Au cours de la première semaine de Mai, le commando d’élite d’un pays démocratique avait, sous cape mais sur le sol d’un autre pays démocratique, assassiné un homme découragé qui se complaisait à feuilleter ses albums souvenirs du vif espoir de ravager la planète, le Président du premier affirmant ensuite d’une voix sûre et fière : « justice a été faite, et nous avons jeté le corps à la mer, tellement il était défiguré, respectant ainsi la coutume musulmane ». Fastoche ! L’événement, controversé, a été assez commenté dans les médias ainsi que dans d’autres espaces publics et, le dimanche suivant, le 8 du mois, c’est « L’espoir est-il désespérant ? » le sujet que l’animatrice, Sylvie Petin, a mis en discussion au Café des Phares.
La machine à citations et noms de philosophes du passé qui devaient nous sortir de l’antinomie s’est mise immédiatement à mouliner, hélas, l’espoir est chose de l’avenir, aussi nécessaire que le présent, et on s’attend d’ordinaire à ce qu’il soit généreux et point retors. A la rigueur, on pourrait libeller la question employant comme adjectif qualificatif « affligeant » ou « décourageant », tout simplement, signifiant par là une maigre conviction au sujet d’un sentiment peu rassurant, mais en aucun cas la désespérance, une paradoxale absurdité dont la contradiction réside dans le type de raisonnement sur lequel nous avons été aiguillés, d’autres situations d’ineptie possible étant par exemple : « L’amitié est-elle inamicale ? », « La moule démoulée ? » ou « La démocratie terrorisante ? », si l’on voulait s’exprimer sur l’incantation USA. Le travail de la philosophie est de chercher le sens des choses et non d’inverser leur image, nom d’une pipe.
Nous avons donc assisté à la mise en scène d’une compétition entre les amis de la sagesse, les uns côté espoir, les autres désespoir, alors que, toujours, « à quelque chose malheur est bon », parce que dans tout événement pénible se trouvent en général certains trucs dont on a la possibilité de se servir, le mal étant nécessaire pour obtenir le bien, d’où l’insuffisance du concept ; soit l’espoir agit sur le réel, soit il rejette l’idée d’un être optimiste. Guillaume d’Orange « n’avait pas besoin d’espérer pour entreprendre » et, finalement, il me semble que l’espoir n’y peut rien, en somme, du fait que le ciel parfois se lasse de rendre les Hommes heureux et, à leur bien, mêle certaines disgrâces, ne serait-ce que le mauvais temps ou quelques atomes qui leur pètent à la gueule ; c’est l’effet de « la carte forcée » du Grand Prestidigitateur, à laquelle il ne nous est pas donné de nous dérober, tandis que l’envie ou le désir agissent, certainement, car ils ont un pouvoir de résolution immédiate que l’espérance ne possède pas.
C’est ainsi que les Hérauts de l’espoir s’époumonèrent faisant question d’atteindre quelque bien en toute confiance, et peine perdue pour les Cassandres du désespoir, déterminées, elles, par le désenchantement, tandis que l’âne caresse toujours l’espoir de devenir cheval, et il a tout le temps de sa vie pour en rêver, comme les larves patientent aussi dans leur condition pour devenir papillons ensuite, et la flèche se précipite vers l’avant, anxieuse d’atteindre la cible. Quoique cet enchantement du monde soit hélas marqué par la pensée magique en tant qu’exploitation du réel, il ne faut désespérer de rien, puisqu’il nous restera toujours un sentiment de confiance dans l’avenir, tant que l’étoffe de ce qui est sera recomposé par des poètes comme La Fontaine, pour ne parler que de lui :
« Perrette, sur sa tête ayant un pot de lait, …comptait déjà dans sa pensée tout l’argent avec lequel elle achèterait cents œufs ce qui lui permettrait d’élever des poulets…, etc., etc.. Mais, ‘qui ne fait châteaux en Espagne ? Picrochole, Pyrrhus, la laitière, enfin, tous, autant les sages que les fous, chacun songe en veillant’… (Puis), quelque accident fait que je reste en moi-même. Je suis Gros-Jean comme devant. »
Enfin. Rappelons que la philosophie est une affaire de raison et pas un jeu de cache-cache. Né de la peur, l’espoir est une trousse de secours dont l’utilisation dépend des circonstances. Pour ce qui est des cœurs purs, le bonheur, lui, est là, cartes sur table.
Carlos Gravito