Après les Carnavals qui se sont déroulés un peu partout au cours du mois de Février, c’est assez cocasse d’assister, ces jours-ci, à l’engouement des candidats à la l’Election Présidentielle de Mai qui, comme d’autres toucheraient du bois pour éviter les bâtons dans les roues, vont au Salon de l’Agriculture caresser allègrement le cul des vaches, la chaleur des bovidés suppléant ainsi, en tant que vigoureux stimulant politique, à celle plus douteuse de l’électorat à tournebouler lors de leurs meetings, à l’instar de ce que, le 4 mars 2012, se préparait au Café des Phares®, où les habitués du dimanche Philo, se proposaient de câliner les idées, du genre « Qu’est-ce qu’être solidaire ? », sujet du débat que Claudine Enjalbert allait mener.
Ayant, auparavant, jeté un coup d’oeil sur le nouvel Ordre du Jour du Régiment des Phares®, qui permet au chef d’Etat Major de veiller à la discipline et rigueur des troupes, j’ai pris la mesure aussi bien de l’embrigadement que de la solitude du corps des animateurs, et il me vint à l’esprit le destin de « Jonas, ou l’artiste au travail », récit contenu dans un recueil de nouvelles d’Albert Camus, « L’Exil et le Royaume », où les deux paronymes, « solidaire » et « solitaire » apparaissent, presque indéchiffrables, en bas d’un tableau, à côté de la signature de l’auteur qui, épuisé, est mort de faim. Solitaire, me paraît être le destin de ceux qui doivent marcher au pas, solidaire devrait être l’attitude de tous ceux que ça débecte.
Il a été dit, à propos du thème proposé à discussion, que « dépasser son intérêt personnel est le propre de l’être humain, une bête ne pouvant pas être solidaire d’une autre bête », d’où « l’intérêt de remplacer ‘solidarité’ par ‘fraternité’, plus universel », car « ‘solidarité’ est une hypocrisie qui se résume à l’action », ce qui reste à démontrer, suivi d’« un tas d’autres bonnes intentions », impliquant « la nécessité de définir ce que c’est ‘l’autre’ », du fait que « la ‘solidarité’ demande de la ‘solidité’ », « la soudure avec autrui », et « pas seulement un humanisme » ; une « aide réelle qui ne soit pas de la charité ». On a évoqué alors la « Tontine Chinoise (‘Hui’) », un réseau communautaire de prêts successifs, et « le ‘Système de Retraites’ dans les pays développés », en raison « du mal que l’on a à aller vers l’autre (moi-même) en difficulté, par manque de ‘conscience de groupe’ », « un sentiment défaillant aussi au niveau du pouvoir ». Il s’agissait là, de « ‘solidarité positive’, alors qu’il y en a d’autres, négatives, telles que celles des ‘caïds’, ‘clans’ et ‘mafias’ régies par ‘la loi du silence’», évoqués « dans ‘Le Nègre’, film de R. Polanski, ou ‘les bavures policières’ sont tues, en raison d’une appartenance corporative » et par le « ‘je me révolte, donc nous sommes’, une valeur collective des existences, exprimée par Camus dans ‘L’Homme révolté’ », ainsi que par le « vécu des Camps de Concentration où, voués à un même destin, la mort, les prisonniers se trouvaient confrontés à la déchirante alternative : ‘c’est moi, ou l’autre ?’ qui mettait en question le problème de la ‘solidarité fondamentale’ ». Finalement, nous nous sommes de nouveau retournés vers le cinéma, cette fois-ci, « Le Pianiste », une autre production de Polanski, épilogue du drame de Varsovie et son ghetto, où le musicien Wladyslaw Szpilman, malade et affamé, est sauvé par un officier allemand, en raison de son talent.
On a parlé encore de « l’égoïsme dans la solidarité », « des méthodes brutales au cours de la guerre d’Algérie » et on finit par là où l’on devait commencer, l’étymologie du mot, qui ne serait ni « devoir » ni « dû », mais « solide », qui vient du langage juridique « in solido » (pour le tout), c’est-à-dire, « responsable envers le tout », suivi d’un vers de Gilles : « …du ‘je’ à l’autre, l’humain d’abord ; l’humain est demain, solidaire… »
Résultat des courses : les bons sentiments reposant sur un calcul rationnel qui permet d’adapter les moyens aux fins, c’est-à-dire, aux objectifs privés à porter sur le devant de la scène, il est manifeste que, l’état de nature correspondant à un isolement complet de l’individu, il s’en suit l’égalité du droit de se nuire mutuellement, d’où il ressort que l’autre constitue éventuellement une menace pour soi (homo lupus hominem), raison pour laquelle les Hommes deviennent solidaires, non par nature mais par besoin.
