Le débat du 27 juillet 2014 : « L’héritage de l’histoire », animé par Philemon.

4 comments

Posted on 25th juillet 2014 by Gunter in Uncategorized

Le débat du 20 juillet 2014 : « Ramer à contre-courant », animé par Gunter Gorhan.

3 comments

Posted on 16th juillet 2014 by Gunter in Uncategorized

Le débat du 13 juillet 2014 : « Existons-nous en dehors des rôles que nous jouons ? », animé par Gérard Tissier.

4 comments

Posted on 12th juillet 2014 by Gunter in Uncategorized

Comment faire vivre la philosophie dans la cité ? (Gunter Gorhan)

0 comments

Posted on 8th juillet 2014 by Gunter in Textes

Comment faire vivre la philosophie dans la cité ?

« Tout ce qui ne se régénère pas dégénère »
Edgar Morin

Comme je m’ennuyais en tant qu’enseignant de droit à l’université Paris I et que j’avais beaucoup de temps libre, j’ai continué mes études, d’abord en philosophie puis en psychologie clinique. Arrive mai 68, je m’engage à fond, croyant avec beaucoup d’autres que « tout est politique ». La déception due à l’échec politique de mai 68, a provoqué des dépressions, voire des suicides. Elle m’a fait allonger, comme bien d’autres, sur le divan du psychanalyste, car tout était devenu psychologique !

Automne 1992: je tombe par hasard sur le tout récent café-philo des Phares où animait son fondateur Marc Sautet, et j’ai compris alors que mai 68 avait été en fait un gigantesque café-philo, à l’échelle de tout un pays… J’avais retrouvé plus de 20 ans après, sous la bienveillante « direction » de Sautet, l’ambiance de mai 68. A propos de « direction ». A un journaliste qui lui demandait: « vous aimez bien diriger, n’est-ce pas ? », Marc répondit: « oui, mais comme chef d’orchestre », sous-entendu, comme quelqu’un dont la tâche consiste à mettre en valeur les musiciens. Il était très content lorsque quelqu’un en savait plus en histoire de la philosophie que lui-même ou lorsqu’on le critiquait, puisqu’on n’apprend que de ses contradicteurs.
Mai 68 ressuscité dans un café signifie que les mêmes questions y étaient – et sont toujours – posées, qui peuvent toutes se résumer ainsi : « qu’est-ce que vivre vraiment ? », question à la fois psychologique et politique, c’est-à-dire philosophique.
La philosophie n’articule-t-elle pas le souci pour le « tout » (la société, le collectif, le monde) avec celui du singulier (individu, sujet, âme), autrement dit le politique et le psychologique ?
« …les cafés-philo sont des microcosmes de la république. On y participe non pas pour subir un examen ni même pour apprendre, mais pour tenter, avec d’autres bonnes volontés, d’arracher le maximum de sens aux absurdités et aux brutalités du monde. N’est-ce pas là, après tout, la définition même de l’activité philosophique ? » (Christian Godin) Et aussi : « n’importe quelle interrogation, même naïve, n’importe quelle réponse, même naïve, surtout naïve, peut avoir un sens, une dimension philosophique… Que les gens philosophent dans les cafés-philo, ne signifie pas qu’ils soient des philosophes comme Descartes, mais qu’ils sont capables de se poser les mêmes questions que lui. » (id.)
Socrate était à la fois philosophe et psychothérapeute, voire précurseur des psychanalystes; en tout cas c’est ainsi qu’Alain Badiou l’interprète dans sa République de Platon. Lacan – « je ne suis qu’un sujet supposé savoir » – et Socrate – « je sais que je ne sais rien » – revendiquent l’ignorance comme fondement de leur savoir « thérapeutique », de leur maïeutique. (l’art d’accoucher)…

Il s’agit donc de faire vivre la philosophie, comme il s’agit de faire vivre l’histoire et la culture en général; trop souvent l’une et les autres sont académisées, statufiées, tuées!
Il n’y a que la vie qui m’intéresse : « Celui qui a pensée ce qui est le plus profond, aime ce qui est le plus vivant » (Hölderlin).
Mais de quelle vie s’agit-il ?
Non pas, bien sûr, de la vie biologique, mais de la vie spirituelle, étant entendu que l’on ne peut séparer – on peut et il est pertinent de les distinguer – le corps de l’esprit.

