Au lendemain d’un énième bras de fer entre le Peuple Soufferant et l’Exécutif nommé par le Président de sa République, le 7 Novembre, Sylvie Pétin a choisi pour sujet, au Café des Phares, « Peut-on vivre sans tenter de nouvelles expériences ? », une considération qui avait déjà fasciné le professeur Tournesol mais que, évocatrice de MotoCross, de Kayak de rivière et des paisibles jeux d’enfants comme la Trottinette ou leurs coups de pied dans des taupinières, l’animatrice fit sien le risque de s’en emparer.
Pour avoir, une heure avant le débat, tenté en vain l’expérience, pour moi nouvelle, d’ouvrir un sac en plastique tout neuf au supermarché, je craignais le casse-pipe du point de vue théorique, vu ce soudain doute de la vie si elle n’était pas abondamment engraissée au jour le jour jusqu’à l’indigestion, un engouement qui éveilla en moi le souvenir du proverbe africain : « qui avale une noix de coco doit faire confiance à son anus », d’autant plus que dans la salle « ça poussait derrière », comme on dit aux enchères.
C’est ainsi que, l’auteur du sujet ayant entamé la pomme avec « la tentation est facteur de transgression, mais il y a des expériences pas encore tentées, au-delà des limites propres à chacun », d’autres jugements furent portés tels que « chaque mot a un sens et est utilisé volontairement » ou, « puisqu’il faut prendre des risques » « ne serait-ce que ‘d’être un Homme’ comme dit Ricœur », « je préfère que ce soit aux autres d’en faire l’expérience et je m’adapte » « même si elle est ratée, étant donné que ça permet d’aller plus loin ». Il y en a qui « y voyaient une notion d’aventure plus que de risque », comme celle « d’un Candide cultivant son jardin », « Ulysse son épopée », « le désarroi se plaçant face à l’expérience du bonheur sans savoir qui est ‘je’ et qui est ‘moi’ », « un côté transgressif vis-à-vis d’un projet », « une expérience » contrée « par le terrorisme, un défi à la communauté humaine tenue ainsi de réfléchir sur elle-même » et enfin, d’autres expérimentations telles que le « touche-pipi », jusqu’à la question cruciale « à quelle condition peut-on dire qu’il y a expérience ? », notre poète ayant fini par convenir que « l’Homme est un risque à courir ».
Puisque je m’étais senti humilié lors de ma mésaventure en faisant les courses, le soir venu, regonflé à bloc pour avoir apprivoisé le bilboquet à la cinquième tentative, j’ai renoncé à ma petite existence de patachon et décidé de mener la vie à bâtons rompus, me dédiant à l’aventure extrême, exaltante et pointue, c’est-à-dire de, rampant à poil dans le désert, réussir le Paris-Dakar en solitaire et sans assistance, un retour aux sources qui ne peut pas s’effectuer dans la cuisine ou dans la salle de bains, mais conduit d’ordinaire à la connaissance de soi en raison de la difficulté de la progression, une expérience nouvelle que finalement personne ne tente par manque de sponsor, alors que le coût du matos nécessaire est pratiquement nul.
Il en résulte que l’expérience se résume à une recherche qui défie le vécu, dont on ne fait plus l’apprentissage. Ainsi, si chercher et vivre sont deux réalités opposées, considérant que la vie est le contraire de la mort, tel que le sous-tend la question en débat, on mourrait sans atermoiement à chaque instant où l’on n’entreprend pas une nouvelle expérimentation, l’alternative étant de devenir marteau, en dépit du fait que nos problèmes ne sont pas des clous, notre corps n’est pas un terrain de manœuvres et vivre, une piste pour s’exercer à lancer des nains.
Alors ? Peut-on vivre ou non, sans tenter de nouvelles expériences ? Pourquoi pas ? Où serait le problème ? D’un côté, dixit Albert Camus, récompensé du Prix Nobel pour l’avoir énoncé, la révolte s’avère être l’unique moyen de vivre sa vie dans un monde absurde, de l’autre, le seul problème philosophique sérieux serait le suicide. Eh bien ! Si, question de vivre, il vous arrive l’envie de tenter une nouvelle expérience exceptionnelle et que vous vous trouviez seul, composez le 01 42 96 26… et faites ce que l’on vous dit en attendant les secours. Surtout ne tentez pas de prendre plus aucune nouvelle initiative.
Carpe diem !
Carlos Gravito
Elke Mallem says:
La dérision à été toujours un moyen pour permettre de traverser le temps de crise quand cette crise nous tombe dessus et quand nous n’avons pas d’autres moyens de la combattre. Mais trouvons-nous dans cette posture? J’aime mieux l’humour que la dérision: il permet d’ouvrir un débat quand il semble parfois coincé dans l’incompréhension mutuelle ou quand le vertige de l’indécible nous happe. Mais plus que l’humour, j’aime la gaité qui circule dans des ambiances de respect mutuel. La mise en dérision du sujet de dimanche ferme le débat, je trouve. Comment l’ouvrir après ce compte rendu? Voyez-vous, j’utilise ce lieu pour étayer un travail qui doit m’aider à mieux appréhender les problèmes complexes de la vie. Le contexte un peu décentré et en même temps sécurisé du café philo s’y prête bien. Mais la dérision met un frein à la réflexion. Et cela me contrarie.
2nd novembre 2010 at 8 h 22 min
Gunter Gorhan says:
Elke, ne s’agit-il pas d’un problème interculturel ? Les Français et sans doute les Latins en général aiment, sont champions de l’ironie. Quand, jeune Autrichien (« Germanique ») je suis arrivé il y a longtemps à Paris, j’ignorais que l’ironie, la dérision, n’était pas forcément «méchante ». Je me vexais, je me sentais profondément blessé lorsque même mes meilleurs amis s’adonnaient « sur mon dos » à leur sport national favori. Ils ne comprenaient pas ma réaction et j’ai dû apprendre que cette façon de « faire de l’esprit » n’avait pas le même sens ici et ailleurs.
Il faut être entrainé depuis l’enfance pour pratiquer ce sport avec tant de facilité, les Germaniques, tout comme les Américains d’ailleurs – B.A.-BA du savoir interculturel – sont dans ce domaine des analphabètes et y réagissent mal, se sentant vexés, voire agressés.
L’ironie et la dérision – je les rapproche l’une de l’autre – ont, je pense, aussi une autre signification, humaine, trop humaine : tout un chacun désire spontanément prendre le beau rôle, certains en se mettant au-dessus de la mêlée en étant ironiques, cultivant la dérision, d’autres en faisant état de leur culture, de leur largeur d’esprit, de leur sagacité ou tolérance, voire de leur profondeur insondable, etc.