Ainsi, l’inégalité fondant de gré ou de force la solidarité, elle apparaît dès lors comme une condition de survie, au vu du spectacle d’un monde dont la pierre angulaire est le cynisme de « la main invisible » et où le pauvre d’un pays riche est plus riche que le riche d’un pays pauvre, un « chacun pour soi », qui semble nous convenir, autrement on se révolterait.
Si, face à ces aléas de la vie, nous ne pensons la solidarité qu’en fonction de l’Etat Providence aussi bien que son dépassement par l’Humanitaire, les ONG, la Globalisation, la Solidarité Verte, le Secours Populaire, les Restau du Cœur, l’Abbé Pierre et les Compagnons d’Emmaüs, nous ne sommes pas sortis de l’auberge. La Solidarité est fondée sur un cheminement intellectuel, des savoirs, des raisonnements, même d’un analphabète. Pourtant, confisqué par la pratique politique, le mot nous apparaît tout à coup sous des nouveaux habits, revêtu d’un sens philosophique, alors qu’il s’agit d’affaires sociales. Si l’on en ressent le besoin d’en parler, c’est qu’il est sociologiquement problématique car, question d’éducation, information ou compétences, la réalité résiste à nos rêves d’êtres humains, mais point aux forces naturelles, ce qui fait qu’elle est à la fois possible et improbable puisque partager, aider, accompagner, soutenir, accepter, intégrer, protéger, se soucier, ne survient pas naturellement dans l’esprit de l’humain. La solidarité n’est pas spontanée ; c’est une victoire sur l’égocentrisme, une construction sociale, une conquête fragile de la civilisation. Pour qu’elle se produise dans la société, trois conditions : Faire partie du vouloir, avoir une forme de réciprocité, constituer une sorte de contrat social obtenu au cours de certaines luttes. Ce n’est pas une question de sensibilité mais d’un savoir, dont le contenu est un principe éthique.
L’Homme veut la concorde, parce que la nature veut la discorde et, dans ce sens, la Solidarité est un calcul qui ne peut pas être fondée sur la raison, ni sur un coup de cœur, ni sur les sentiments. Il s’agit d’une vision du sens de l’existence, des pratiques entre individus chez lesquels le partage ne correspond pas à une pensée cohérente, chacun étant tenté de sauvegarder avant tout ses intérêts personnels ; ne penser qu’à soi, et agir de mauvaise foi.
Les humains sont solidaires, non par altruisme, mais par besoin, la notion de société désignant déjà un groupement d’individus dépendant les uns des autres, et agissant en conséquence, pour le bien commun. Ils y trouvent leur compte, la « démerde », c’est-à-dire, le « chacun pour soi et Dieux pour tous », constituant une attitude plutôt égoïste, témoin d’un « ego » qui frôle l’arrogance narcissique.
Par solidarité, peut-être, le corbillard ne boit jamais de bière, l’électricien a des ampoules aux pieds et, tandis que les Chrétiens lisent la Bible, par solidarité, les Musulmans lisent le Coran et les Africains le Livre de la Jungle. Par solidarité, le magicien porte sa baguette chez le boulanger et lorsque celui-ci fume un pétard, c’est le pétard qui est défoncé… Ainsi va la vie.
C’est par solidarité, peut-être, sachant en 1789, que les paysans n’avaient pas de quoi manger, Marie Antoinette n’aurait fait que répéter la phrase que Jean-Jacques Rousseau avait mise dans la bouche d’une autre princesse dans les « Confessions » (1782), « S’ils n’ont pas de pain, qu’ils mangent de la brioche ». Marie lisait…
Par solidarité, tout court, il me vient à l’esprit l’attitude d’un Père Noël qui, en Mission Humanitaire à Addis-Abeba, demanda, dans un orphelinat :
- Pourquoi les enfants sont si maigres ?