Comme cause de la diffusion de la philosophie dans la cité, c’est un lieu commun que de noter la perte de l’adhésion aux idéologies, que celles-ci soient religieuses ou politiques, perte ayant pour effet une désorientation générale. C’est tout à fait exact, mais il convient d’ajouter qu’une idéologie inédite dans l’histoire a émergé qui avance « masquée », qui est fondée sur le déni, qui ne dit pas son nom : l’idéologie de l’absence de toute idéologie selon laquelle les faits en tant que tels, sans avoir besoin d’être interprétés, peuvent et doivent servir de guide pour l’action, de boussole.
Les réalistes, les factologues, veulent nous faire croire qu’ils sont simplement pragmatiques, purs de tout jugement de valeur, de toute idéologie, obéissants seulement aux faits, cf. le fameux TINA de Madame Thatcher : « There is no alternative », « Il n’y a pas d’alternative », alors qu’en réalité ils servent l’idéologie hyperlibérale.
Les lieux de la philosophie dans la cité, en dehors des cafés-philo exportés dans le monde entier : centres culturels, théâtres, cinémas, foyers pour jeunes travailleurs, prisons, maisons de retraite, clubs de troisième âge, hôpitaux psychiatriques, entreprises, etc. Un ami, prof de philo, lance des sujets de réflexion quand il fait la queue quelque part (guichets, magasins), et un animateur provoquait, il y a quelques années, des débats-philo dans le métro parisien…

Je propose quatre parties :

1.Quelques affirmations de ma part – d’où je parle, c’est-à-dire mes convictions et ma seule certitude.
2.Ensuite, la parole est à vous, je me tairai pendant un certain temps, j’écouterai vos objections, commentaires, questions, etc…
3.Je répondrai le mieux possible, je préfère le sur-mesure aux cours magistraux.
4.Un échange entre nous, comme dans un café philo; je ne serai plus qu’un « primus inter pares », un participant avec un rôle un peu particulier, mais surtout pas un « expert ès vérités »!

I) Ma certitude et mes convictions:

1) Ma (seule) certitude :

Vivre c’est croitre, spirituellement au sens indiqué ci-dessus. Nous croissons physiquement jusqu’à la fin de la puberté et, si tout se passe bien, nous continuons alors à croitre spirituellement. C’est la philosophie, telle que définie par Kant, qui en est le moteur puisque sa fonction, sa finalité est selon Kant « l’élargissement de l’âme », autre nom pour la croissance spirituelle. Merleau – Ponty en est proche : la philosophie consiste à réapprendre à voir, étant entendu que « voir » aux yeux de Merleau – Ponty signifie tous nos sens, le percevoir et le sentir en général. Il faut réapprendre car notre éducation, notre socialisation, a largement émoussé, voire détruit notre sensibilité. Bernard Stiegler a sous-titré l’un de ses livres : « La catastrophe du sensible » (De la misère symbolique). Nous observons la résultat de cet émoussement des sens et de la sensibilité un peu partout : la musique est de plus en plus forte, les mets de plus en plus épicés, les films violents, la pub spectaculaire, le « jeux sexuels » excitants; lorsque la réceptivité s’émousse il faut augmenter les stimuli…
Spinoza est ambigu: le conatus hésite entre la simple auto-conservation et l’augmentation de la puissance, de la vitalité joyeuse. Selon Pascal, « l’homme passe infiniment l’homme ». Dante invoque le « trasumanare » (transcender l’humain). Et pour Alain Badiou c’est l’infini qui constitue l’homme.
Plutôt que de croissance, il s’agit d’une véritable métamorphose, d’une conversion, d’une renaissance grâce à une philosophie vivante :
« Car cet ébranlement des consciences, qui peut faire vaciller la cité dans la folie, rend à la philosophie sa vocation première : celle de la recherche de la vérité en commun. C’est sans doute pour cette raison que son exercice s’accompagne d’une visible jubilation. Oui, de jubilation ! Du moins est-ce ce que je peux observer depuis que j’exerce mon activité…C’est un plaisir très particulier, mais à l’évidence, intense, qui fait ressembler [les participants] à des rescapés; ils semblent sortir d’un coma. La source de leur plaisir doit s’approcher du sentiment qu’éprouve celui  qui se rend compte qu’il est encore en vie, qu’il a échappé à la mort. Il y a là un bonheur simple : celui d’exister après avoir frôlé le pire, et de le savoir. D’où, je soupçonne, la gratitude qu’on manifeste envers ma manière de pratiquer la philosophie » (Marc Sautet Un café pour Socrate », p. 121).
Nous sommes tous, que nous le sachions ou pas, comme des chenilles désireux et capables de devenir des papillons, des bourgeons de devenir des fleurs…
D’ailleurs, contrairement à une croyance très répandue, la maïeutique (l’art d’accoucher) de Socrate, ne consiste pas à accoucher autrui de ses idées seulement, mais de lui-même, du papillon ou de la fleur en gestation en chacun. C’est pour cela (cf. ci-dessus) qu’Alain Badiou rapproche Socrate du psychanalyste, accoucheur « spirituel » contemporain.
Le dernier Michel Foucault, sous influence de Pierre Hadot, chargeait la « vraie » philosophie, qu’il nommait « spiritualité », de la tâche de convertir la personne entière à la vérité (cf. L’herméneutique du sujet).
Pour Marcel Gauchet, une mutation anthropologique, une métamorphose des hommes, est devenue une condition de survie de l’espèce…

