Débat du 1er Mai 2011: « Doit-on avoir peur de la science? », animé par Jean-Marc Levy-Leblond.

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Posted on 2nd mai 2011 by Carlos in Comptes-Rendus

C’était le premier Mai, le mois mythique de tous les enchantements et une certaine allégresse gagnait aussi les rues de Paris envahies de surcroît par des manifestants à la boutonnière ornée de brins de muguet, comme souvenir de la grève des travailleurs de Chicago qui avaient imposé en 1886 au patronat américain la journée de huit heures, et iraient sans doute réchauffer le cœur de quelqu’un dont le regard devint celui de l’autre. A l’heure où le ciel comptait un nouveau saint, le Pape qui avait exhorté ses fidèles à ne pas « avoir peur », au Café des Phares le physicien et philosophe, Jean-Marc Lévy-Leblond, qui maniait les éprouvettes dans la conduite du débat, a choisi justement pour sujet du jour, « Doit-on avoir peur de la science ? ».

Brrrrrrrr ! Non ; du calme. Prenons donc l’ampoule à décanter et voyons : « Devoir », implique une obligation morale à respecter en raison des convenances. La « Peur », suppose l’imminence d’un danger et il est bien connu que, dès que celui-ci se précise, la trouille tend à disparaître. La « Science » ( ‘Scientia’, dérivé de ‘scire’, qui a pour but le savoir en soi, et point ses applications pratiques), s’oppose donc à l’ignorance comme seul péril. Conclusion logique, mutatis mutandis, notre sujet pouvait très bien  se traduire, en cas de panique, par «  Faut-il convoiter le charlatanisme ? »

Pourtant, on en n’était pas là. Alors, quelques participants ayant « fait la distinction entre science et technologie » ou manifesté leur « confiance dans les apports de celle-ci en même temps que leur défiance vis-à-vis de son utilisation », et compté sur « l’engagement responsable des scientifiques », l’orateur est parti dans un long mais non moins intéressant soliloque sur « le savoir et le besoin manifesté par chacun de convaincre les autres, depuis les grecs à aujourd’hui, si l’on excepte les romains qui ne s’intéressaient qu’aux arts et au droit, provoquant ainsi un hiatus dans ce domaine qui dura jusqu’au XVIIème siècle où la technique des artisans a permis enfin un développement galopant des sciences, allant de la machine à vapeur à l’électricité, la radio, la télé, etc. ».

Ayant son auditoire en main, le conférencier poursuivit alors évoquant le retour de manivelle du « savoir scientifique, au cours de la guerre mondiale, avec la découverte des propriétés de l’atome ainsi que la possibilité d’en fabriquer une bombe, ce qui fut fait dans l’espace de trois ans, et essayé avec le succès que l’on sait », puisque l’on peut le constater à l’occasion faisant un détour par Hiroshima, une caricature de notre humanisation.

A la question subsidiaire « la science est-ce un apport ou un danger ? », il a été répondu « qu’il ne faut pas décevoir la curiosité d’un enfant de quatre ans », que « l’ignorance est la peur de l’inconnu », que « les objets techniques étant super performants, tout dépend plus du marché que des besoins sociaux », et patati et patata ! Qui, enfin, a la pétoche de quoi ?

Si l’on y réfléchit bien, c’est quand même bizarre de lier le savoir à la peur, ce qui ne se trouve pas très éloigné de l’Interdit de Connaître. Celui de la légende de l’« Arbre de la Science du Bien et du Mal », au moins, procède d’une explication naïve ou poétique de nos malheurs ; il y avait dans ce « Jardin de Délices » une succulente pomme, une avenante femme, et une facétieuse couleuvre pour faire diversion. Là, même pas les lignes de la main que la première bohémienne aurait mutées en science infuse. Où voulait-on en venir avec un tel pétard mouillé ? Au déni ? à la Science Fiction ? Exacte ? Pure ? Appliquée ? Expérimentale ? Occulte ? Ou tout prosaïquement  au grand Frisson tétanisant ?

La totalité de ce qui est directement connaissable, comme les faits scientifiques par exemple, est « finie » et on pourrait de concert atteindre le vrai, si seulement la réalité ne lui emboîtait le pas. L’« infini », lui, surgit dès que nous pensons, car cela nous permet de chercher un sens à ce que l’on ne comprend pas, en science seule l’hypothèse étant belle, puisque le rêve consent  à y intégrer chaque chose.

