Le coronavirus et léconomie (2) : La guerre du pétrole n’aura pas lieu (La ruée vers l’or : fin), par Joseph Strich.

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Posted on 3rd mai 2020 by Gunter in Textes

La ruee vers l or noir: fin?
le coronavirus et l économie (2)
par Joseph STRICH
Effet domino: le corona cloue au sol le trafic aérien, qui paralyse l’industrie touristique, et celle-ci, en berne, frappe à son tour l’industrie pétrolière qui vacille… Car avec des avions qui ne volent pas, des aéroports quasi fermés, des voitures qui ne roulent plus sur des routes désertes à perte de vue, il n’y a plus de demande de pétrole, et son prix finit par tomber au plus bas (depuis 2008-2009, et même avant).
La baisse prévue de la consommation mondiale de pétrole est d’au moins 25 millions de barils par jour, soit le quart de la consommation régulière. 3 millions de barils par jour (b/j) en moins, selon l’agence de presse et d’information économique et financière « Bloomberg », début février. Et l’Agence Internationale de l’Energie (AIE) d’indiquer que la demande devrait se contracter de l’ordre de 90.00 b/j en moins par rapport à 2019. Le New York Times précise la signification de cet événement: les installations pétrolières sont paralysées car il n’y a pas d’endroit où envoyer le carburant, qui doit rester sous terre, les dépôts ayant atteint leur limite de contenance (la Tribune: « les capacités de stockage saturent »). Les pays les plus riches sont atteints bien entendu par la tourmente, mais aussi des pays producteurs rebelles comme le Venezuela et l’Iran, dont les dirigeants soudoient les citoyens avec les bénéfices de l’or noir.
Entre autres implications géopolitiques du corona: un face-à-face de géants Russie/Arabie Saoudite. Pire, selon Jacques Sapir, directeur d’études à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales et membre de l’Académie Russe de Science: « derrière le corona, c’est la guerre du cours du pétrole entre l’Arabie Saoudite et la Russie ». L’analyste de la stratégie russe s’est exprimé sur figarovox/Tribune.
Et le site algérien el watan.com titre: « Arabie Saoudite, Russie et Etats-Unis – pétrole, le choc des titans ». « La bataille géopolitique entre Riyad, Moscou et Washington est ravivée », a titré quant à lui lemonde.fr . Nous verrons après pour la première puissance mondiale et depuis 2017 premier producteur de pétrole. Tenons-nous-en d’abord au face-à-face entre la principale monarchie du Golfe Persique (où les femmes viennent seulement maintenant d’avoir le droit d’obtenir un permis de conduire) d une part et l’ancien Empire des Tsars puis des Soviets redevenu l’éternelle Russie (2ème producteur, devant l’Arabie) d autre part.  La première, fonéee en 1932 par Abdelaziz ibn Saoud sur une immense région désertique faite de dunes, rochers et montagnes, est devenue une puissance régionale montante. Les deux rivaux tentent d’exploiter la situation non seulement pour redéfinir les contours du marché du pétrole à l’aide d’une baisse drastique des prix mais aussi pour redessiner la carte du Moyen-Orient.
Tout avait commencé le 6 mars à Vienne:  les négociations entre Riyad et Moscou sur la coordination de leurs prix de brut échouent. Le palais royal saoudien espérait le renouvellement de l’accord de réduction de la production suite à la baisse de la demande. Mais le Kremlin craignant que cela ne dope le secteur énergétique américain a refusé.  »Niet » (en russe: non, fin de non-recevoir), a répondu le ministre russe de l’énergie Alexandre Novak. Le puissant prince héritier et jeune ministre saoudien de la Défense Mohammed Ben Salmane (MBS) avait en vain tenté de convaincre Poutine, mais c’est l’influent cartel russe du pétrole Rosnet qui a emporté la première manche. Dès lors MBS fera tout pour forcer les Russes à revenir à la table des négociations dans l’esprit de décembre 2016 (premier accord sur la baisse des prix).