2) Mes convictions :

Überzeugen » (convaincre) signifie en allemand : trouver de meilleurs témoins. Je  me laisse « überzeugen » par celui qui trouve des meilleurs « arguments » au sens le plus large possible. Ils peuvent consister en exemples, expériences, images, métaphores, voire associations, etc. Par définition, je peux changer de conviction et je ne demande que cela si je vis vraiment ma certitude au lieu seulement de la penser abstraitement, à savoir que vivre c’est croître et c’est en changeant de convictions qu’on a une chance de le faire vraiment, de croitre.
a) L’animateur ne peut être neutre, il n’est pas en position de surplomb. Toute reformulation, apparemment neutre, « objective », est en réalité une prise de partie forcément subjective : on ne peut tout reformuler, on fait un tri, on résume, on dit avec d’autres mots.
En plus, tout animateur « formate » son public qui s’adapte (inconsciemment) à sa façon de faire, à ses préférences, rejets, susceptibilités, etc. C’est pourquoi le nombre d’animateurs au Café des Phares est passé de quatre à une quinzaine et nous cherchons à l’augmenter encore – en dehors du bénéfice que le plus de caféphilistes possibles deviennent cor-responsables de l’animation.
Le même formatage s’observe en psychanalyse : les Freudiens, Jungiens, Lacaniens, Winnicottiens, etc., ont des analysants freudiens, jungiens, lacaniens, etc…
b) Je n’ai pas de méthode au sens propre du mot, tel que (la plus répandue) : Problématiser, Conceptualiser, Argumenter. Je m’inspire de Wittgenstein qui compare la réflexion philosophique à un voyage : on arrive dans une ville dont on n’a pas la carte, on erre et peu à peu un relief se dégage : le centre, les grands axes, les différents quartiers, etc.
« La stérilité menace tout travail qui ne cesse de proclamer sa volonté de méthode » (R. Barthes), et aussi  « caminante, no hay camino, se hace camino al andar », en français: « Marcheur, il n’y a pas de chemin, le chemin se construit en marchant » (Antonio Machado).
Au sens très large, il s’agit peut-être d’une méthode ou plutôt d’un style, à savoir concevoir l’échange de réflexions comme un échantillon de la vie, comme un reflet de la vie pour laquelle nous ne possédons ni méthode ni mode d’emploi. Les recettes de bonheur philosophiques proposées ici et là ne marchent pas, pour une raison simple : le bonheur vient de surcroît, s’il est visé directement, on peut être sûr de le rater comme on n’arrive pas non plus à s’endormir par volonté.
Il faut improviser, au café-philo comme dans la vie, avec un seul critère/repère : devenir plus vivants, c’est-à -dire croitre, devenir plus créateurs individuellement et collectivement, le verbe latin « crescere » signifiant à la fois croitre et créer…
c) Bien que souvent réclamé, je m’oppose aux définitions préalables et ceci pour trois raisons: – ne pas imposer une seule définition. Aucune ambiguïté lorsque je demande « passe-moi le sel ! » ou  »quelle heure est-il ? » En revanche, lorsqu’il s’agit  de la réalité symbolique chacun parle sa propre langue formée par toute son histoire, son environnement, etc. Pour ne citer qu’un seul exemple : Pour Saint Augustin, l’amour est ce qui est le plus important, et pour Céline c’est ce qui met la transcendance à la portée des caniches. J’observe les mêmes incompréhensions lorsque l’échange tourne autour de notions comme la liberté, la démocratie, la vérité, etc.
Que nous parlions tous notre propre langue et que nous devions nous traduire les uns les autres est une découverte importante des caféphilistes. C’est encore Wittgenstein qui a eu cette intuition lorsqu’il a conseillé : »don’t ask for the meaning, ask for the use ! » « Ne demande pas le sens d’un mot mais son usage », c’est beaucoup plus concret, plus facile à comprendre et à traduire qu’une abstraction.
