement, « Alleinsein ». En effet, du latin « solitudinem » (solus=seul), la Solitude traduit l’état passager de celui qui se trouve, volontairement ou pas, à l’écart des autres. FOU, du latin « follis » dénomme, lui, un ballon, ou un soufflet pour activer ou stimuler le feu, voire celui qui a perdu la raison, c’est-à-dire, par exemple, un psychotique qui dit ou fait des trucs extravagants pour amuser la galerie, tel « le bouffon du roi ». Aux échecs, le terme désigne la pièce qui se déplace en diagonale, et, pour Malebranche, « la folle du logis » qualifiait, enfin, l’imagination, « l’art des fous », l’art brut, art naïf, dont l’art des enfants.

La FOLIE, ou MORIAS, dont Erasme fit l’éloge dès 1511, fait partie, en effet, d’un vocabulaire conduisant à deux modèles distinctes : un positif (de la « mania », grecque, maintenue jusqu’à la psychiatrie, à la « furor » latine ou état d’exception correspondant à un radical qui signifie « croire, penser »). Ajoutons qu’il s’agit là, encore, d’une extravagance par laquelle Kant désigne aussi bien le délire que l’idéalisme, la Folie, ou le Fou, se trouvant hors, ou à côté, de la raison, voire de la sagesse, mal différenciée de l’idiotie ou de l’immoralité. Retenons encore que Platon, pour lequel la Folie n’est qu’une tension de l’esprit, envisageait quatre formes de ‘Mania’ ou Délire divin : 1) le délire mantique ou divination, 2) le délire dionysiaque ou initiation aux mystères 3) la frénésie inspiré par les muses, et 4) le don de Eros suscitant l’Amour.

Enfin. Redoublant d’imagination, les participants ont beaucoup glosé sur les deux concepts (solitude et folie) puis, le moment venu, Gilles emporté dans ses rimes, mit fin à ce temps particulièrement dédié à la sage réflexion.

 

- C’est dingue. T’as passé plus d’une heure à discutailler sur « la solitude qui rend fou », et tu ne sais toujours pas quelle est la solitude qui rend sage ?

- Bah, non. Je suis pas dingue, je fais le fou…

 Carlos