Est-ce possible d’éradiquer complètement ce narcissisme inné ? Certainement pas, mais on peut, on doit – au sens de « il serait souhaitable »- de faire des progrès : nous sommes perfectibles, c’est-à-dire nous pouvons croître, élargir notre âme, ce qui est le sens même de la philosophie (selon Kant – pour ceux qui ont besoin des parole d’autorité pour se sentir concernés, pour se laisser ébranler un tant soit peu).
A mon avis, la seule voie réaliste, efficace, est de prendre conscience de sa propre ruse (largement inconsciente) de prendre le beau rôle. Une fonction (importante) des échanges philo consiste à amener à une telle prise de conscience qui, si elle est réelle, ne peut que déclencher une auto-mise en cause, une crise d’identité. Ce n’est plus un secret : j’y suis.
Une autre « autorité » (Foucault) pour aider à se convertir, oui, à se convertir :
« Le « moment cartésien » mettra fin dans la philosophie à ce souci de soi, ouvrant la modernité. Depuis le « Discours de la méthode », on tient pour assuré que le sujet est par nature capable d’accéder à la vérité, sans conversion préalable : il suffit de bien appliquer la méthode. C’est la traditionnelle exigence spirituelle de la transformation du sujet que Descartes expulse définitivement du champ philosophique ».
2nd novembre 2010 at 15 h 24 min
TAHAR GEORGES says:
L’ami Carlos fait le compte-rendu du débat avec beaucoup d’humour, une pointe de cynisme et une pincée de dérision, comme à sa bonne habitude. Je ne suis pas sûr que je comprends tout ce qu’il écrit, mais il me répondra — à mon sens à juste titre – que si je veux mieux comprendre, je n’ai qu’à faire la nouvelle expérience de lire son texte une fois de plus ! A quoi je lui dirai qu’une fois couché sur le papier, une pensée est une pensée morte et qu’elle ne peut alors répondre aux questions qu’elle pose. Heureusement, « Carlos va bien, il vit à Paris », contrairement à Jacques Brel .
Je vais donc faire l’analyse du débat de Dimanche avec beaucoup plus de détachement et plus de recul. A quoi avons-nous participé ce Dimanche ? Je répondrai, pour ma part, à un débat « classique » , c’est-à-dire avec des réponses et des pistes de réflexions attendues de citoyens qui se remémorent les enseignements de leurs cours de philo. Tous les ingrédients y étaient : – les références aux maîtres classiques, acceptés et honorés de la philosophie « pensée unique » enseignée en France.
- les thèmes cent fois discutés de l’accomplissement des individus par leurs expériences vécues plus ou moins volontairement.
Bien sûr, nous sommes tous construits dans un moule similaire, nous avons tous les mêmes étapes pour vivre de manière personnelle les expériences rituelles de l’enfance , de la révolte de l’adolescence, de l’entrée dans le monde adulte, dans celui du travail et du mariage, puis celui de la famille , de l’âge mur et de la vieillesse. Il y a évidemment d’infinies variations mais le chemin de l’évolution est celui d’une autoroute commune.
Pourtant, le sujet ouvrait une piste des plus riches pour un débat d’aujourd’hui. J’en donne deux exemples que je trouve significatifs.
Le premier est celui d’un journaliste américain qui, il y a quelques années, avait subi un traitement médical pour pigmentation de sa peau et devnir un homme de couleur « authentique ». Il est allé ensuite vivre dans les quartiers noirs de plusieurs villes aux Etats-Unis, où il a pu témoigner « authentiquement » de la condition et des sentiments ressentis par les noirs américains.
Le second exemple est celui d’un couple bobo qui décident un jour d’abandonner tous les avantages et les « marqueurs » d’un statut et d’un confort de très haut niveau…pour aller élever des chèvres et produire du fromage quelque part dans la Creuse, alors qu’ils n’avaient aucune connaissance ni pratique de l’agriculture ou de la campagne.
Voilà ce que j’appelle « tenter de nouvelles expériences ». Il faut ici décider de dépasser le cadre de sa vie, le paradigme de notre civilisation ( paradigme = cadre de ses pensées, le cadre de son horizon), et chercher un nouveau monde qui satisfasse le besoin ressenti d’une rupture avec nos façons habituelles de poser les problèmes et d’y apporter des solutions.
Bien sûr, cela n’enlève aucun mérite au gréviste qui se prive de son salaire pendant plusieurs jours pour crier haut et fort ses revendications sur le pavé de nos villes. Mais combien d’entre nous seraient capables de décider de se retirer de ce monde qui est le nôtre pour vivre à Katmandou ou dans un monastère dont ils ne sortiraient plus que dans un cercueil ?
J’en conclus donc que très peu d’entre nous sont capables de « tenter de nouvelles expériences.
2nd novembre 2010 at 20 h 29 min
Elke Mallem says:
Problème interculturel ? La dérision serait signe de l’esprit français et mon irritation signe d’incompréhension puisque je n’aurais pas partagé le même bain culturel au moment opportun? Je me suis laissé séduire par « l’esprit » français et si je vis depuis plus de trente ans dans ce pays, ce n’est pas pour cracher dans la soupe. Mais l’état amoureux entre moi et la France étant passé, je sais distinguer entre l’humour et la dérision. Et le compte rendu de George penche plus vers la dérision que vers l’humour. Je lui signifie l’effet que cela me fait. Cela me semble légitime. Une « expérience de vie » comme une autre, pas plus noble ni moins noble qu’une autre.
Ces exemples de « vivre la vie de l’autre » que vous évoquez, Georges, ne sont pas si récents et si rare. Il y a plus de trente ans, il y avait en Allemagne l’histoire d’un sociologue déguisé en turc qui a tenté l’expérience d’être travailleur immigré et qui en a fait un récit poignant. On a même fait une émission télé appelé « Vie ma vie ». Chaque fois, ces « exercices » augmentent le champ de compréhension et l’acceptation de l’autre. L’expérience est la base de toute pensée, ne l’oublions pas. Comprendre, se représenter quelque chose qu’on n’a pas vécu, c’est impossible.
Toute expérience humaine s’opère « sous regard », ce que vous évoquez, Gunter, et nous aurions peut-être pu définir une « nouvelle » expérience comme une situation, un évènement, dans laquelle notre regard a été amené à changer. Regard sur soi, regard sur l’autre, regard sur le monde.
