La question du travail. Diner-philo, chez Odile Chiroix
par Joseph (Jo) STRICH
Le travail libérateur-vivifère, ou aliénant-mortifère? Un débat diner-philo, après les gouters-philo pour enfants/ados, une nouvelle formule, à l’initiative d’Odile Chiroix et Gérard Renard, qui ont reçu récemment chez eux, place d’Italie, autour d’un repas chaleureux et délicieux tout à la fois (pour en revenir à une tradition ancienne?), une douzaine de participants et quelques intervenants, dont l’écrivain Claude Berger, qui vient de publier chez l’éditeur Max Chalel (également présent) un essai critique sur le système salarial (En finir avec le salariat/vers une société de partage), et Gérard Foucher, auteur d’un livre sur la monnaie.
Une monnaie qui est »un outil politique (d’oppression) avant d’être un outil économique », et qu’ « il faut changer … pour changer le monde », nous dit en substance Gérard Foucher, qui conclura en ces termes (prémonitaires d’une nouvelle Révolution Française?): « on est à un stade où on est capable de reprendre notre autonomie, nous sommes en train de vivre la trasition ».
Une préoccupation et une aspiration communes à toute l’assitance et à Claude Berger, pour qui la crise du capitalisme que nous traversons est en fait une crise du salariat, une crise non conjoncturelle mais structurelle, et l’utopie est de croire à la perennité paisible du système actuel, qui a inventé la précarité et le chômage de masse, pour répondre à l’extention des revendications salariales (« le système n’arrive plus à enrégimenter la masse des candidats au travail salarial »)..
Car, dit-il, le travail salarié, le travail marchandise concurrentielle, n’a rien de naturel, c’est une invention datant de la fin du 14 è siècle, et comme tel, il est voué à disparaître, comme avant lui l’esclavagisme et le servage (Marx: « le capital et la salariat sont liés l’un à l’autre et disparaitront ensemble; il est donc absurde de parler de capitalisme sans salariat », in « les fondements de la critique de l’économie politique »).
Berger oppose à la « mythologie progessiste », (la question de l’abolition du salariat dans l’oeuvre de Marx a été censurée par la gauche), qui prône tout le contraire d’une véritable association entre travailleurs, de nouvelles solidarités, telles qu’elles ont été expérimentées, pas toujours avec succès il est vrai, dans les kibboutz en Israël ou durant les trois années de révolution libertaire en Espagne (1936-1939). Des modèles certes, mais attention au salariat d’Etat, qui est un salariat privé en pire. L’exemple à suivre aujourd’hui est plutôt celui des kibboutz urbains, et, en France, d’autres formes coopératives de production, qui vont dans le bon sens.
« Il ya une nécessité d’affirmer l’objectif de la fin du salariat contre les idées de la gauche et des syndicalistes, qui n’ont qu’une revendication: la recherche de l’emploi à tout prix, pour des produits dont on n’a pas forcément besoin », me dira lors d’une interview après le débat Claude Berger, qui cite comme exemple l’idéologie de la voiture pour tous.
Quelques remarques pertinentes de G. G. avant le débat y ont été rapportées, sur la problématique du travail, qui détruit aujourd’hui les métiers des classes moyennes après avoir dépouillé, avec l’industrialisation, les paysans et artisans de leur savoir-faire.Suppression de toute subjectivité/créativité, du sens du travail, devenu un job, un moyen de subsister, et non plus de se réaliser.
Et bien sûr l’incontournable Hegel en la matière avec sa théorie du maître et de l’esclave, le seigneur et son valet: le valet l’emporte finalement sur le seigneur qui, devenu dépendant de son valet, se laisse servir par lui, lui qui a acquis connaissance et maîtrise du réel par son travail (cf. le film « the Servant »).
Nous ne nous sommes pas limités à une description sociologique, psychologique, anthropologique, du travail, nous n’avons pas parlé des travaux publics, de ceux des champs, artistiques ou scolaires, ni des salles d’accouchement dites de travail ou des working girls, à peine du travail sur soi. Mais nous avons commencé à explorer, timidement je l’avoue, les possibilités d’épanouissement par le travail, après en avoir ciblé les formes aliénantes: la division, la consommation et les loisirs devenus l’objectif ultime du travail, sa fin. Sans omettre de citer la bible: Adam et Eve condamnés à vivre à la sueur de leur front (=travailler) (le travail vient etymologiquement de tripalium, instrument de torture), travailler Dieu (=prier) en opposition au « travail étranger » (idôlatrie), et l’hébreu: avoda (travail), et eved (esclave).
S’il a duré près de 4 heures, le débât a laissé tout le monde sur sa faim, car quel immense dossier est-ce! Que de travail encore!
Elke says:
Bon sujet! Juste un petit commentaire; le mot « travail » vient du latin, langue de l’oppresseur romain. Nous avons aussi le mot « besogne » d’origine plutôt celtique, il me semble, en lien avec le mot besoin: la besogne sert à assouvir les besoins fondamentaux. Merci pour la différenciation entre avoda et eved. J’ai toujours soupçonné les traducteurs de la bible d’avoir instrumentalisé ces textes pour mieux soumettre le peuple au pouvoir de l’église. Etre condamné au travail….. quelle idiotie quand on a eu la chance de pouvoir expérimenter le plaisir que c’est d’avoir un corps qui peut transformer le monde au point de le rendre « bon pour soi ». L’effort à fournir, c’est une des aspects exaltants de la vie. Peut-on seulement imaginer une vie sans effort à fournir? De penser que certains se réduisent à courir derrière un ballon pour se donner le sentiment d’exister!!!!! Leur énergie pourrait servir à des fins bien plus utiles, il me semble. Pédaler pour alimenter une pile électrique qui ferait la lumière et de la chaleur, par exemple…..
8th juillet 2014 at 7 h 03 min