Πάτα ρεί, (Héraclite), Panta rhei, « Tout coule », tout passe, et pour ça le fleuve contourne les divers obstacles qui s’opposent à lui. Mais, en aucun cas, il ne retournera vers sa source.

Carlos Gravito

7 Comments
  1. ROCA Gilles says:

    Doit’- on Avoir peur de La science ?, Jean-Marc Lévy-Leblond, Gunter’ Gorhan’,

    mythologie, préhistoire … Prométhée nous donnait Le feu, nous promettait Le feu,
    La science’, et ses’ enjeux, du prométhéen feu … Au nucléaire … feu,
    Histoire’ et science … renversement historique, révolution scientifique, nos connaissances’ … expériences … notre … science, notre’ industrie technique,
    Recherche’ et Développement, R & D, Applications, scientifiques’ … et techniques’ …
    utilisations, mathématiques’ … et physiques’ … et technologiques, La science,
    « détruire, dit’- elle », …
    physique,
    psychique’,
    en territoires’ … inconnus’,
    un danger’, un … connu,
    construire, dit’- elle, …
    doit’- on Avoir peur de La science ?,
    de L’ignorance … de La science’ ?,
    Attention, science, danger ! …
    N’Ayez pas peur ! …
    Science d’ange’…et
    démon, trompeur,
    de technoscience’ en’ omniscience’, en science’- éthique,
    bi-o-éthique’, écologique’,
    impatience … des pas’, en’ Avant, de La science’,
    un pas … science … conscience’,
    énergie,
    L’âme’…agit,
    de méfiance’ en confiance,
    de « faut pas’ ! » …
    en …très …pas ? !, …
    de Cassandre’
    en cas …cendres,
    qui peut dire’ que …
    Allègrement … Allègre … ment ?, quoique …
    efficacité, risque … de retournement, de La science … contre’ elle’, inventions,
    découvertes, essais … transformations’, et, mutations, ponts’, orientations …
    soif et faim … de La science,
    finitude’,
    ou, finalité ?
    Fin de La science … finitude ?,
    science’ de La fin … finalité ?,
    son’Ambition, À Limiter, se Limiter,
    du nucléaire’
    À La Lumière’,
    À son’…art,
    sous-marin, Au radar,
    de reformuler Les questions, jusqu’À ce qu’elles’ … Aient des réponses … pour L’humanité, JM L-L, Gilles Roca,

    Cas-fée-Philo des nés-nus-Phares, ces-jours de Floréal, 1er mai 2011,
    peur de La science phare’ ?, Aux’ Ailes radicales … d’un ni … de bronze … ni bonze … G R