2nd novembre 2010 at 5 h 53 min
Elke Mallem says:
Erreur de ma part: je parle bien entendu du compte rendu de Carlos!
2nd novembre 2010 at 5 h 54 min
Carlos says:
« Comment ouvrir le débat si la dérision le ferme », vous demandez-vous, Madame, la gaieté paraissant avoir vos faveurs, et pourtant elle se résume prosaïquement au plaisir de vivre. Toutefois, vous persistez à penser que le Café Philo des Phares a la fonction d’offrir à ceux (ou celles) qui le fréquentent, un contexte privilégié et exclusif pour enfiler des perles. Et ben, non. Pour ça il y a, peut-être, les salons de thé, Angelina, Le Fumoir ou l’A Priori Thé, par exemple. Mais, soyons sérieux, Madame ; avez-vous bien pesé les mots du sujet de dimanche ? « Peut-on vivre sans tenter de nouvelles expériences ? » C’était l’inquiétude de Frankenstein, mais là, il s’agissait plus d’une quête de bonheur qu’une crainte de la mort ou l’expression explicite d’un doute au sujet de la vie (au fond une expérience intime productrice d’un sens qui nous échappe), incertitude dont on se dédouanerait au moyen de quelques petites gesticulations, entreprises par ci par là juste pour faire mine d’entériner le fait de vivre, alors que nous vivons au quotidien dans une plénitude irréfléchie et serions bien incapables d’y ajouter d’autres vécus destinés à améliorer l’ordinaire.
Comment le faire comprendre, Madame, sans subvertir l’interrogation ? L’ironie, tout le monde le sait, est une façon de poser la question autrement. Vous ne le pigez peut-être pas ou ce n’est pas votre tasse de thé. Mais, de grâce, ne recommencez pas à clamer sur tous les toits que, si je le dis, ce serait parce que vous êtes une femme.
2nd novembre 2010 at 11 h 18 min
Gunter Gorhan says:
Désolé, Elke, si vous avez pris mon commentaire comme une critique de votre incompréhension de la culture française ou plus largement latine.
Mon amour pour la France, sa culture, son peuple – s’il est encore permis d’utiliser ce mot sans être taxé de populiste – est intact mais pas aveugle. Toute culture est éminemment estimable, là-dessus je suis d’accord avec Levy-Strauss. Mais toute culture, comme en général (il y a des exceptions) toute posture individuelle ou subjective a son endroit et son revers, ses vertus et vices. Vous écrivez vous-même qu’ « une « expérience de vie » comme une autre, pas plus noble ni moins noble qu’une autre.» C’est mon credo en ce qui concerne nos échanges ici ou au café.
Cela ne veut pas dire qu’on ne désire pas faire partager sa propre vérité aux autres, ce serait même égoïste…
En nous critiquant (sans méchanceté) les uns les autres, nous nous entre-aidons pour diminuer notre tâche aveugle – sans laquelle pourtant nous ne serions plus des êtres humains mais des machines fabriquées. Elle est heureusement inéliminable.
L’allusion à mes expériences de l’ironie/dérision de la part de mes meilleurs amis cherchait à faire comprendre qu’il ne s’agit pas forcément de « méchanceté ». Et si vous connaissiez un tant soit peu Carlos vous ne pourriez qu’être d’accord avec moi.
La légèreté que j’ai constatée avec soulagement en arrivant en France se paie par une certaine frivolité dont l’ironie et le « faire de l’esprit » peuvent, certes, faire des gros dégâts. Je dis « avec soulagement », car en Autriche la « profondeur mélancolique » aurait fini par m’écraser…
Avez-vous vu le film « Ridicule » qui se passe au temps de l’Ancien Régime et qui se termine par le suicide d’un courtisan, victime d’un tournoi d’esprit et d’ironie. Impensable en ce qui concerne l’Autriche et je crois, l’Allemagne. Les champions de l’ironie/dérision devraient être conscients du risque qu’ils prennent.
Venons-en au fond.
Georges, es-tu intervenu pour faire part de ta propre vision du sujet choisi dimanche dernier ?
Je n’ai jamais compris comment un participant peut prendre une position de surplomb, d’extériorité par rapport à un échange auquel il a lui-même participé. Tous les participants ne sont-ils pas coresponsables, pas tous au même degré, bien sûr, mais aucun ne peut, à mon avis, juger de l’extérieur, comme s’il avait été spectateur d’un spectacle se déroulant hors de lui ?
C’est toujours drôle quand un participant, plutôt vers la fin, énonce : « C’est dommage, on n’a pas parlé de ceci ou de cela », comme s’il avait assisté depuis l’orchestre à un spectacle assuré par d’autres dont il ne ferait pas partie intégrante. Encore plus drôle quand c’est quelques jours après les échanges ; en écrivant, je me rends compte que la même question se pose pour Carlos. Quel est le rôle, quel est le degré d’extériorité juste, s’il doit y en avoir, du commentateur ?
Plus au fond encore :
De quel type d’expérience peut-il s’agir ? S’il n’y avait que les expériences spectaculaires qui auraient un sens existentiel, effectivement, au lieu de philosopher, il faudrait changer radicalement de mode de vie. Ce serait l’application à l’existence individuelle de la 11ème thèse sur Feuerbach (Marx) : »Jusqu’ici les philosophes n’ont fait qu’interpréter le monde, il importe maintenant de le transformer ».
Mais qu’est-ce qu’une transformation qui ne serait pas précédée d’une interprétation, c’est-à-dire d’un temps de réflexion, de philosophie vivante – opposée à un cours d’histoire de la philosophie, même si la pédagogie est moderne, interactive ?
Il ne suffit pas de changer de mode de vie pour changer vraiment, c’est-à-dire pour se « convertir »
Je me permets de citer à nouveau Foucault tellement ce qu’il dit me paraît important et pertinent en ce qui concerne le sujet de dimanche dernier :
« Le « moment cartésien » mettra fin dans la philosophie à ce souci de soi, ouvrant la modernité. Depuis le « Discours de la méthode », on tient pour assuré que le sujet est par nature capable d’accéder à la vérité, sans conversion préalable : il suffit de bien appliquer la méthode. C’est la traditionnelle exigence spirituelle de la transformation du sujet que Descartes expulse définitivement du champ philosophique ».
