« Les mots savent de nous plus que nous ne savons d’eux »
Ayant, sans aucune ambition, accompagné le Marathon de Paris pendant une centaine de mètres, c’est trop tard que, le 11 Avril, je suis arrivé au café des Phares où le thème du jour, choisi par Gérard Tissier, était « Les mots savent de nous plus que nous ne savons d’eux ». Ceci n’est donc pas un compte rendu du débat, mais une simple prise de position se rapportant à la sélection de nos sujets ou du moins à la façon de les aborder. Il s’agissait en l’occurrence du raccourci d’un vers de René Char, tiré des « Sept saisis par l’Hiver » dans les « Chants de la Balandrane » : « Les mots qui vont surgir savent de nous des choses que nous ignorons d’eux… ».
Les mots qui vont surgir…, donc.
La polysémie des signes n’étant pas décidée par eux-mêmes, vouloir leur accorder un sibyllin savoir ou une obscure aptitude de suppléance à notre probable dénuement philologique relève donc d’une arnaque intellectuelle trop facile, sinon malsaine, me semble-t-il. Simple croisement de catégories logiques ; alors que, côté Esthétique, par la grâce de certaines accumulations sémantiques échappant au pli que les rapports grammaticaux d’ordinaire leur imposent, Char s’est penché sur son acte d’écrire, ou sur son verbe créateur, afin de montrer à quel point le langage ordinaire risque d’être dépourvu de saveur sans une réelle invention lyrique, côté Rhétorique, les philosophes s’appliquèrent à se balandriner avec leurs gros sabots sur le terrain de l’affriolant bourrage du mou, admettant que les vocables sont au parfum de ce que nous sommes, tout en sachant pertinemment bien qu’ils ne se montent pas la tête ni ne cherchent pas à résister au temps ; sur eux plane en permanence le spectre de la langue morte.
Au fait, les mots ne font pas de poésie, ne courent pas après les rumeurs, les indiscrétions ou significations savantes dans une course aux lauriers ; les lauriers vont au poète qui sait créer de nouveaux signifiés et des associations d’idées inhabituelles. Son souci étant de trouver des images assez originales pour traduire ses sentiments et catapulter ses passions, c’est lui qui produit la variété des sens obligeant chaque terme à s’y plier pour prendre le lustre de ce qui poétique. La philosophie interprète le monde ; la poésie l’exalte car, par sa manière de faire bouger les étoiles autour de lui, l’aède y met à découvert des tas de facettes jusque là méconnues. Du coup, la figure poétique est toujours une audace de l’Homme qui fait éclater le langage humain, dont les dieux n’ont pas besoin pour dire ce qui est, et, chantant l’autre que l’on ne peut pas être parce qu’il n’est que gardé par les heures, le Fado portugais en demeure peut-être exemple le plus proche, du moins étymologiquement parlant ; « fatum », du verbe « fari, dire ».
Que venons-nous, alors, faire aux Phares ? Assister à des floralies ou soigner nos questionnements ? Là où il y a polysémie ou connotation, on découvre habituellement de l’intuition et de l’empathie pour les humains mais, dans notre cas, j’ai le sentiment que l’on n’a pas bien compris René Char ; la vérité des mots est celle que le poète fait surgir pour la durée du poème et point les convulsions expérimentées le long d’un débat. Tant pis. Ce qui, considéré sous l’angle de la poésie, évoque souvent un joyeux feu d’artifice, se pose parfois en tant que simple allumette éteinte, au niveau de la philosophie.
Carlos Gravito