Ainsi, chaque échange réflexif est une aventure sémantique, une création de sens, une conceptualisation vivante et non pas un jeu de meccano avec des concepts figés, au fond exsangues et morts.
Hegel est toujours invoqué à tort par ceux qui exigent « la rigueur des concepts », lui-même ne connaissait que le travail et la patience du concept. Autrement dit, la conceptualisation, la mise en mouvement, la vivification de la langue philosophique où conceptualisation et poétisation deviennent pratiquement indistinguables.
Le poète tout comme le philosophe ou plutôt philo-philosophe ( amoureux/ami de la philosophie que nous sommes tous) tente de porter au langage l’indicible; ils sont tous les deux dans une « Sprachnot », une « détresse langagière », les mots pour le dire leur manquent.
Nous savons également que les « concepts » étaient et sont toujours à l’origine des métaphores : l’idée platonicienne correspond au gabarit, au modèle dont se sert l’artisan (le modèle, le dessin d’une table, d’un vêtement, à fabriquer), la psyché correspond au dernier souffle du mourant, le rhizome deleuzien s’oppose à l’arbre de la métaphysique cartésienne… Dans nos échanges réflexifs nous faisons vivre la langue philosophique, nous ne nous contentons pas de l’utiliser comme on utilise les billets de banque usés qu’on échange sans même les regarder, examiner…
d) La différence capitale, fondatrice, entre exactitude et vérité : la philosophie n’a rien à dire au sujet de l’exactitude qui est de la compétence exclusive des sciences dites justement « exactes » et non pas « vraies ». Comme le français, d’ailleurs, l’anglais et l’allemand distinguent la vérité et l’exactitude (richtig et wahr, right et true). « Deux et deux font quatre » est exact (right, richtig) et non pas vrai (true, wahr).
Une métaphore: si la France représente la réalité, la science représente alors la carte qui est purement descriptive, elle ne nous dit pas dans quelle direction il faut aller. C’est la boussole – au sens figuré de direction de vie, de sens choisis –, chacun ayant la sienne, qui représente dans cette métaphore la philosophie (à côté de l’art et de la religion, selon Hegel) . Autrement dit, il est impossible de déduire ni d’induire de ce qui est, constaté par la science, ce qui « doit » être, ce qui serait bien qu’il soit.
Encore Wittgenstein, non seulement philosophe mais aussi logicien et scientifique : « et même si la science répondait à toutes les questions qu’elle se pose, celle du sens de la vie ne serait même pas effleurée ». Et Einstein : « Il est scientifiquement indécidable si le monde mérite d’être détruit ou pas ». Autrement dit, vouloir répondre aux questions que pose la vie par la science équivaudrait à vouloir écrire un roman avec un tourne-vis !
L’histoire de la philosophie, contrairement à la philosophie vivante dans la cité, est une expertise, elle ne relève pas de la vérité. Nous l’illustrons par une métaphore : au Louvre sont exposés les grands maîtres – correspondant aux deux ou trois philosophes par siècle – , les guides du musée sont les profs de philo qui expliquent les influences, conflits, enjeux de l’histoire de la philosophie, et nous, les caféphilistes, somme les peintres amateurs, les philo-philosophes qui faisons de la philosophie : « que les gens philosophent dans les cafés-philo, cela ne signifie pas qu’ils soient des philosophes comme Descartes, mais cela signifie qu’ils sont capables de se poser les mêmes questions que lui » (Ch. Godin, cité ci-dessus).