Pessoa dit la même chose en poète :
« C’est en nous que les paysages trouvent un paysage. C’est pourquoi si je les imagine, je les crée et si je les crée ils existent. S’ils existent je les vois tout comme je vois les autres. A quoi bon voyager ? A Madrid, à Berlin, en Perse, en Chine, à chacun des pôles, où serai-je sinon en moi-même et enfermé dans mon type et mon genre propre de sensation. La vie est ce que nous en faisons. Les voyages ce sont les voyageurs eux-mêmes, ce que nous voyons n’est pas fait de ce que nous voyons mais de ce que nous sommes.» (« De l’intranquillité de l’âme »).
Kant, le philosophe qui a révolutionné toute la philosophie (« la révolution copernicienne » en philosophie) n’a pas voyagé du tout, a eu une vie réglée minutieusement, sans expériences spectaculaires, et pourtant quels bouleversements de tout son être lorsqu’il s’est « réveillé de son sommeil dogmatique », selon ses propres mots. C’est le cas le plus spectaculaire d’une asymétrie fondamentale entre le caractère spectaculaire, sensationnel de certaines expériences (changements extérieurs) et les modifications profondes intérieures.
Le bougisme actuel n’est-il pas le symptôme d’une incapacité croissante de se transformer vraiment, compensée par une fuite dans des expériences sensationnelles mais sans impact sur l’essentiel qui concerne l’élargissement de l’âme (je rappelle que Freud, athée conséquent, parlait d’âme et non pas de psychisme !)
2nd novembre 2010 at 16 h 12 min
Elke Mallem says:
Carlos, vous avez raison : je ne comprends pas.
Vous décidez : non, on n’enfilera pas de perles au café philo. Vous décidez aussi que nous vivons dans une plénitude irréfléchie, et vous me mettez en garde : ne commencez pas à clamer sur les toits…
Tant de fermeté dans le discours : je ne peux que me ranger derrière ses arguments de poids de mots pesés…
Ceci dit : Je ne viens pas en apothicaire au bistrot. J’aime enfiler les perles, et j’aime laisser leur vie aux mots qui s’envolent et qui peuvent avoir de destins multiples. Vol de papillon, de colibri ou d’aigle… Bon, parfois cela ne vole pas très haut, mais il y a là une jolie chanson française concernant un petit bonheur qu’on ramasse par terre…
Une pointe de cynisme, là ?
2nd novembre 2010 at 21 h 31 min
Elke Mallem says:
L’évocation de mon appartenance culturelle dans la discussion introduit des pensées difficiles que je ne maîtrise pas bien ce soir….La tâche noire est parfois un gouffre.
2nd novembre 2010 at 22 h 01 min
Elke Mallem says:
Nuit porte conseil. Le sujet me travaille particulièrement parce qu’il s’articule avec un travail en cours qui cherche justement à rendre possible de « nouvelles expériences » dans le sens que Gunter suggère. Le lien de cette « nouvelle expérience » est en lien direct avec mon passé et ma responsabilité d’allemande qui voudrait œuvrer pour un « plus jamais ça ». Malheureusement, nous en sommes encore très loin.
Vous évoquez Foucault et Descartes, Gunter, et je me heurte à la faible connaissance que j’ai du système de pensée de ses deux auteurs. Une certaine paresse me laisse « tomber » les penseurs qui ne me disent rien. A part de son « je pense, donc je suis », je ne connais rien de lui. Or, avec l’audace de l’ignorant, je dirais que l’expérience est la source de l’existence. Mais pour vivre humain, cette expérience doit être encadrée par la pensée pour en rendre possible de nouvelles. Et dans ce sens, l’énoncé du dimanche me semble vérifié. Les bribes par lesquels Foucault est cité dans la littérature des sciences sociales m’ont donné à plusieurs reprises envie de le lire. Mais pour s’attaquer à des œuvres majeurs, il faut de la disponibilité que je n’ai pas toujours eue. Vous mettez en lien ces deux auteurs, et je ne suis pas sure d’avoir bien saisi : Foucault critique-t-il la posture de Descartes pour justement restaurer le « souci de soi » ? J’aimerais bien. Damasio a sorti un livre : « L’erreur de Descartes », et je pense que ce n’est pas seulement Descartes qui s’est trompé. Dans une démarche de retour aux sources, j’ai accompagné ma mère à Königsberg, sa ville natale qui a vu naître également Kant et H. Arendt. Un voyage éprouvant, une de ses expériences qui vous bouleversent. Sur l’Ile de Kant, un guide russe à la casquette crasseuse m’a dit que ce lieu devrait être un endroit de pèlerinage pour les allemands parce qu’ici se nouaient les fils de l’histoire de l’Allemagne. Quand je l’ai entendu, j’ai compris qu’il ne s’agissait pas de l’histoire de l’Allemagne mais de l’histoire de l’Europe. Nous partageons une même civilisation. Et ce qui m’a ébranlé dans votre commentaire de l’incompréhension entre deux cultures, cela a remis en travail cette conscience. L’allemand constitue la bonne conscience des français : avec Hitler, la mauvaise carte, « der schwarze Peter », c’est eux qui l’ont. « Nous », on est les gentils… Et ainsi, ici en France, le pays des droits de l’homme, on vit encore dans le fantasme d’une grandeur de la France avec un regard condescend sur tout immigré qui a la chance de venir dans ce pays magnifique pour regarder les vitrines de luxes à la place Vendôme. La France n’est ni plus grand ni plus petit que n’importe quel pays. Il est ce que les générations actives en font. Et on a vu ce qu’une génération peut faire en espace d’une génération… Notre civilisation est tenue par une communauté de penseurs qui n’ont jamais respecté les frontières. Le savoir connaissait un essor fulgurant ces derniers siècles. Comment intégrer du « savoir » dans le corpus de croyances existant ? La « science » prend facilement la place de la religion. L’erreur s’infiltré par l’utilisation abusive et prématuré de données. Considérons tout particulièrement les données de la théorie d’évolution pour renforcer des systèmes de croyances alimenté plus par les fantasmes de toute- ou impuissance que par la raison pure. Cela nous rassure de la supériorité d’une race sur l’autre, d’une culture sur l’autre, d’une classe sociale sur l’autre, de l’homme sur la femme. Depuis, notre civilisation a cru bon de renforcer toutes les formes d’oppression et les rapports hommes/femmes ont pu être totalement perturbé par une rigidification d’une doctrine protestante qui derrière ses airs de «libération » du pouvoir clérical a fortement insisté sur « le devoir conjugal » qui me paraît la plus grande ineptie en terme de « loi » jamais inventé. Quand l’ineptie est aussi criante, c’est à coup sur sorti d’un groupe de cerveaux d’hommes attablé autour d’une bonne table qui s’enflamme pour épater. Péniblement, les femmes dressent la tête. Elles étaient aliénées pendant très longtemps non seulement à l’homme, mais aussi à leur tâche d’enfantement et d’éducation des enfants. Et de tout temps, c’est elles et les enfants qui ont payé l’addition de la connerie des hommes au pouvoir. Sans avoir eu droit à la parole pendant longtemps. Les automatismes culturels nous tiennent. Les rapports hommes/femmes sont encore très marqués par des fantasmes de domination. Très peu nombreux sont les couples qui tiennent sur l’alliance de l’égalité en droit. Difficile sont les négociations pour distribuer les tâches d’entretien de la maison de façon équitable. La sortie de la prison psychique jetée par l’aliénation est difficile et parfois douloureux. Nous avons de la chance : de grands hommes comme Ghandi et Mandela nous ont montré le chemin. Mais chacun doit le faire. Toute génération doit se dégager de celle qui l’a précédé. Chacun pour soi doit transformer un jour le lien de dépendance qui le lie à son enfance pour se mettre en route pour le pays promis. Carlos, la vie ne va pas de soi. Quand je vais entrer dans la dernière étape de ma vie, la vieillesse, quand un jour, je sentirai qu’il va falloir lâcher les amarres, de rentrer un a un les fils qui me tiennent dans ce monde, j’espère de pouvoir dire : j’ai fait tout ce que j’ai pu. Même pour les générations qui n’ont pas connu la guerre (pour nous, les allemands, la guerre était vraiment finie), il faut du courage pour vivre. Enfiler les perles de la vie que vous sembler mépriser. J’aime penser pouvoir transmettre un joli petit collier à mes enfants. Ils le mettront dans un écrin, et de temps en temps, ils le sortiraient et se souviendront peut être…. De leur grand-mère allemande qui a trouvé important qu’on écoute même ceux « qui n’ont rien à dire ».