    2nd mai 2011 at 16 h 19 min

  2. Gunter says:

    Je ne vais pas résumer l’échange que nous avons eu avec Jean-Marc Levy-Leblond dimanche dernier. Il m’importe davantage de préciser ce que je dois à celui que je considère comme le meilleur philosophe, le plus autorisé, des sciences en France. Trop souvent, des philosophes parlent de la Science ou des sciences sans les connaissances scientifiques nécessaires et l’inverse est vrai aussi : des scientifiques s’aventurent trop souvent dans les contrées de la philosophie sans les connaissances nécessaires.
    Je lui dois essentiellement quatre « moments de vérité », c’est-à-dire des prises de conscience qui changent notre posture existentielle et notre orientation de vie – deux buts de la réflexion philosophique ; ces moments se signalent à notre conscience par un étonnement intense, voire un bouleversement :
    - J-M L.L. se tient à bonne distance de la techno-sciento-philie et de la techno…phobie ; il aime la science mais pas au point d’en faire une nouvelle religion. Il veut lui donner toute sa place mais rien que sa place – il m’a ainsi guéri d’une techno-..phobie (excessive ?).
    - Sa métaphore de la science : le réel n’est pas comme une pièce fermée dont la lanterne de la science en augmentant son rayon finira par éclairer toute la pièce (toute la réalité), mais il est infini (vers le grand et vers le petit), et plus le cône illuminé de la science agrandit son cercle, plus l’obscurité autour s’agrandit de même.
    C’est l’expérience concrète que font les scientifiques aujourd’hui – pas dans tous les domaines, certes – et c’est tant mieux : la vie ne vaut la peine d’être vécue que si elle-même et la réalité qui l’entoure restent, au fond, mystérieux. Car, comme dit le poète : Comment pourrions nous vivre sans inconnu devant nous ? (R. Char). Un monde totalement transparent serait invivable- en ce qui me concerne…
    - Avant de faire des synthèses, il faut soigneusement distinguer ce que l’on s’apprête à comparer, voire à unifier. JMLL n’aime pas les mélanges qui aplatissent, uniformisent, c’est un amoureux de la richesse de la diversité, il ne tombe pas dans le piège : distinguer ce serait opposer. A appliquer à beaucoup de domaines : un certain féminisme, certain multiculturalisme, certain égalitarisme, etc. Une bonne illustration, le dernier livre de JMLL : « La science (n’) e(s)t (pas) l’art ».
    - Finalement, peut-être le plus important à mes yeux : l’aventure humaine, y compris en ce qui concerne la recherche scientifique, doit rester une aventure, c’est-à-dire une place importante doit être réservé à l’imprévu, au non-planifié, à une certaine gratuité de l’agir humain. Si la science ne peut plus chercher sans être obligée d’anticiper un résultat (surtout aujourd’hui le profit et aussi la supériorité militaire), quelque chose de très précieux, peut-être même indispensable à notre humanité serait perdu, à savoir la « grâce » qui vient du grec « charis » et qui a donné aussi bien la gratitude que la gratuité. L’humanité serait devenue encore un peu plus ingrate.
    Merci, Jean-Marc-Levy-Leblond. Il a promis de revenir…

    2nd mai 2011 at 14 h 31 min

  3. Gabriel says:

    Il m’apparait humain d’avoir peur de la Science : les craintes, les peurs, les angoisses,…..relèvent globalement de l’animal humain . Elles n’ont pas à être absolument fondées…Certains disent : »Ah! mais là c’est pas la Science qui est à craindre mais des scientifiques  » Je n’y crois pas .
    Dès lors qu’un scientifique a pour objet de recherche un « quelque chose » dont la finalité est possiblement double,peut être une avancée pour le bien être de l’homme ,peut être une utilisation scabreuse,alors il va continuer à chercher, chercher ……Si le scientifique se pose des questions, alors il ne sera plus à la pointe dans son domaine…..Le temps est compté.. pour l’employeur aussi!
    Le scientifique qui travaille à établir la carte d’identité du génome humain, s’il dispose de l’argent nécessaire,va comme un enfant qui joue aux Lego, découvrir des gènes inlassablement .Pourtant nombreux sont ceux qui se posent des questionnements sur l’utilisation future par telle entreprise, tel Etat…….Mais pour celui qui cherche, deux dangers : s’exclure lui-même ou être exclu .Dans ce secteur on parle par exemple de transférer des caractères de gènes vus chez Jeanne Calment décédée à 110ans?) sur le génome de Mr Lambda . Ca coûte très cher, et au rythme des réformes, on a l’intuition que, même si c’est financé par de l’argent public, ça sera plutôt réservé à Mr Omega .On a bien l’intuition d’un système sanitaire qui va évacuer la foule des tarampions ! En fait ce n’est donc pas la Science qu’il faut craindre mais le Pouvoir (public, privé, financier, politique,…..) qui l’entretient et dispose des résultats .Le problème est que nous sommes bien obligés de considérer le couple(pouvoir financier, science)
    comme une entité homogène. Je m’arrête car je ne suis pas chercheur!

    2nd mai 2011 at 17 h 09 min

  4. Nicolas says:

    Voici le début du commentaire que j’ai mis sur l’autre site du café des phares: http://www.cafe-philo-des-phares.info/index.php?option=com_content&task=view&id=343&Itemid=37.

    Tout d’abord, merci beaucoup Pirmin pour ce compte-rendu qui m’a vraiment intéressé et qui a vraiment fait ressortir les enjeux du débat !

    Alors, faut-il avoir peur de la science ? Pour répondre à la question, on a commencé par étudier plusieurs domaines scientifiques.