e) Mais qu’est-ce donc que la vérité ? Elle est subjective et elle est à faire, à mettre en œuvre. Qu’elle est subjective signifie que personne ne peut s’arroger une autorité dans ce domaine – contrairement à la science et à l’histoire de la philosophie. C’est le sens du « Je sais que ne sais pas (la vérité de l’autre)  » de Socrate.
La vérité s’exprime plutôt sous forme adjective : « la vraie vie est ailleurs » (Rimbaud) et « la vie, la vraie vie enfin retrouvée » (Proust). Alain Badiou a identifié 4 processus de vérité (à faire, à réaliser), déclenchés par un événement faisant effraction dans une vie répétitive, pas vraiment vivante…

f) L’animateur doit s’intéresser autant aux personnes qu’aux idées que celles-ci expriment.
Il s’agit de créer une atmosphère plutôt chaleureuse, désinhibitante, propice à l’échange; un certain nombre de caféphilistes sont intimidés, anxieux de parler en public. Les Grecs appelaient cette façon de philosopher « symphilosophein », philosopher ensemble, au lieu de philosopher les uns contre les autres et permettre ainsi aux idées exprimées de s’enchaîner par stimulation mutuelle : « ce que tu viens dire me fait penser à… », plutôt que de se livrer à un combat d’arguments.
Comment créer une telle atmosphère propice aux échanges sans que l’animateur s’intéresse authentiquement aux singularités incarnées ? Difficile de faire semblant…
Je préfère d’ailleurs le terme de « méditation philosophique » avec des silences féconds qui permettent de se concentrer, à « débat philosophique », puisqu’on ne se bat pas au café- philo.
L’animateur qui ne s’intéresse qu’aux idées et non pas aussi aux subjectivités qui les expriment pratiquerait une maïeutique au forceps, donc totalement contre-productive : il n’accoucherait les caféphilistes que de ses « idées/bébés » à lui-même; il est vrai que le Socrate de Platon procède parfois de cette façon brutale, à l’opposé du Socrate-psychanalyste d’Alain Badiou. Autrement dit, comment aider à accoucher l’autre non divisable entre idées abstraites et vécu concret sans être le plus attentif possible à sa personne, à sa subjectivité ?
Cet intérêt pour l’autre n’est donc pas une exigence formelle, morale, mais une condition du surgissement même d’une vérité au cours d’un partage de réflexions, de méditation philosophique. D’ailleurs, l’animateur n’apprend lui-même de ses animations, et il me paraît important qu’il en apprenne, que s’il s’intéresse aussi aux personnes, à leur manière singulière et forcément inédite de « conceptualiser », de faire vivre la langue philosophique.

g) La méditation philosophique au café ou ailleurs est différent d’une conférence philosophique; il ne s’agit pas de les opposer, au contraire (cf. ci-dessus la métaphore du Louvre) : plus on philosophe soi-même plus on est apte et désireux d’écouter et de lire les maîtres, leurs disciples et leurs porte-parole. Je sais à la fin d’une conférence si elle était féconde pour moi, si mon « caddy spirituel » est resté vide, rempli de « camelote » ou de choses précieuses…
Le café-philo, la « méditation philosophique », quelque soit son lieu, est bien différent : il ne vise pas à remplir d’idées et de pensées philosophiques, il vise à faire penser; il n’est que la partie visible de l’ »iceberg ». L’essentiel se joue après qu’il soit terminé : si j’y pense encore des jours, semaines, mois, voire années après, c’était un bon échange, sinon (je n’y pense plus le lendemain) c’était mauvais. La méditation philosophique c’est comme le cinéma; on ne peut savoir, lorsque l’écran s’éteint, s’il le film était bon ou pas, il l’est seulement si j’y pense encore des jours, semaines, etc. après.

