Débat du 28 mars 2010 : « Parler, est-ce naturel ? », animé par Gunter Gorhan.

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Posted on 30th mars 2010 by Carlos in Comptes-Rendus

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Parler est-ce naturel ?

Dès que l’on touche au temps, c’est la vitesse de la lumière qui se met immédiatement en branle avec toute l’équation de la relativité générale dont « cette heure [ajoutée] au cadran de la montre », à peine engagé le 28 Mars, « n’est qu’un balbutiement », pour reprendre l’air de Jean Ferrat, si l’on veut chanter, ou le texte de Louis Aragon si l’on veut juste parler, d’où le désarroi des jeunes gens d’une classe Philo du Lycée de Saint Quentin dans l’Aisne qui, suivant leur maître, Monsieur Emmanuel Musset, sont rentrés au Café des Phares ce dimanche des Rameaux comme dans une Jérusalem tapissée de palmes et d’Hosannas. Saisis du doute philosophique à peine installés, ils craignirent que la prise de parole ne soit quelque chose de guindé, artificiel, culturel, « une corde brisée aux doigts du guitariste », peut-être et, pour s’en assurer, leur sujet, que Gunter Gorhan allait animer, fut carrément : « Parler est-ce naturel ? ».
Tandis que les gorges se desserraient libérant la parole bavarde, la « glôssa », des jugements laconiques se sont portés sur « le fait biologique », « le langage universel que constitue la musique », « les ‘bouffées d’air’, pour les bouddhistes », « la rhétorique », « la voix du ventre et la voix de tête », « le drame de l’enfant sauvage », « la langue de bois du politique », ainsi que sur « la parole ‘armure ‘ et la parole ‘arme’ », « le propos performatif et le propos prescriptif » ou concernant « l’évolution de la technique, évidente dans le cinéma muet qui était aussi parlant que les films sonorisés », et de taciturnes sous-entendus se sont fait jour également, tels que « la parole qui comble un vide », « la langue fourchue », « le verbiage », « le parler pour ne rien dire », « la langue sortie de sa poche », « l’affirmation par rapport à l’autre », « le silence mortifère », « la logorrhée sous influence de l’alcool », « les baratins du Don Juan et du bonimenteur », mais d’érudits rapprochements ont été opérés encore, tels que « ‘Le jeu des perles de verre’ d’Hermann Hess, sorte d’abstraction de la pensée dans tous les champs de la connaissance de soi », de même que des absurdités sur lesquelles la raison ne peut pas avoir de prise, Antoine, le jeune étudiant auteur du sujet, concluant que « le silence est souvent plus éloquent que la parole ».
Pénétré de fond en comble par le temps, c’est quasiment certain qu’œuvre expresse du Verbe au seuil du néant, l’humain advint de la prose d’un étourdissant « logos » où rires et larmes, veilles et rêveries se confondent lui permettant la perception du sens et l’appel de l’être. Et pourtant, le fait est que, sans laisser de place ni à la contingence ni à la grâce, toute chose fut convertie à la condition d’objet parlant, une continuité irréversible vibrant depuis dans le vide de l’étendue où tout s’accomplit avec des exigences particulières appâtant nos choix personnels. Chaque langue n’équivalant pas à une théorie du monde mais à une saisie du monde, le jargon encodé des plus opportunistes enferme les Hommes dans une Babel qui, n’obéissant qu’à leurs mots-clé, fonctionne indépendamment de la volonté du vulgaire quidam, liée qu’elle est au Supra Langage de la Finance continuellement changeant dans sa façon de prendre la planète en otage, attestant ainsi de l’incapacité chronique des Etats (décelée par Hegel) à tirer les leçons de l’Histoire. Dès lors, de quelle manière la Technologie, trait caractéristique de notre temps, pourrait-elle épargner aux Hommes le réquisitoire de la faim et de la souffrance, si ses effets les prive de travail et les invite à utiliser plutôt qu’à s’engager ? Livrés au hasard, nous sommes relâchés sur un atoll resserré où notre condition de roseau pensant flétrit, dessèche et fane au soleil des belles promesses d’expériences selon nos désirs, et on absorbe passivement jusqu’à la consomption dans l’espace verbal concocté par des high-tech de pointe, à cheval sur ses codes de conduite. « Ecce Homo », un bébé qui, gazouillant, va par mimétisme acquérir un langage de bac à sable puis, grandissant, va apprendre à compter, à lire et à écrire, se gavant de connaissances ensuite afin de faire face aux défis de la vie, alors que pour ouvrir toutes les portes deux mots suffisent à chacun de nous : « Tirer » et « Pousser ».
Vous savez, selon ses dires, ma voisine se plaint un jour auprès de son médecin de famille, des âpres ergotages qu’il lui fallait endurer lorsque son mari rentrait un peu pompette le soir, et il lui a conseillé de faire des gargarismes à base de camomille à ce moment-là. Lorsqu’elle est retournée le voir deux semaines plus tard, le praticien lui demanda :
- Alors ?
- C’est épatant, docteur, dès qu’il rentre éméché, je prends ma tisane et je me gargarise, je me gargarise…
- Voyez-vous, c’est naturel ; dès qu’on ferme sa gueule, tout va mieux…

Carlos Gravito