2nd novembre 2010 at 7 h 39 min
Gunter Gorhan says:
Moi aussi, je réfléchissais cette nuit – c’est surtout dans le silence de la nuit que je le fais – sur votre avant-dernière contribution : « L’évocation de mon appartenance culturelle dans la discussion introduit des pensées difficiles que je ne maîtrise pas bien ce soir….La tâche noire est parfois un gouffre. »
Pour être sincère ? je me suis senti coupable de vous avoir collé une étiquette, « l’Allemande ». Après votre dernière contribution je n’ai plus à me justifier en disant que la philosophie telle que je l’entends ne consiste pas à opposer des idées abstraites entre elles mais à réfléchir à partir de nos expériences, quelles qu’elles soient, « grandes » ou « petites », car en réfléchissant les « grandes » peuvent se révéler « petites » et réciproquement ; je ne me souviens plus qui a dit : « Dieu gît dans les détails ». Vos commentaires sont d’ailleurs de ce point de vue exemplaires et je pense que votre (relative) ignorance de l’histoire de la philosophie vous prémunit contre le risque de l’abstraction, d’une rationalisation stérile, voire mortifère, parce que défensive. On confond trop souvent, même des philosophes confirmés, le général (la violence du concept – moule à gaufres plaqué sur le réel, la vie) avec l’universel – qui n’existe pas en tant que substance, qui n’existe qu’en tant que processus ; deux ou plusieurs participants à un échange philosophique se sont universalisés mutuellement dans la mesure où ils ont élargi leur horizon de compréhension, « compréhension » au sens fort du terme : on ne comprend (vraiment) que si l’être entier est impliqué. Un désaccord compris de telle sorte en fait, bien sûr, partie.
J’ai été obligé de quitter l’Autriche car je ne voulais plus, je ne pouvais plus parler en allemand, tellement le passé noir de mon pays me paralysait. Ce n’est que les poèmes de Rilke dits par Quadflig qui m’ont réconcilié avec ma langue maternelle, ensuite Hölderlin, Goethe, Schiller et tous les autres ; depuis une vingtaine d’années j’aime lire et parler allemand.
La France et sa langue m’avaient en quelque sorte sauvé, d’où peut-être mon amour, incompréhensible, irrationnel pour ce pays.
Il y a autre chose : comme pour vous, le cœur politique de mon engagement dans « la philosophie dans la cité » est que « ça » n’arrive plus jamais et je suis d’accord avec vous, l’horreur nazi aurait pu arriver dans n’importe quel autre pays, toute autre appréciation serait tout simplement raciste.
Après des années de honte et d’humiliation (les Allemands, la langue allemande, plutôt des aboiements, dans les films sur cette époque), je pense que le seul jugement juste est : la première victime du nazisme étaient les Allemands eux-mêmes. Un petit livre, j’ai oublié l’auteur et le titre, écrit par un historien français fait état des résistants allemands (un nombre considérable) qui avaient combattu le nazisme depuis l’étranger (beaucoup en France) car c’était pratiquement impossible en Allemagne même, sans compter les communistes, socialistes, syndicalistes, etc. déportés en premier par Hitler. Sans oublier les « euthanasiés » dont un de mes oncles…
Avez-vous vu le film « Le spécialiste », de Harry Braumann et d’un réalisateur israélien dont j’ai oublié le nom, qui est un documentaire sur Eichmann, 2 heures extraites de son procès ? Ce n’était pas du tout un monstre sanguinaire, violent, plutôt un homme obséquieux, soumis (« je n’ai fait que mon devoir, je suis Kantien, je n’ai fait qu’obéir à l’impératif catégorique ») dont la violence (mot qui vient de bios, la vie, pour résister il faut pouvoir mobiliser sa violence, dixit Gandhi, le « non-violent ») et donc lui-même avait été brisée.
A la fin du film l’écran s’élargit, devient colorié et Eichmann est représenté comme PDG d’une grande entreprise derrière son bureau. Un nombre inquiétant de films (« Scènes de violence en zone tempérée ») et de livres (Ch. Déjours : « Souffrance en France » où il rapproche le conditionnement nazi de ce qui se passe aujourd’hui dans les entreprises converties au management moderne), pour ne citer que deux exemples du lot impressionnant…
L’école de Francfort (Adorno, Horkheimer, etc.) a qualifié ce type de personnalité d’ »Obrigkeitsmensch », personne soumise à l’autorité, typique d’une certaine éducation que j’ai moi-même subie en Autriche.