h) Pour finir, la question principale quant à l’animation d’un lieu de la philosophie dans la cité me semble être : quelle est la finalité prioritaire de toute cette aventure? Aménager des structures ou rouvrir la Source ? De quoi souffrons-nous de plus aujourd’hui ? D’un manque de cohérence, de rigueur, de logique, de maîtrise dans nos raisonnements, ou d’un manque d’inspiration ? Manquons-nous de cadres ou d’énergie vitale ? Sommes-nous menacés par le chaos dionysiaque ou par une grande fatigue existentielle qui cherche surtout sécurité, santé et propreté, à se protéger de la vie ? Sommes-nous menacés par la bête en nous ou par le robot ? Hölderlin : « Ce qui coûtait aux Grecs c’était de s’élever au-dessus de l’existence terre-à-terre. Ce qui nous coûte c’est de revenir au monde d’ici-bas. » Et Nietzsche-Zarathoustra s’adressant au dernier homme : « vous avez encore assez de chaos en vous pour accoucher d’une étoile qui danse ! » L’équilibre entre Apollon, le dieu des formes, des structures, et Dionysos, le dieu de l’énergie vitale, a été rompu au détriment du dernier,
Il est possible voire probable que la philosophie pour enfants qui connaît un grand succès soit mieux inspirée par l’aménagement de structures : méthode, cohérence, logique, que par une philosophie plus poétique, inspirée, à contre-courant des façons de penser trop structurées, désireuses de structures et de maîtrise…Mais concernant les adultes ? Ceux d’aujourd’hui ?
La façon d’animer correspond à la personnalité de l’animateur : « la philosophie qu’on a dépend du type d’homme qu’on est » (J.C. Fichte, grand philosophe idéaliste allemand entre Kant et Hegel); est-il possible que l’animateur « joue sur les deux tableaux » et qu’il anime en fonction des participants : « apollinien » quand il le faut et « dionysiaque » quand c’est nécessaire ? Insister sur, promouvoir, à tour de rôles, les structures de la pensée ou « l’énergie spirituelle » (H. Bergson), la source vitale (Nietzsche) ?
La philosophie dans la cité devrait être aussi le lieu où l’animateur évolue, croît, devient vraiment ou davantage vivant, et où il apprend à se décaler sur ce qu’il n’est pas afin d’articuler, tisser les deux, Apollon et Dionysos, montrant ainsi par l’exemple que vivre c’est croître et qu’il philosophe, au fond, « pour sauver sa peau et son âme » (A. Comte-Sponville).

Gunter Gorhan, juin 2014

La question du travail (Jo Strich)