    Avoir peur des mathématiques est bien étrange, car les mathématiques reposent sur une pure objectivité établie à l’aide de données, de l’utilisation de ces données dans une démonstration entièrement rigoureuse et d’une conclusion.
    De plus, Platon dit : « ceux qui s’occupent de géométrie tracent des figures visibles et raisonnent sur elles en pensant non pas à ces figures mais aux originaux qu’elles représentent ». En effet, on a souvent besoin de modéliser un problème mathématique en faisant une figure (que ce soit dans le plan ou dans l’espace). Cela montre qu’avoir peur des mathématiques n’a pas d’intérêt.

    En revanche, comme l’a évoqué Jean-Marc Lévy-Leblond pendant le débat (ce qui est rappelé dans le compte-rendu de Pirmin), le nucléaire fait beaucoup de morts, notamment au Japon avec Fukushima et en Ukraine avec Tchernobyl (il y a plus longtemps). Ici, nous dit JMLL, il s’agit d’un problème politique et économique : ne déplacerait-on pas alors le problème sur la science ?

    L’évocation de l’éthique m’a paru intéressante. En effet, l’éthique n’a rien avoir dans le nucléaire, elle a sa place en biologie ! On aurait pu parler davantage de la biologie pour étudier les différents « malaises » qui concernent la recherche. Evoquons par exemple le clonage humain.
    Des animaux ont été clonés, mais on se demande quand même si la viande et le lait issus de bovins, de porcs et de chèvres clonés ont vraiment une bonne qualité… Mais le principal enjeu éthique reste le clonage humain : il pose même des problèmes philosophiques nouveaux ! Pour le moment, le clonage humain est interdit, mais cette interdiction devient de plus en plus discutable, car cela constituerait tout de même un exploit technologique. Il est admis scientifiquement que l’identité de l’être ne se résume pas à son génotype : ce qui signifie que le clonage ne permet pas de créer un clone entièrement identique à l’individu cloné ! Ainsi, tout ceci pose des questions éthiques, philosophiques et religieuses importantes conduisant à de nombreux débats : devons-nous considérer le clone comme un Homme à part entière ou comme une pâle reproduction, une sorte de sous-homme ? Devons-nous considérer les clones comme notre égal ?
    On peut également parler de l’IVG. L’avortement est une grande question. Il est toujours légal en France, mais le problème demeure : tout dépend de ce que l’on considère. Si l’on considère qu’il y a un être humain dès la fécondation, l’IVG serait alors analogue à un meurtre…
    Ici, on voit bien que la peur de la science est compréhensible…

    L’étude de différents domaines scientifiques est judicieuse (et pertinente), certes, mais il faut être capable de définir « la » science, ou du moins une science. Comme nous le rappelle Pirmin, on parle de « la » science comme si elle était « une entité immuable », cela peut paraître incomplet… La définition de JMLL est en effet très intéressante : « l’art de reformuler les questions pour qu’elles aient une réponse ». En appliquant cette définition, on peut dire sans problème que les mathématiques, la biologie, la chimie et la physique (par exemple) sont des sciences puisqu’il y a des questions qu’on cherche à reformuler pour avoir une réponse.
    Par exemple, en mathématiques, on cherche à déterminer la probabilité d’un certain événement A (sur un certain univers Ω). Parfois, il s’avère plus facile et plus pertinent de déterminer la probabilité de l’événement contraire de A, appelé « A barre » (noté A avec une barre horizontale au-dessus de la lettre), car la somme de la probabilité d’un événement et de la probabilité de son contraire est toujours égale à 1. (Puisque deux événements contraires forment l’univers Ω : un des deux se réalise forcément).
    On voit dans cet exemple (avec les mathématiques) que la science reformule bien la question posée pour avoir une réponse.
    Alors, l’écologie est-elle vraiment une science ? Les sciences humaines et politiques, sociales… sont-elles des sciences ? Il me semble que non, car tous ces domaines reformulent peut-être les questions mais sans aboutir (hélas) à des réponses…

    2nd mai 2011 at 20 h 22 min

  5. Nicolas says:

    Et voici la suite et la fin du commentaire.

