L’équilibre, est-ce que c’est la seule chose qui marche ?
La formulation du sujet était un peu maladroit (comme souvent le dimanche au café des Phares qui vit de l’improvisation du moment) et donnait envie de répondre spontanément : non, l’équilibre ne marche pas. Il n’existe pas « en soi » mais reflète un état d’un « objet » sensé « de marcher. Marcher comment ? Par rapport à quoi? Dans le sens de « fonctionner » ? Dans le sens « s’harmoniser » ? L’équilibre, est-ce un équilibre statique, un équilibre dynamique ? Ne faut-il pas perdre l’équilibre pour pouvoir avancer, pour laisser place au développement, à la croissance ? Le chaos et l’ordre s’affrontent. L’équilibre, synonyme d’ordre, avec le danger d’une hyperstabilité, d’un ordre mortifère, incompatible avec la croissance du vivant organique. Un ordre statufié, oppressant qui génère dans la durée des révolutions : l’histoire récente nous en donne l’illustration. L’équilibre de l’organigramme, de la marche militaire qui devient la marche funèbre. Un équilibre figé dans une bureaucratie, à maintenir à grande dépense énergétique. Sécurisant pour les uns, angoissant pour les autres. Comment maintenir certains équilibres ? Ou alors, comment instaurer l’équilibre ? Par le rythme dans la musique, nous-dit-on trop timidement, dans une de ses interventions qui donne envie d’en savoir plus. La force serait nécessaire pour maintenir l’équilibre, et nous évoquons le maintien de certains équilibres manu militari. Nécessité ou non sens ? Y-a-t-il encore « équilibre » quand la menace de mort devient nécessaire pour maintenir le statu quo ? Nous constatons le danger de la perte d’équilibre. Le chaos fait peur, ou est-ce la chute qui fait peur ? Nous n’avons pas approfondi cette nuance là, me semble-t-il. L’idée de la peur pourtant a traversé le débat. Par exemple, quand il a été évoqué que c’est quand on voudrait comprendre notre équilibre que nous commençons à vaciller. La suggestion endendue était celle de ne pas trop se soucier alors de l’équilibre, d’y aller avec une confiance de base. Le moment de friction observé à ce moment dans les échanges me semblait intéressant. Ne pas se soucier, ce serait rester inconscient ? Trop s’en soucier, ce serait de se figer dans l’inactivité ? J’ai entendu d’un la peur d’un côté de répéter, de perdurer « bêtement » dans un équilibre peut-être mortifère : comment le savoir si on ne l’interroge pas ? La peur de l’autre côté de stagner dans la peur de tomber, de chuter. Stagnation mortifère, elle aussi. L’option de la voie philosophique suggère de grandir notre champ de conscience, nous sommes d’accord ! La question qui s’impose, c’est peut-être celle-ci : Comment ne pas céder à la peur du vertige ? L’image du funambule nous a peut-être aidés. Plus l’appui est restreint, plus la recherche du maintien de l’équilibre est importante. Mais toujours, cet équilibre doit chercher appui dans le monde externe. Un témoignage a évoqué l’équilibre hyperstable trouvé dans le fonctionnement psychique qu’on appelle parfois la « folie » qui nie l’existence d’un extérieur perturbateur et qui arrive à créer un état stable, auto-centrée avec une cohérence, un équilibre d’une puissance inouïe, difficile à perturber. En restant appuyé sur la métaphore du funambule, nous introduisons un nouvel aspect dans la discussion. Pour traverser l’abîme sur son fil menu, c’est finalement sa capacité de se concentrer autour de son centre de gravité dans un environnement peu soutenant qui lui permet d’avancer. Qu’elle est le centre de gravité d’une famille, d’une équipe de travail, d’une société ? Oui, un centre de gravité est nécessaire et souhaitable. Une famille en équilibre, « ça marche », elle soutient le processus de croissance de ses membres. Pas pour tout le monde, à croire le mouvement de contestation dans le groupe en présence. L’équilibre de certaines familles n’est pas bon à vivre. Dans les familles aussi, comme dans les contextes géopolitiques, il y a certainement des équilibres de nature mortifère ou dynamique. Fonctionnement dictatorial ou démocratique ? Les unes génèrent la révolution et l’explosion, les autres grandissent dans la recherche interminable d’un vivre ensemble le mieux possible …. A croire les lois statistiques évoqués au cours du débat, 70 à 80 % vont être concernés par l’un, 20 à 30 % par l’autre état d’équilibre selon la distribution de la fameuse courbe de Gauss. Dans ce contexte, nous avons parlé d’un équilibre quasi irréductible qui veut que 80% de la richesse soit tenu dans la main de 20 % de la population mondiale. La tentation d’y voir une loi de la nature qui se distribue si souvent selon la courbe de Gauss me frôle et en même temps suscite de la révolte en moi. Je quitte le café philo avec l’idée du renversement des équilibres possible dans la nature. Le moment où tout semble basculer. Le Titanic qui coule. Le saut quantique. Quand l’ordre devient trop couteux, le chaos prend momentanément le dessus. Loi de la nature. Question d’entropie etc. La question qui se pose : quel sera l’élément structurant des sociétés humaines perdues dans le chaos ? La voie de la raison ou la peur? Dans l’après-guerre du cataclysme du siècle dernier, un « plus jamais ça » a donné la toile de fond d’un Europe qui peine actuellement à traverser une crise qu’on voudrait tellement maturative, mais qui comporte comme toute crise une valence « opportunité » ou « catastrophe ». L’avenir va montrer si nos fondements ont été suffisamment solides….. L’Europe n’est pas isolée, séparé du monde. Il ne va pas que de notre confort. Nous vivons actuellement une période forte de « redistribution » puisque les « équilibres » du monde binaire est/ouest ont été profondément perturbés par la chute du mur. Pour ceux qui s’intéressent aux débats concernant la dette des pays souverains, il est clair que le monde dans lequel nous vivons a changé. Pour moi, le problème de l’équilibre dans le monde, synonyme, je persiste à vouloir rêver, de « paix », consiste à harmoniser la cohabitation autour d’un centre de gravité qui peut être valable pour tous. Nous avons la chance de vivre dans le pays qui a été le creuset de la déclaration des droits de l’homme. Ce manifeste devrait pouvoir constituer un centre de gravité valable pour la cohésion mondiale comme la table des dix paroles l’a été pour la tradition judaïque depuis des millénaires. Est-ce que les bombes sont le moyen pédagogique le plus adapté à transmettre ces valeurs, a trouver l’adhésion des populations? Dans le public, l’avis était surement partagé, distribué probablement encore une fois selon la courbe de Gauss. Un autre débat en vue ?
Elke Mallem
21th juillet 2011 at 10 h 01 min