Débat du 16 Mai: « Un Homme, ça s’empêche », animé par Sylvie Pétin

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Posted on 17th mai 2010 by Carlos

Un Homme, ça s’empêche

 En plein week-end de l’Ascension, me rendant au Café des Phares le 16 Mai donc, un certain élan vital s’imposait à moi m’invitant à une soudaine élévation de l’esprit et surtout à ne pas me limiter ou à me désigner un rang ; bref, j’avais la pêche. Ironie du sort, l’animatrice du jour, Sylvie Pétin, choisit cependant pour sujet de notre débat « Un Homme, ça s’empêche », et l’auteur du sujet rapporta qu’il « s’agissait d’une justification d’Albert Camus lequel, étant à la fois français et algérien adopta une discrète neutralité au cours de la guerre d’Algérie ». En réalité, il est question d’une expression chère à Lucien, le père de l’écrivain, stupéfié par la vision immonde d’un tas de cadavres avec les sexes tranchés dans la bouche lors d’une guerre de l’Algérie contre le Maroc, en 1910, et parue dans le roman posthume « Le Premier Homme », dont le manuscrit avait été trouvé dans le fatras de ferraille de la voiture accidentée provoquant la mort du romancier.

Peut importe. L’animatrice « s’étonna que ‘le philosophe de l’engagement’ se défilât ainsi » mais, faisant feu de tout bois, on avança qu’il avait dit aussi « entre la justice et ma mère, je choisis ma mère », ce qui n’est pas exact. Puis furent évoqués « l’envie de tuer sans passage à l’acte soulevée par Castoriadis », « la parole qui permet d’arrêter le geste », suivis des « questions : au nom de quoi ‘ça s’empêche’ ?, qui empêche ? », étant donné « qu’aussi bien l’esprit que le corps sont déjà des obstacles » et que « notre sens des responsabilités nous mène à se donner des limites à soi-même », « si l’on est bien élevés », ajouta Sylvie.

Par la suite, il a été question « de la liberté par rapport à cette abstention, en opposition à la transgression », « dans la structuration de l’enfant » et « comme principe de base dans l’élaboration d’une morale » ; « s’empêcher équivalant à se maîtriser, il y aurait là aussi une manière de faire place à l’autre » et « d’empêcher la robotisation » ou que « l’Homme ne soit pas un loup pour l’Homme », une idée qui pourtant se rencontre vivante dans la tête de tous les humains car, fruit de la masse de leurs efforts physiques et intellectuels, d’elle dépend leur avenir s’ils veulent persister dans l’existence.

Maîtriser ses bas instincts, oui ; c’est clair. Mais, telle qu’elle a été interprétée, la proposition me semble effarante, malgré l’illusion qu’une volonté plus éclairée s’affirmerait, différente de celle de courber l’échine ou de se laisser abuser par le chef de meute, un comportement socialement inacceptable.  Toutefois, optimistes comme nous sommes, nous n’entendons pas la phrase comme une autocensure, alors que la chosification du « ça » dit clairement qu’un Homme doit être mené comme son maître l’entend. Les mêmes principes qui ont structuré les civilisations les conduisirent à l’effondrement car nous sommes nos premiers ennemis et seule une sorte de « code de la rue » peut forcer au respect d’autrui ou à une philosophie de la limite conciliant la révolte, la mesure et autre chose comme la beauté du monde. « Primum vivere, deinde philosophari ».

En fait, nous subissons la vie, ne la vivons pas, et avons même du mal à comprendre le tracé du réel, sans vouloir toutefois sacrifier un instant à un éventuel rabat-joie. On vit comme dans un rêve fabriqué ailleurs, alors, de tous temps, le diktat de la conscience, faculté de connaître sa propre réalité et de la juger, a enraciné en nous la prudence comme moyen de veiller aux défaillances du surmoi qui, telle une descente d’organes, rendent l’individu inapte à respecter ce que l’on juge bon, dans un monde pulsionnel sans retenue.

Mais, à part ça ? Un philosophe grec, Diogène de Sinope, qui parcourait Athènes « à la recherche d’un Homme » idéal se servant d’une simple lanterne, ne s’est pas empêché d’inviter Alexandre le Grand à s’ôter de son soleil. Savait-il qu’« Un Homme, ça s’empêche » ? S’il s’empêche, il passe à une autre attitude, qui est à son tour sujette à l’observation du papa d’Albert Camus. Cela ne constitue pas un humanisme ; en revanche, cette réflexion donna l’occasion au fils de faire un pan de philosophie préconisant certes de mettre un frein à la démesure mais pas à la révolte, domaine exploré par son frère ennemi, Sartre, qui appela à l’engagement et à la résistance de celui qui sait dire non à soi-même. Comment s’y retrouver, entre égoïsme et altruisme ? Tout dépend des circonstances, sinon on tombe dans la pensée dogmatique ; la liberté n’est pas d’entreprendre ce que l’on veut mais de faire ce qu’il faut dans la recherche du sens et point de l’inaccessible vérité.

Beaucoup de gourous, soutenait à peu près Bernard Shaw, « croient énoncer des vérités définitives quand, finalement, ils ne rapportent que ce qu’ils pensent » ou croient utile de claironner. Admettant l’évidence des choses, je dirais que de simples quidams se défient des apparences pour se consacrer au devoir de se libérer, d’être soi et de résister à leurs propres envies, car un Homme, ça s’impose ; son sourire réduit les distances et, le regard levé vers les autres, il se défait de ses journées, le cœur attentif à la voix d’un ami… et vogue la galère, dans la beauté du monde. Il y a certainement un autre encore plus beau, mais je crains que nous n’ayons pas les moyens de nous le payer ; il est hors de prix.

 Carlos Gravito

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