« Est-il donné à tout le monde d’exister ? »
Pour trouver le jour de Pâques, événement eschatologique, il faut faire le tour de notre satellite préféré, puis le plaquer sur le calendrier retenant le dimanche qui suit la première pleine lune apparue après l’équinoxe du printemps, et c’est par un de ces hasards avec lesquels les astres se complaisent à nous ébahir, que cette sainte journée tomba le dimanche 4 Avril, occasion pour la chrétienté de se répandre en d’allègres Alléluia louant le Christ ressuscité puisque Marie Madeleine n’aurait trouvé que son suaire dans le tombeau qu’elle visitait. Tout ça, pour que l’on se rende prosaïquement compte qu’était venu le moment de peindre les œufs avant de les manger, le temps des lapins, des cloches en chocolat et autres friandises mais, décidément, au Café des Phares des esprits flingueurs se morfondaient de la joie d’autrui, raison pour laquelle le sujet que Daniel Ramirez choisit d’animer fut : « Est-il donné à tout le monde d’exister ? »
S’il y a un doute, c’est grave ; une telle idée a depuis toujours effleuré les esprits de certains hygiénistes éclairés, avec les conséquences que l’on connaît. Normalement, « tout le monde » est chacun et, dès qu’objectivement là, il ne peut plus surgir (ou disparaître), selon le bon vouloir d’un Dieu, l’estime ou mésestime de soi, le pouce du souverain ou la pertinence de la réponse à une pareille question. Pourtant, afin de persister dans l’aberration, comme il a été choisi de faire, nous avions deux possibilités : couper les cheveux en quatre ou tourner autour du pot pendant cent minutes. Bien que couper les cheveux en quatre n’en augmente hélas pas le nombre, nous nous y sommes prêtés quand même, tout en marchant à la bonne franquette autour du bol, afin de nous approcher du centre du débat en trois coups de louche, ce qui à la fin faisait déjà du pot primordial une bonne soupière.
Une fois que l’animateur fit remarquer qu’« exister est une chance » qui « n’est pas donnée à tout le monde » comme il a été ajouté par quelqu’un sans se douter de l’idiotie de son propos, il fut objecté « qu’exister a à voir avec la conscience d’être vivant » et ensuite on a entendu dire que « celui qui va mourir désire s’amuser auparavant », que « celui qui est en deuil veut remplir ce vide », ce qui amena quelqu’un à se demander « s’il est légitime de donner la vie » et un autre participant à découvrir « que l’on n’est pas à égalité devant la mort ».
On faisait feu de tout bois et nous avons évoqué alors « le sentiment ‘océanique’ », « la solitude de Robinson Crusoé », « l’arbre qui cache la forêt (le singulier opposé au pluriel) », « la métamorphose dans la douleur », « l’intérêt de vivre au présent », jugeant même « qu’avoir une vie ‘pépère’ n’est pas exister », que « vivre, c’est faire des choix difficiles », que « Van Gogh n’en menait pas large mais était un grand Homme », tandis que quelques-uns se demandaient « comment Dieu peut-il prouver son existence », « si Michael Jackson était dans son cercueil », ou rappelaient aussi bien « le drame de Nanterre où un forcené abattit un tas de conseillers municipaux ‘pour exister’ » que « Roquentin faisant, dans ‘La Nausée’ (Sartre), l’expérience de l’écoeurement et de l’absolu devant les racines d’un arbre ».
Il a été aussi question de « Levinas, ‘la présence dans l’absence’, ‘l’être du néant’ ou ‘l’il y a’ », ainsi que de « Cioran ‘l’inconvénient d’être né’ » et de la boutade de « Baudelaire : ‘Dieu est le seul être qui pour régner n’ait pas besoin d’exister’ », le tout se concluant par « exister, c’est avoir un pouvoir sur la vie et cela n’est pas donné à tout le monde », histoire d’enfoncer le clou.
Je dirais que, ergoter sur l’existence tient moins du sens que du discernement, la vérité (s’il y en avait une) n’étant pas dans les assertions qui ne changent point, mais dans les jugements sur lesquels les erreurs d’ordinaire s’accumulent. « Tout le monde », ça va de soi, est la totalité des humains ; la proposition était donc logiquement désorganisée et l’animateur reconnut que « l’interrogation manquait de pertinence : elle était contradictoire philosophiquement, choquante socialement, indigne politiquement », sans parler des autres registres des choses par rapport à l’objet intelligible.
On ne va pas toutefois en faire une maladie malgré le goût de Cachou Lajaunie que commençaient à prendre les dragées chocolatées mais, le fait est que, peut-être parce que c’était Pâques tout simplement, comme le Saint-Sépulcre le débat se trouva vide de contenu… quoique, dans le tombeau du Christ il subsistait tout de même le linceul.
Le soir venu, après avoir assisté sur France 2 à la transmission des « Tontons Flingueurs », j’ai rêvé étrangement qu’Aristote me rassurait soulignant que « tout a un ‘telos’, c’est-à-dire, le caillou, l’abeille, la sardine, le nuage ou le truand ont tous un but intérieur à poursuivre, car l’objectif de l’existence est de s’arracher à la mort », et je lui demandai dans mon songe :
- Maître, est-il vraiment donné à tout le monde d’exister ?
- Mais bien sûr, me répondit le philosophe, il ne se peut autrement.
Puis, après quelques secondes de réflexion :
- Sauf en cas de décès, naturel ou violent.
Carlos Gravito