Pour abréger : j’aime les Français parce qu’ils ne sont pas obéissants, pas encore, parce que l’on fait tout pour qu’ils rentrent dans le rang. L’obéissance, qu’est-elle d’autre que le diktat « il faut s’adapter !». Que répète-t-on d’autre aujourd’hui aux Français et sur tous les tons : Faites comme le reste de l’Europe, voire du monde : adaptez-vous – à quoi ?, à la militarisation généralisée de la société, afin de gagner la guerre économique qui fait rage – et même entre les pays de l’Europe ! D’où cette obsession de tout évaluer dans tous les domaines, pas seulement en ce qui concerne la production de marchandises : dans l’éducation, la recherche, la santé, voire la culture, dans le but d’augmenter la compétitivité (économique) du pays ravalée à une banale entreprise – qu’une obscure agence de notation américaine peut faire perdre un A (sur trois) ce qui rend l’emprunt sur les « marchés » beaucoup plus cher. De Gaulle (et bien d’autres) qui affirmait que la politique de la France ne se faisait pas à la corbeille doit se retourner dans sa tombe.
Comment se fait-il que la Bolivie vient de ramener l’âge de la retraite de 65 à 58 ans ? C’est parce qu’elle s’est libérée de ces obscurs « marchés financiers », en fait des spéculateurs sans scrupule. L’Equateur et le Venezuela ont réussi le même exploit ; pourquoi pas la France ?
En tout cas, elle résiste à cette injonction mortifère – qu’il s’agisse de l’individu ou d’un peuple – : adaptez-vous ou disparaissez ! Tous les lieux de la « philosophie dans la cité » devraient être, c’est ma conviction, des lieux de résistance à cette injonction/idéologie mortifère…
2nd novembre 2010 at 13 h 05 min
TAHAR GEORGES says:
Chère Elke ,
En réponse à votre dernier commentaire, je voudrais faire les remarques suivantes :
Problème interculturel ?, vous demandez. Je réponds Bien sur !
Regardez simplement la façon dont Gunter et moi nous nous adressons à vous : Pour Gunter, vous êtes Elke ; pour moi vous êtes « chère Elke » ; au-delà de la simple politesse, il y a un degré de différence dans les rapports qui est culturel.
Encore une anecdote : MON PREMIER VOYAGE EN Allemagne avait pour but d’y conduite un séminaire ; la première matinée, je définis notre programme et je dis «nous devrions terminer les séances de l’après-midi entre 17h et 17h30 » Aussitôt un des ingénieurs participants prend la parole et me demande : « Sera-ce 17h ou 17h30 ? » J’avais compris tout de suite que j’étais en Allemagne.
Et donc, je dirai tranquillement : « Mais oui, les différences culturelles existent. Et il vaut mieux les connaître pour choisir la conduite que l’on veut avoir face à elles. »
L’effet de dérision utilisé par Carlos, je l’ai compris différemment de vous. Après plusieurs relectures, j’y vois une manière détournée, polie, de dire que le sujet ne valait pas tripette et que forcément, le débat qui en a suivi, ne valait pas plus. Là, on peut être en désaccord, mais il faut alors dire pourquoi vous accorderiez de la valeur à un tel sujet, mal phrasé, mal défini et ouvert à tous les clichés, comme les extraits qu’en donne Carlos (la tentation est facteur de régression, chaque mot a un sens et est utilisé volontairement,etc …etc…, et toujours des théories intellectualisée sans aucune référence justement à …l’expérience)
Carlos a au moins un avantage à mes yeux, il parle de son vécu, même s’il s’agit d’un vécu immédiat et aussi dérisoire que l’ouverture d’un sac en plastique !
Quant à vos commentaires concernant mes exemples de « vivre la vie de l’autre » , je vous recommanderai d’abord la lecture d’un petit opuscule écrit par …SCHOPENHAUER !! oui, oui, le philosophe. « L’Art d’avoir toujours raison ». Il y enseigne les onze techniques qu’il connaît pour aboutir à ce résultat et, certainement sans le savoir, vous utilisez l’une d’entre elles (que je vous laisserez découvrir par vous-même en lisant le livre). En déclarant qu’il n’y a rien de nouveau sous le soleil avec l’expérience du journaliste américain que je mentionne, vous semblez rejeter la discussion de cet exemple. Quand ai-je dit que c’était une expérience unique ? Quel rapport avec l’expérience du sociologue « déguisé » (que le mot est charmant !) en turc ? Comment peut-on comparer ces expériences avec l’émission « Vis ma vie » ? Quid du second exemple des bobos ? Vous avez balayé tranquillement ces questions . Bravo Elke Schopenhauer ! (c’est de l’humour !)
Vous dites « Comprendre, se représenter quelque chose qu’on n’a pas vécu est impossible ». Vous rendrez vous compte de l’énormité de ce que vous affirmez ? Ainsi l’exemple utilisé par Gunter, le film « Ridicule » ne vaut rien , puisque réalisé par des gens qui ne l’ont pas vécu ! Ainsi « Mme Bovary » est un faux puisqu’écrit par un homme !
Une « nouvelle » expérience serait finalement pour vous une situation, un événement dans lequel notre regard a été amené à changer. J’aime bien cette idée à condition de définir ce que vous appelez « regard ». Mais c’est un autre débat!
GEORGES TAHAR
2nd novembre 2010 at 13 h 40 min
Gunter Gorhan says:
Il faut, bien sûr, supprimer le « ? » et mettre à la place une virgule au début du second paragraphe de ma dernière contribution; c’est une faute de frappe et non pas de l’ironie – à mon âge, je ne vais pas commencer à en faire…
2nd novembre 2010 at 13 h 55 min
TAHAR GEORGES says:
SALUT, GUNTER ; C’EST UN PLAISIR DE TE RETROUVER DANS LES COLONNES DU PHILO-PARIS EN ESPERANT TE REVOIR BIENTOT AU CAFE DES PHARES .
Mais comme tu dis dans ton dernier commentaire : VENONS-EN AU FOND.
Tu me poses la question : es-tu intervenu pour faire part de ta propre vision du sujet choisi dimanche dernier ? Sans ambiguïté, je te réponds : NON. Je n’ai pas eu la chance d’attirer le regard bienveillant de Sylvie, tellement sollicitée par toutes ces demandes de gens pressés, comme moi, de laisser des messages immortels sur le sujet Il n’empêche que je me suis impliqué dans le débat en écoutant ceux qui parlaient, en discutant avec mes voisins et en notant certains extraits.