1 comment

Posted on 8th juillet 2014 by Gunter in Textes

La question du travail. Diner-philo, chez Odile Chiroix
par Joseph (Jo) STRICH

Le travail libérateur-vivifère, ou aliénant-mortifère? Un débat diner-philo, après les gouters-philo pour enfants/ados, une nouvelle formule, à l’initiative d’Odile Chiroix et Gérard Renard, qui ont reçu récemment chez eux, place d’Italie, autour d’un repas chaleureux et délicieux tout à la fois (pour en revenir à une tradition ancienne?), une douzaine de participants et quelques intervenants, dont l’écrivain Claude Berger, qui vient de publier chez l’éditeur Max Chalel (également présent) un essai critique sur le système salarial (En finir avec le salariat/vers une société de partage), et Gérard Foucher, auteur d’un livre sur la monnaie.
Une monnaie qui est  »un outil politique (d’oppression) avant d’être un outil économique », et qu’ « il faut changer … pour changer le monde », nous dit en substance Gérard Foucher, qui conclura en ces termes (prémonitaires d’une nouvelle Révolution Française?): « on est à un stade où on est capable de reprendre notre autonomie, nous sommes en train de vivre la trasition ».
Une préoccupation et une aspiration communes à toute l’assitance et à Claude Berger, pour qui la  crise du capitalisme que nous traversons est en fait une crise du salariat, une crise non conjoncturelle mais structurelle, et l’utopie est de croire à la perennité paisible du système actuel, qui a inventé la précarité et le chômage de masse, pour répondre à l’extention des revendications salariales (« le système n’arrive plus à enrégimenter la masse des candidats au travail salarial »)..
Car, dit-il, le travail salarié, le travail marchandise concurrentielle, n’a rien de naturel, c’est une invention datant de la fin du 14 è siècle, et comme tel, il est voué à disparaître, comme avant lui l’esclavagisme et le servage (Marx: « le capital et la salariat sont liés l’un à l’autre et disparaitront ensemble; il est donc absurde de parler de capitalisme sans salariat », in « les fondements de la critique de l’économie politique »).
Berger oppose à la « mythologie progessiste », (la question de l’abolition du salariat dans l’oeuvre de Marx a été censurée par la gauche), qui prône tout le contraire d’une véritable association entre travailleurs, de nouvelles solidarités, telles qu’elles ont été expérimentées, pas toujours avec succès il est vrai, dans les kibboutz en Israël ou durant les trois années de révolution libertaire en Espagne (1936-1939). Des modèles certes, mais attention au salariat d’Etat, qui est un salariat privé en pire. L’exemple à suivre aujourd’hui est plutôt celui des kibboutz urbains, et, en France, d’autres formes coopératives de production, qui vont dans le bon sens.
« Il ya une nécessité d’affirmer l’objectif de la fin du salariat contre les idées de la gauche et des syndicalistes, qui n’ont qu’une revendication: la recherche de l’emploi à tout prix, pour des produits dont on n’a pas forcément besoin », me dira lors d’une interview après le débat Claude Berger, qui cite comme exemple l’idéologie de la voiture pour tous.
Quelques remarques pertinentes de G. G. avant le débat y ont été rapportées, sur la problématique du travail, qui détruit aujourd’hui les métiers des classes moyennes après avoir dépouillé, avec l’industrialisation, les paysans et artisans de leur savoir-faire.Suppression de toute subjectivité/créativité, du sens du travail, devenu un job, un moyen de subsister, et non plus de se réaliser.
Et bien sûr l’incontournable Hegel en la matière avec sa théorie du maître et de l’esclave, le seigneur et son valet: le valet  l’emporte finalement sur le seigneur qui, devenu dépendant de son valet, se laisse servir par lui,  lui qui a acquis  connaissance et  maîtrise du réel par son travail (cf. le film « the Servant »).
Nous ne nous sommes pas limités à une description sociologique, psychologique, anthropologique, du travail, nous n’avons pas parlé des travaux publics, de ceux des champs, artistiques ou scolaires, ni des salles d’accouchement dites de travail ou des working girls, à peine du travail sur soi. Mais nous avons commencé à explorer, timidement je l’avoue, les possibilités d’épanouissement par le travail, après en avoir ciblé les formes aliénantes: la division, la consommation et les loisirs devenus l’objectif ultime du travail, sa fin. Sans omettre de citer la bible: Adam et Eve condamnés à vivre à la sueur de leur front (=travailler) (le travail vient etymologiquement de tripalium, instrument de torture), travailler Dieu (=prier) en opposition au « travail étranger » (idôlatrie), et l’hébreu: avoda (travail), et eved (esclave).
S’il a duré près de 4 heures, le débât a laissé tout le monde sur sa faim, car quel immense dossier est-ce! Que de travail encore!