La rencontre au niveau ministériel (13 ministres du G20 présidé par MBS en vidéoconférence) pour mettre un arrêt à l’écroulement  des prix n’ayant pas abouti, l’Arabie a décidé de baisser unilatéralement les prix, dans le but évident de s’attirer les faveurs de l’Europe et de la convaincre de préférer son or noir à celui de la Russie. Le plus grand pays de la péninsule arabique, dont il occupe 80 pc de l’étendue, et du Moyen-Orient,  peut se permettre d’essuyer des pertes sèches, fort qu’il est de ses immenses richesses provenant essentiellement de sa manne pétrolière et du faible coût de la production chez lui.
De son coté, sa grande rivale qui occupe une surface importante du globe a elle aussi baissé ses prix de façon significative afin d’empêcher les exportateurs américains de prélever encore une part du marché. Les deux pays, la froide Russie et la chaude Arabie wahhabite, perdent semble-t-il à court terme de gros bénéfices qu’ils auraient pu empocher en coordonnant leurs prix. Mais tous deux voient à plus long terme, car il s’agit de guerre stratégique pour l’avenir du Moyen-Orient.
Eclairage: la Russie est alliée de l’Iran chiite, ennemi et rival de l’Arabie sunnite et gardienne des lieux saints de l’islam, tant pour l’hégémonie politico-économico-militaire au Moyen-Orient que pour la suprématie religieuse au sein de l’islam. Elle refuse de prendre part aux sanctions sévères imposées par le Président Trump à l’encontre de Téhéran et maintient à flot le régime des Mollahs en commerçant avec lui, cherchant même encore à sauver l’accord sur le nucléaire conclu avec les Perses par la communauté internationale sous l’égide du Président Barack Obama. D’ailleurs, son successeur Trump s’est empressé d’annuler, à l’instigation du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou, grand pourfendeur de la République islamique qui voit en son pays, l’Etat hébreu, « le petit Satan » allié secret du Royaume saoudien d’Arabie et en son allié américain le « Grand Satan. »
De plus, Moscou soutient le président syrien Hafez el-Assad, dont Riyad souhaite le départ. Une victoire sur la Russie au Moyen-Orient, l’Arabie en rêve, et tous les sacrifices tactiques sont permis alors. Dans un article récent de l’Institut Gaystone un conseiller du palais explique:  « les guerres de prix du pétrole vont changer les règles du jeu au Moyen-Orient ». « Les Russes dépendent des bénéfices du pétrole pour financer leur activité militaire en Syrie et sans ces rentrées ils ne pourront plus se le permettre ». Mais la Russie est elle aussi prête à baisser les prix et à ne pas les coordonner, et pour cause géopolitique d importance: les Etats-Unis.
Ces dernières années, Moscou a vu comment les Américains ont profité de la montée des prix pour se remplir les poches mais aussi et surtout pour remplacer le pétrole conventionnel par du pétrole de schiste « made in USA.’ Une parenthèse: le pétrole de schiste - tight oil en anglais – est un pétrole léger contenu dans des formations géologiques poreuses de faible perméabilité.
En fait, la Russie et l’Arabie ont subventionné l’industrie du schiste et offert sur un plateau d’argent le marché de l’énergie mondiale aux Etats-Unis. C’est pourquoi la Russie profite de la chute des prix pour faire pression sur Trump, afin qu’il allège les sanctions sur Moscou. Il s’agit de sanctions mises en places par l’Union Européenne et les USA dès 2014 et reconduites en 2019 pour répondre de l’annexion de la Crimée par la Russie et de la guerre qui s’en est suivi (affaire ukrainienne). Le deuxième lot de sanctions est purement américain, suite à l’ingérance russe aux cyberattaques dans les élections américaines de 2016.
Pour Poutine, c’était une opportunité à saisir. Le schiste, botte secrète des Américains, a été le secteur le plus touché par la crise, faisant perdre du terrain à Trump dans son propre camp ou il est très critiqué. Au Texas notamment la popularité de l’époux de Mélania est en baisse constante.