    Nous avons également distingué science et technologie. La technologie concerne davantage le « produit » de la science. Un téléphone portable est une technologie, mais ce n’est pas une science. Heureusement car toute science est en général plus complexe qu’une technologie…
    Le vrai problème est le fait que la technologie peut prendre le pas sur la science. Pirmin évoque que « la science aujourd’hui serait complètement tributaire des progrès techniques » selon JMLL. En effet, si c’est bien ce qu’a voulu dire JMLL, cela peut paraître assez étrange comme remarque, car Pirmin évoque très justement la recherche mathématique qui n’utilise que « le crayon à papier et la gomme ». Ainsi, certains domaines scientifiques sont indépendants de la technique comme les mathématiques par exemple.

    Comment s’en sortir alors avec cette question ? Rappelons au passage que Heidegger a dit : « la science ne pense pas » (et ne se pense pas) et qu’on ne peut pas expliquer la physique avec les méthodes de la physique. C’est à la philosophie de « penser » la science. Mais, comment la philosophie peut-elle penser la science ? Nietzsche a dit que des gens, certes intelligents, peuvent être ravis de leurs recherches, mais cela ne signifie pas forcément qu’ils ont l’Esprit scientifique ! On voit ici que la philosophie peut nous aider à mieux comprendre la science. D’ailleurs, Comte-Sponville dit que ce n’est pas parce qu’une idée nous procure du bonheur qu’il faut la choisir, c’est uniquement parce qu’elle nous paraît vraie ! Le but de la philosophie est alors la recherche de la vérité, pas du bonheur ! En rattachant l’évocation de Comte-Sponville à la science, on peut dire que toute science permet également d’accéder à la vérité mais certainement plus facilement par l’intermédiaire de la philosophie !

    Ainsi, on peut dire que la philosophie nous aide à réfléchir sur la définition d’une science. Finalement, avoir peur d’une science paraît assez simpliste et peut-être irrationnel parfois puisque c’est surtout le « produit » de la science qui peut faire peur (comme une centrale nucléaire par exemple). Alors, n’ayons pas peur de l’inconnu ; il est nécessaire que de nombreuses personnes puissent avoir des informations sur la science pour qu’elles aient une culture scientifique et pour qu’elles se rappellent que ce n’est pas la science en elle-même qui est problématique, mais ce qu’on en fait !

    Nicolas.

    2nd mai 2011 at 20 h 23 min

  6. Henry says:

    Voici ce que j’ai noté dimanche dernier (j’ai malheureusement perdu mon troisième feuillet dans mon voyage de retour des Phares particulièrement éclairés et éclairants cette fois-ci) :

    La place qu’occupe la science aujourd’hui est très spécifique. Dans la Grèce antique, la place de la science est éminente, c’est la clé de tout savoir. Au fronton de l’Académie : « Nul n’entre ici s’il n’est géomètre ». Mais la science n’est pas reliée à une utilisation. Elle relève de l’art d’argumenter qui est réservé aux « hommes libres ». Il n’y pas besoin d’utilisation dans la sphère de la production, car la production ne pose pas problème : elle est entièrement assurée par les esclaves.
    A Rome, il n’y pas non plus de besoin technologique dans l’ordre de la production. Le travail des esclaves y pourvoit. De plus, la civilisation romaine n’est pas spéculative à l’égard de la science comme la civilisation grecque. Il n’y a pas de grands « savants » romains. Peut-être Galien pour la médecine. Mais celle-ci est plus une pratique qu’une démarche de type scientifique.
    Science et technique restent complètement séparées jusqu’au début du 17ème siècle. La technique a précédé la science dans l’histoire. Et même avant l’histoire humaine. Les grands singes ont des proto-techniques. Mais la technique ne fait pas avancer la connaissance scientifique.
    Le tournant a lieu au 17ème siècle, avec Descartes, Bacon… Les connaissances scientifiques sont progressivement reliées aux techniques. Dans les villes libres italiennes, les couches bourgeoises, proches de l’artisanat, sont productives, au contraire de l’aristocratie. Galilée : « Je me suis inspiré du travail observé à l’arsenal de Venise ». Le travail productif devient digne. Et avec lui, la technologie qui améliore l’efficacité du travail.
    Au 18ème, sciences et techniques sont reliées dans une optique productive. Avec la chimie notamment. Place de Lavoisier. Puis l’électricité. La machine à vapeur ne doit rien à la science, mais la machine à vapeur permet l’essor de la thermo dynamique. L’expérimentation dépasse le stade de l’observation, qui fournit de l’information pure. La jonction entre science et technique prend sa pleine dimension au XIXème, dans l’optique de la production. Problématique de « l’efficacité » de la science.