Tu poursuis : Je n’ai jamais compris comment un participant peut prendre une position de surplomb, d’extériorité par rapport à un échange auquel il a lui-même participé. Tous les participants ne sont-ils pas coresponsables, pas tous au même degré, bien sûr, mais aucun ne peut, à mon avis, juger de l’extérieur, comme s’il avait été spectateur d’un spectacle se déroulant hors de lui ? Non, Gunter, je n’ai pas du tout pris une position de surplomb, et je ne juge pas de l’extérieur. Le second degré, Gunter, tu connais bien, n’est-ce pas ? JE L’APPLIQUE CHAQUE FOIS QUE JE SORS DU DEBAT. Après la fureur et le brouhaha de débat, je me pose la question : Qu’est-ce qui est essentiel, dans ce que je viens de vivre , qu’est-ce qui est accessoire, qu’est-ce qui est négligeable ?
Tu continues C’est toujours drôle quand un participant, plutôt vers la fin, énonce : « C’est dommage, on n’a pas parlé de ceci ou de cela », comme s’il avait assisté depuis l’orchestre à un spectacle assuré par d’autres dont il ne ferait pas partie intégrante. Non, Gunter, ce n’est pas ce que je pense. Même si j’ai donné ma vue dans le débat, il y a eu d’autres interventions avant et après la mienne, et je me fais un devoir d’y réfléchir, de les analyser et d’en retirer, pour certaine, « la substantifique moelle ». Quant au vous n’avez pas parlé de ci, de àa, il est vrai que peu de gens ont la possibilité de parler une fois, et encore moins deux fois.
Tu poursuis : De quel type d’expérience peut-il s’agir ? S’il n’y avait que les expériences spectaculaires qui auraient un sens existentiel, effectivement, au lieu de philosopher, il faudrait changer radicalement de mode de vie. Ce serait l’application à l’existence individuelle de la 11ème thèse sur Feuerbach (Marx) : »Jusqu’ici les philosophes n’ont fait qu’interpréter le monde, il importe maintenant de le transformer ». Je te répondrais d’abord, que de par le sujet, il s’agit d’expériences nouvelles, d’accord ? Et tu donnes ta compréhension de ce qu’est une expérience nouvelle.Je ne connais pas la 11ème thèse sur Feuerbach, donc pour moi, ce n’est pas ça. Ensuite, tu te défausses sur les « philosophes », je ne me prétends pas « philosophe » et donc tu comprends que pour moi une nouvelle expérience est quelque chose de différent qui nous amène à changer de paradigme (mot défini dans mon précédent commentaire)
Nous pourrions continuer cet exercice longtemps mais je vais le raccourcir à deux ou trois points : tu me (nous ?) cites une phrase de Foucault à laquelle je ne comprends rien. Peux-tu, s’il te plait, la rephraser dans tes propres mots et me passer son message (si message il y a) en termes compréhensifs par le premier O.S qui franchirait l’entrée du café des Phares ?
Je comprends mieux l’envolée poétique de ta citation de Pessoa, j’ai presque envie d’y adhérer mais je me dis :est-ce une réflexion philosophique sur les voyages ou une auto analyse psychologique durant un voyage ?
Enfin il y a Kant, le gars qui a fait la révolution copernicienne en philosophie. Est-ce que ce jugement t’est personnel ou l’as-tu emprunté à un spécialiste de Kant ? Je ne prétends avoir lu que quelques bribes de son œuvre, mais peux-tu m’expliquer en deux phrases ce jugement étonnant ? Quant à son évolution intérieure, comment a-t-on pu l’observer ? Comment peut-on affirmer quels bouleversements de tout son être lorsqu’il s’est « réveillé de son sommeil dogmatique », selon ses propres mots.. Donc, encore une fois tu fustiges ceux qui recherchent des expériences nouvelles par l’action et tu considères que la véritable nouvelle expérience est intérieure. C’est une opinion honorable. Mais pourquoi, une fois de plus, définir comme but suprème, l’élargissement de l’âme.
GEORGES TAHAR
2nd novembre 2010 at 18 h 22 min
Gunter Gorhan says:
Georges, nous sommes peut-être beaucoup plus proches l’un de l’autre que nous croyions.
Tu définis en effet le paradigme comme étant « le cadre de ses pensées, le cadre de son horizon ». Tout ce que je voulais dire est que l’on peut changer tout ce qui concerne les aspects matériels de l’existence sans changer pour autant de paradigme. J’en connais qui ont, en effet, changé de boulot, de femme, de pays, etc. sans changer de paradigme, changement que j’appelle une conversion. Ton exemple de celui qui se retire dans un monastère (au Katmandou ou ailleurs) est déjà plus probant : voilà un véritable changement de paradigme. Je soutiens,- et j’ai l’impression que c’est aussi ce que pense Elke – qu’un changement de paradigme (ou conversion) est possible sans changement (spectaculaire) des conditions, matérielles, extérieures de l’existence.
Kant en est un bon exemple : sa révolution copernicienne a consisté à prendre conscience que notre connaissance du monde dépend de notre structure subjective, qu’une connaissance objective du monde est impossible, nous ne pouvons plus croire naïvement que nous avons accès à la vérité de l’être, des choses (en soi). Il a opéré d’autres tournants décisifs en philosophie : le tournant éthique (ce qui doit être détermine ce qui est, ou c’est la raison pratique qui détermine la raison théorique ou » pure » comme il dit), la fin définitive de toute métaphysique dogmatique (les preuves de Dieu), la distinction entre connaître et penser, entre entendement et raison, etc. Tous ces bouleversements sans changement matériel, extérieur, dans sa vie. Beaucoup d’artistes, poètes, auteurs, peintres, etc. suivent un rituel stricte dans leur vie quotidienne – surtout pas d’expériences spectaculaires ! – pour pouvoir créer, c’est-à-dire pour changer de paradigme.
Je suis sûr,, Georges, tu vas encore « jouer au prolo » démuni face à la philosophie de Kant que j’ai mal résumé, mais il y a d’excellents livres d’introduction à son œuvre ; je ne comprends pas que depuis le temps que tu participes activement à « la philosophie dans la cité » tu n’aies pas eu envie d’en savoir un plus sur les grands maîtres grâce auxquels l’humanité ne s’est pas encore contentée, jusqu’ici, de jouir et de fonctionner, grâce auxquels la question du Sens a pu se poser (jusqu’ici).
La pérennité de cette question n’est pas assurée, elle ne donne, contrairement aux sciences et aux techniques, aucun avantage compétitif à un pays, peut-être même au contraire : elle rend moins efficace, parce qu’elle rend critique.