- Parce qu’ils ne mangent pas.
- Ah ! Celui qui ne mange pas, n’aura pas de jouets !
Carlos
Elke says:
« in solido » (pour le tout), voilà une précision précieuse! je n’ai pas le temps cette semaine d’approfondir, mais je tiens à signaler que je trouve ce compte rendu bien riche Il m’a aidé à consolider certaines intuitions qui se fraient un chemin pour devenir « sol » pour de nouvelles convictions. Parce qu’il en faut pour agir, n’est-ce pas, dans ce monde secoué.
6th mars 2012 at 8 h 51 min
Pierre says:
Je constate avec plaisir que le compte rendu est en effet riche et clair !
Je rejoins l’idée d’une solidarité par intérêt car je pense que l’homme n’est pas, par nature, un animal fait pour vivre en troupeau, il a, certes, su coopérer pour sa sécurité et la quête de nourriture mais aujourd’hui ces besoins sont satisfaits et l’une des raisons du malaise sociale vient sans doute de cette « solidarité forcée » : vivre en trop grand nombre sans véritable buts ou valeurs communes.
Chaque relation humaine est cimentée par la concordance d’intérêts qui, rappelons-le, ne sont pas forcément pécuniaires (même si notre société malade a donné à la définition même du mot une place dans la finance !).
Ce que nous appelons solidarité semble donc être paradoxalement égoïste comme indiqué dans le compte rendu et bien loin de « la responsabilité du tout ».
Par exemple, en donnant chaque mois à des associations caritatives, j’ai conscience d’agir dans une quête de soulagement spirituel. On peut également constater que plus un mal est susceptible de nous atteindre, plus nous sommes « solidaires » (mobilisation pour le cancer augmente avec l’âge, les ados se mobiliseront plus volontiers vers la lutte contre les MST) ainsi ce que nous appelons solidarité relève plus de la peur. Notre « civilisation » semble avoir encore changé le sens d’un mot à son avantage, l’élan solidaire sincère se raréfie, tout comme les actions ou valeurs communes. Nous sommes de plus en plus proches et nombreux et paradoxalement de plus en plus seul !
J’aimerais également revenir sur le débat, mais cette fois, pour m’opposer au consensus anti-mafias un peu trop enrobé de valeurs culturelles qui, à mon sens, sont contestables. Je ne dis pas soutenir toutes les actions de ces groupes mais j’ai trouvé leur jugement un peu hâtif et trop enclin au dualisme, vouloir trancher entre bien et mal avec pour unique vision… La nôtre !
C’est au nom de la non-violence que tout le monde les condamne mais au fond où est la vraie violence ? L’homme assassiné pour trahison ou le Grec condamné à vivre et nourrir sa famille avec un smic de misère ? La star qui, dans sa consommation excessive, pille et dégrade sa planète sans s’en rendre compte ou l’indigène las de voir sa foret disparaître qui finit par tuer ? (Un autre exemple en image : http://www.raoni.fr/actualites-75.php ).
La violence de leur actions reste donc pour moi subjective et j’y vois surtout un des plus pur exemple de solidarité !! Contrairement a ce qui a été dit ça n’est pas la loi du plus fort qui a forgé ses groupes mais la solidarité, la vraie. Il y a toujours eu derrière une idéologie souvent en réponse aux manques du système en place. Combien d’entre vous pourraient mourir ou tuer par solidarité ? Combien partagent autant qu’ eux intérêts et des valeurs communes ? Les mafias sont justes comme nos démocraties : un peu trop vieilles, encrassées et dégradées ! Mais dire que leurs actions sont mauvaises et de ce fait, ne pas vouloir les qualifier de solidaire me paraît simplement faux !
Pour conclure avec une pointe de politique, je pense que l’humain n’est pas solidaire par nature mais le devient, en effet, par intérêt. C’est pourquoi, il me paraît vain de critiquer « La main invisible » qui, elle, par contre me semble bien dans sa nature. En revanche, nous nous devons d’y ajouter de l’éthique en en faisant un réel intérêt commun ! Une vraie solidarité dans une nouvelle société !! Et pour cela, la philosophie devra tenir son rôle dans l’amorce souhaitable d’un changement de valeurs !!!
Merci pour le débat et le compte rendu.
6th mars 2012 at 13 h 17 min