    Au XXème, il n’y a plus aucune avancée technologique sans percée scientifique. Les ondes radio : il faut que la science soit passée par là. Et surtout, la maîtrise de l’énergie atomique.
    Un épisode crucial : la 2ème guerre mondiale et l’arme nucléaire. Dans les années 30, on connaît l’énergie que recèle l’atome, mais on ne sait pas comment l’exploiter. La fission (envoi d’un neutron sur le noyau à des milliards d’exemplaires) est découverte par des savants allemands en 1938. Ils sont, et resteront au service du Reich (peu s’enfuient). Les US doivent répondre au danger. On utilise l’autorité d’Einstein pour lancer le projet Manhattan. Il se déroule sur 3 ans. On n’a jamais vu un projet passer si vite de la science à la technique. Premier financement massif de la science.
    La politique va dorénavant constamment opérer des arbitrages en matière de financements. Non seulement c’est inévitable, mais il est souhaitable que des choix soient exercés.

    Aujourd’hui, le couplage est définitivement établi entre technique et science : techno-science. La pratique scientifique se présente d’emblée comme techno-science.

    Toutefois, si ce couplage a bien fonctionné ces dernières décennies, il « marche » moins bien aujourd’hui. La logique des techno-sciences engendre des capacités excédentaires. Les voitures roulent trop vite par rapport aux normes de sécurité et de pollution. Les ordinateurs individuels sont utilisés à un faible % de leur capacité, etc. Par ailleurs, le rythme des découvertes est trop rapide. Elles ne peuvent être culturellement assimilées.
    Et puis les logiques de marché viennent puissamment interférer : des découvertes sont « poussées » pour des raisons de rentabilité, d’autres sont mises sous le boisseau. Le marketing cherche à maîtriser les applications technologiques qui, au départ, ont souvent une destination incertaine. Le téléphone n’a pas été inventé à l’origine pour le grand public, mais pour une circulation d’informations au sein de l’entreprise. Internet n’était pas conçu à l’origine pour une application de masse par les particuliers, etc.
    De ce fait – accélération des découvertes, indétermination des applications, arbitrages rendus par le marché – « on ne sait plus où on va ». Il apparaît certain que la technologie a pris le dessus sur la connaissance scientifique, c’est-à-dire fondamentalement désintéressée : la connaissance est valorisée par elle-même, sans anticiper un résultat économique ou politique quelconque – un peu comme au temps des Romains par rapport aux Grecs.

    Il n’y a pas de rapport spécifique entre éthique et science. Le problème éthique concerne toutes les activités humaines.

    Le nucléaire n’est pas une question éthique. Le danger du nucléaire peut se prêter aux « calculs » les plus divers. Cf. Hiroshima versus Dresde, Nucléaire versus mines de charbon. Bhopal, etc.… Certains composants atomiques ont une vie extrêmement longue, mais ce sont les plus rares. Les dérivés de l’iode, quelques jours seulement. Donc on ne peut pas prendre la question du nucléaire uniquement par l’angle quantitatif.
    Le problème est beaucoup plus prosaïque : il ne reste que 40 ans de réserve d’uranium.

    La science est d’un accès difficile. C’est d’ailleurs en cela qu’elle est passionnante. Il est absurde de chercher à attirer les jeunes vers les disciplines scientifiques en faisant croire qu’elles sont aisées. Les maths et la physique sont difficiles. Mais les résultats sont gratifiants. On capitalise sur un formidable acquis. Le théorème de Pythagore est aujourd’hui à la portée de tous : les plus grands génies grecs avaient la plus grande difficulté à le concevoir.

    La science, c’est l’exercice spéculatif et abstrait de la connaissance. C’est l’art de reformuler des questions jusqu’à ce qu’elles aient une réponse. On manie un scalpel pour aller au cœur des choses. Tant que celles-ci sont accessibles à une recherche au scalpel.
    La science constitue une méthode très performante, mais à l’égard d’un nombre limité de questions. On sape l’intérêt de la science en laissant croire qu’elle détient la Vérité. Un grand nombre de questions sont hors de son champ.