Débat du 6 juillet 2014: « Y a-t-il de l’ineffable ? », animé par Claudine Enjalbert

3 comments

Posted on 6th juillet 2014 by Carlos in Uncategorized

Finie, à la SNCF, la grève à laquelle personne n’a rien entravé, et compulsé le Rapport Ministériel sur la Cybercriminalité où l’on ne comprend pas plus, la Cour des Comptes fit connaître, en vain, l’état des finances publiques. Si l’on y ajoute les violations répétées du cessez-le-feu en Ukraine, confirmant le « malentendu » général, rien n’allait mieux, au Moyen Orient, dans les Territoires occupés par Israël, où des affrontements entre policiers et palestiniens ont eu lieu, suite à la mort d’un adolescent kidnappé et brûlé vif, suite au passage à Tabac du cousin de l’adolescent cramé. S’inscrivant dans l’ordre des choses singulières la poursuite du championnat du Monde de football coulait de source, naturellement, et, au Café des Phares®, il était aussi naturel qu’il y eut lieu un Débat philosophique, celui du 6 Juillet 2014, qui a été animé par Claudine Enjalbert, après avoir choisi, parmi une quinzaine, le sujet du jour, « Y a-t-il de l’ineffable ? ».

Certainement. Il ne nous restait qu’à trouver où…

Quoique, possédant, ici, la valeur de nom, le terme « Ineffable » soit plutôt un adjectif traduisant la qualité de « ce qui est, même si l’on ne trouve pas de mots pour le dire », optimistes, nous partîmes de l’avant, nous assurant qu’il provient étymologiquement du latin « ineffabillis », c’est-à-dire, « ce que l’on ne peut pas exprimer », par des paroles, comme les sentiments, voire l’état physique, par exemple, ou bien il n’est pas convenable, acceptable ou opportun d’en parler, à moins de le faire de façon détournée, usant de subterfuges, ruses, faux-fuyants, circonlocutions, périphrases, alors qu’un débat philo prétend faire la lumière sur ce qui parait obscur. Or, dans notre cas, il s’agissait, en l’occurrence, d’en débattre, comme il est la coutume, au cours d’un échange d’idées hebdomadaire, prévu, organisé et orienté par un animateur (ou animatrice), afin de, au cours d’une heure et demie, environ, retirer la substantifique moelle d’un concept donné. Celui-là, en l’occurrence.

Et pourtant… Pourquoi l’interroger, s’il y a des choses (agréables ou pas) dont la réponse pourrait être formulée, à la rigueur, par un signe de la tête, tout simplement, la secouant de haut en bas, en signe d’approbation, ou de gauche à droite en cas de désaccord… sans plus de chichis ? En effet, « ineffable » ne veut dire rien d’autre qu’« INDICBLE ». Autant avaler un parapluie et l’ouvrir à la sauvette dans le ventre, si l’on voulait forcément sortir de la léthargie ou la morosité dont le jour était annonciateur.

Mais, enfin ; soyons souples : « Y a-t-il de l’ « Indicible ? ». En avant la compagnie, et vogue la Galère !

Il fut conjecturé que « les langues anciennes étaient plus complexes que les actuelles ». Voilà une bonne nouvelle. Puis, il a été « évoqué le 11 Septembre 2001 qui provoqua un grand ‘Ouà !!’ », « le critique d’Art devant un tableau abstrait », « les amoureux qui parlent d’amour » ; « lorsqu’un mot n’existe pas, on prétend l’inventer, tel la ‘bravitude’ », « Proust qui affirmerait : ‘la vraie vie est la littérature’ la forme étant le fond qui reste à la surface », « ‘inéffable’, viendrait de ‘fable’, fabuleux », «  Finkielkraut qui dénoncerait la prostitution dans les Sports d’Hiver », « Sommes-nous prisonniers de la pensée », « ‘Les mots pour le dire’ de Claudia Cardinal, « une barrière infranchissable entre les mots et l’ineffable », « le Soulier de Vair et la pantoufle de vers », et tout à l’avenant, « l’ineffable, (serait) de l’ordre de la métaphore », puisque « Wittgenstein : affirmait ‘de ce que l’on ne sait pas on ne peut rien dire’ », et qu’il « ‘faut savoir si l’on parle de l’écrit ou de la parole’ »

Où va-t-on ????????, est-il légitime de se demander… alors que, pour finir ce patchwork, Gilles récita sa poésie, closant ainsi la séance…

Au cours de philo :

- Ah ! Non. Demandez-moi autre chose. L’ « Ineffable », je l’entends trop souvent…

- Où ça ?

- `A la maison ! C’est toujours sur ça que mes parents se disputent !

Carlos