Mais peut-être divergeons-nous sur le sens de ce qu’est une expérience et sur ce qu’est un « changement de paradigme », les deux étant liés. Ta réponse à Elke m’y fait penser : n’as-tu jamais fait une expérience nouvelle en lisant, par exemple, un « grand texte » ou en présence d’une œuvre d’art, voire même en pensant quelque chose de nouveau pour toi et qui te bouleverse (une expérience de pensée), qui te fait changer de « paradigme » ? Mais nous n’avons probablement pas la même conception non plus de ce qu’est un changement de paradigme : pour moi, suivant Foucault et Pessoa, ce changement implique tout l’être, pas seulement « le cadre des pensées » comme tu dis.
C’est pour cela que Foucault parle de la nécessité d’une conversion, lorsqu’on fait ou plutôt : afin de se rendre capable d’accueillir une véritable expérience nouvelle.
Pour résumer : pour toi, il faut un changement, une expérience spectaculaire, palpable (ça doit se « voir ») pour qu’il y ait changement de paradigme. Je pense, non, je sais qu’il y a des changements de paradigme, des conversions qui « viennent sur des pattes de colombe » (Nietzsche, pour t’intimider – je rigole), sans que ça se « voit ».
Pour toi – mais je n’en suis pas sûr – le « paradigme » qui change est surtout de nature intellectuelle, concerne surtout la pensée.
En réfléchissant, c’est pas ça ; ce sont nos échanges philo qui ne sont, pour toi, que des échanges intellectuels, des débats d’idées soumis à des méthodes (une expérience, par définition est incompatible avec toute idée de méthode qui anticipe) qui ne peuvent par conséquent provoquer aucun changement de paradigme ou conversion. Seuls peuvent le faire, des expériences « physiques », visibles, spectaculaires (les exemples que tu as cités).
Merci, je crois avoir mieux compris ta conception du café philo et pourquoi tu ne partages pas la mienne : si le café philo ne peut être, par définition, un lieu de changement de paradigme, de conversion ou d’élargissement de l’âme (trois synonymes), car les expériences qu’on y fait ne sont qu’intellectuelles et jamais existentielles, il ne vaut pas, à mes yeux, une heure de peine.
Nous sommes finalement moins proches que je le pensais au début de mon texte, mais je répète : si nous avons pu élucider un désaccord, nous avons réussi à réaliser un petit bout d’universel…
2nd novembre 2010 at 21 h 33 min
Elke Mallem says:
Cher Georges,
Bien sur que des différences de codes culturelles existent. Mêmes d’une région à l’autre, et nous les chérissons pour affirmer notre particularité. Mais dans ce cas précis j’émets des doutes. J’étais irrité par le ton cynique (j’ai le droit d’avoir un vécu immédiat, moi aussi) qui me paraissait inadapté pour l’ouverture d’une file de débat. Oui, j’ai bien compris qu’il méprisait le sujet et la façon dont il avait été traité. Cela n’a rien de culturel. C’est le choix personnel d’un homme singulier et j’ai exprimé l’effet qu’il a eu sur moi. Quel était l’effet recherché ? Je peux bien entendre qu’il ne s’agisse pas forcément pour Carlos de faire plaisir aux lecteurs et encore moins à ma petite personne.
Vous me semblez un peu vexé que j’ai banalisé vos exemples donnés pour illustrer ce qu’une expérience nouvelle est pour vous. Cela a peut-être froissé votre admiration pour ce type d’attitude. Je ne dis pas qu’il ne faille pas avoir de la considération pour ce type de démarche. Mais l’annoncer en tant que « piste plus riche » que les apports des participants du débat du dimanche: cela a déclenché ce besoin de minimiser. Le lien entre le médecin transformé en noir et mon sociologue déguisé en turc : les deux ont pu faire l’expérience de la discrimination.
Comprendre est en lien avec l’expérience à mon sens, je confirme. Les acteurs s’appuient sur les traces laissées par les expériences de la vie. Avez-vous remarqué les biographies souvent marqué par des expériences de vie difficile des acteurs ? Pour exprimer la palette des émotions humaines, ils doivent avoir vécu des situations similaires pour faire revivre cette émotion. Un autre exemple : comment comprendre les mouvements de masse tant qu’on n’a pas encore été entraîné ? A-t-on vraiment les moyens de comprendre ce qu’est la misère sans y avoir goûté?
2nd novembre 2010 at 23 h 11 min
Elke Mallem says:
Merci, Gunter, pour ces lignes engagés qui osent dévoiler les implications personnelles, et ne restent pas dans le flou artistique des grandes idées. La tendance passionnée à prendre les notions abstraites comme règles de vie, déconnectée de l’intérêt personnel, est un des leviers des mouvements totalitaires décrit par le travail minutieux d’Hannah Arendt. L’absence d’enracinement et l’isolement des individus en est l’autre. Ce type de population est nombreux dans les capitales et c’est peut-être ce sentiment d’agitation, de vivacité qu’ils génèrent qui vous a attiré comme j’en ai été attiré pour fuir un milieu ou l’enracinement ne me semblait pas possible. Vous avez du arriver en pleine débâcle Mai 68 ? Cela devait être enivrant, je suppose. Les allemands, premiers victimes ? Non, ils étaient acteurs. Le nazisme est une construction historique, tout le monde y a participé. Avec plus ou moins de conscience, avec l’agir intentionnel ou en se laissant agir. Les seules vraies victimes de la guerre, ce sont les enfants. Le problème, c’est que ces enfants abîmés deviennent adultes à leur tour et portent les traces de la violence subie comme une deuxième nature. Ce sont eux qui transportent la croyance que la guerre est chose « normale ». Au point de vue historique, c’est peut-être la première fois que ce sort a frappé autant d’enfants. Et je veux espérer que c’est la somme de travail nécessaire à ses enfants pour « s’en sortir » réussira à jeter les fondations d’une expérience « nouvelle » qui est en réalité une prise de conscience des fondations de l’humanité : Tu ne tueras point.
J’aurais encore beaucoup de choses à relever dans votre contribution, par exemple au sujet de l’obéissance et de la capacité de dire non. Mais pour l’instant, je dois me tourner vers un autre travail qui, s’il est en lien direct avec les thèmes abordés, me demande une attention particulière. Ah, si le temps et la capacité de travail de notre cerveau pouvait mieux s’accorder aux besoins d’élaborer une parole vivante si nécessaire à la cohabitation humaine ! La frustration due aux limites est toujours aussi agaçante que quand j’avais trois ans. Je me roule un peu moins par terre, mais la rage, elle reste…
2nd novembre 2010 at 9 h 30 min