    « L’être bien, et non le bien être » (Finkielkraut), « Apprenez-moi comment il faut vivre » (Rilke à Rodin) : ce sont des questions d’un tout autre ordre, synthétiques (cf. Hegel : art religion et philosophie) et non pas analytiques (cf. les sciences, il n’y a pas de Science).
    Registres complètement différents : Chercher un Sens, une orientation pour notre vie, parmi les découvertes que font les scientifiques, est aussi incongru que de vouloir écrire un roman ou un poème avec un tournevis – et inversement…

    2nd mai 2011 at 15 h 38 min

  7. Emmanuel says:

    Quelques réflexions inspirées par le débat sur « La science fait-elle peur » par la lecture de Lacan (Les quatre discours, dont surtout celui de l’université) et Jean-Pierre Lebrun, « Un monde sans limites » et « Malaise dans la subjectivation » :
    Avec le développement de la science moderne, ce qui serait aux commandes ce ne serait plus l’énonciation du maître, son dire, mais un savoir d’énoncés, un ensemble acéphale de dits.
    Selon Claude Lefort : « La figure du maître tend à s’effacer pour céder la place à celle d’un agent de transmission des connaissances ».
    Cela correspond à ce dont on pourrait se plaindre dans les universités, de ne plus avoir de maître capables de fournir des repères et donc de nous apprendre à apprendre, mais seulement d’avoir une prolifération de compétences capables de communiquer seulement les notions de leurs disciplines respectives.
    Ce serait désormais le savoir qui ferait fonction de boussole avec une substitution : on serait passé d’un rapport maître-sujet à un rapport savoir (acéphale)-sujet.

    Il faut bien sûr différencier la science comme procédé de connaissance, du discours de la science comme lien social inauguré par ce type de connaissance (et la façon dont celle-ci s’acquiert).
    Le développement de la science véhiculerait en son sein ce dont profite le sujet pour ne pas avoir à assumer les conséquences de ce que parler implique ( les boutiques de savoir étant multiples et s’équivalant les unes les autres) : il s’agirait de la fin d’une légitimité fondée sur l’autorité de l’énonciateur au bénéfice d’une légitimité fondée sur l’autorité que donne la cohérence interne des énoncés.
    On peut aussi rappeler la phrase de Nietzsche : « Ce n’est pas la victoire de la science qui caractérise notre 19e siècle mais la victoire de la méthode scientifique sur la science ».

    On pourrait aussi penser qu’il serait mieux de distinguer science et idéologie de la science.
    Mais cette distinction implique un glissement à partir d’une science que l’on pourrait qualifier de « juste » : il s’agirait d’un dérapage par rapport à la juste limite que la science suppose.
    En revanche parler de discours de la science ne vise pas seulement un dérapage, il précise que c’est de structure que la science se prête à une possibilité spécifique de contrevenance à la Loi du langage (et du même coup à son insu la promeut) et que le procédé de connaissance qui est le sien implique d’emblée un fonctionnement en résonnance avec le louvoiement d’un sujet par rapport à la limite.

    Parler de discours plutôt que d’idéologie laisse entendre que c’est devenu partie intégrante du social aujourd’hui, qu’il ne s’agit pas seulement d’une production illusoire localisable (idéologie) mais bien plutôt d’une infiltration diffuse qui subvertit l’ensemble du tissu social.

    La méthode scientifique est en fait structurée de telle façon qu’elle engendre de facto avec sa production un scientisme ordinaire qui nous demande un vrai travail pour nous en départir.

    En résumé : l’homme de science moderne procède à ce mouvement : énoncer ce qu’il avance, pour aussitôt oublier qu’il y a eu énonciation et ne retenir que les énoncés qu’il a produits. Autrement dit effacer le dire pour ne garder que les dits susceptibles d’être transmis.
    C’est cette possibilité d’éluder l’énonciation qui autorisera le  » laisser croire » à la toute puissance de la science (relance du vœu infantile de toute puissance toujours inscrit dans la réalité psychique d’un sujet).

    2nd mai 2011 at 16 h 03 min

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