Mais la Russie et l’Arabie, malgré leurs bas prix, n’arriveront pas à refaire démarrer les voitures sur les routes et à faire décoller les avions tant que la crise du corona dure. A court terme tous les deux espèrent pousser les Etats Unis au pied du mur en pleine année électorale. Trump va être plus que jamais fragilisé si la situation actuelle perdure.
Finalement,  miracle ! le dialogue a été réengagé. Des discussions en vidéoconférence ont été menées entre les 13 ministres de l’OPEP et les alliés menés par la Russie dans le cartel OPEP+ (nouvelle alliance, 24 pays), pour tenter de trouver un compromis au-delà des frontières de l’OPEP, avec la Russie, les USA, le Canada, le Brésil, la Norvège. Dans l’unique but d’établir un prix plancher et sauver le marché.
Et le 12 avril un accord historique a été conclu, portant sur une production de 10 millions de barils par jour en moins à partir du 1er mai, afin de faire remonter les prix, a annoncé le ministre saoudien de l’énergie Abdul Aziz Bin Salman. « La plus grande baisse de production de l’Histoire », selon l analyste de Rystad Energy, Bjornar Tonhaugen.
On a échappé peut-être au pire, à une grave récession comme celle de 1974, la crise du pétrole qui avait, dans la foulée de la guerre de Kipour entre Israël et l’Egypte, plongé l’Occident dans une grave pénurie de carburant et par suite mis fin aux « Trente Glorieuses », les 3 décennies d essor économique et social qui ont suivi la Seconde Guerre Mondiale.
Alors la question se pose: cette nouvelle guerre du pétrole, qui a failli éclater et finalement n’aura pas (encore) eu lieu, pouvait-elle, peut-elle encore, entraîner une récession? Pour le magazine « Challenges », il est difficile de se prononcer sur une éventuelle récession ou pas. Quant à Francis Perrin, directeur de recherche a l’IRIS, il estime que « la menace pour l’économie mondiale vient de l’épidémie du coronavirus et non de la guerre du pétrole proprement dite, dont les perdants peuvent être aussi bien les pays producteurs que les pays pauvres ».
Breaking News: le pétrole américain (schiste) s’effondre. [Pas de conclusion heureuse cette fois-ci encore. La nouvelle dramatique vient de tomber, en flash, alerte, brève... avant d'envahir la Toile et les médias].
Le pétrole en prix négatif. Du jamais vu!
Pour la première fois de l’Histoire, le prix du brut à Wall Street est passé en-dessous de 0 dollar, rapporte « Courrier International ». Le baril du WTI (West Texas Intermediate), cours de référence pour le pétrole américain, à -37,63 dollars le baril, alors qu’il était en début de journée à 18 dollars.
« Scénario de Jour du jugement dernier », pour CNN. Le ralentissement économique brutal causé par la pandémie du Covid-19 a fait massivement chuter les cours du pétrole », écrit Socialter en ajoutant que « ça pourrait entraîner le déclin de la filière et précipiter également la fin du gaz de schiste. »
Wall Sreet Journal avait déjà fait état d’une « situation hors de contrôle dans l après-midi avec des prix tombés à 10 dollars puis à 5 puis à quelques centimes avant de devenir négatifs pour la première fois de l’Histoire. » NPR explique: « un prix négatif signifie que les traders ont cherché si « désespérément » des acheteurs qu »ils ont fini par proposer de les payer pour qu’ils acceptent de se faire livrer un baril. »
Pour « The Guardian », les producteurs nord-américains ont de moins en moins d’espace pour stocker un surplus sans précédent de brut en raison de la crise du coronavirus. Et WSJ de déplorer: « même si l’OPEP a réussi à se mettre d’accord sur une baisse de la production à partir du 1er mai, c est « trop peu, trop tard » pour répondre à la baisse vertigineuse de la demande.
Bloomberg conclut: « de toutes les péripéties folles et inédites sur les marchés financiers depuis le début de la pandémie du Covid-19 aucune n’a été aussi stupéfiante que l’effondrement de lundi 20 avril, journée noire, dans le secteur clé du marché américain du pétrole ».
J.S. (corr. c.a.)

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