Suggestion de lecture

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Posted on 13th septembre 2010 by Cremilde in Suggestions de lecture

« Les deux « adversaires » ici en présence témoignent, dans le débat d’idées, de deux visions irréconciliables. Tout, dans leurs prises de position respectives, les sépare : Alain Badiou comme penseur d’un communisme renouvelé ; Alain Finkielkraut comme observateur désolé de la perte des valeurs. La conversation passionnée qui a résulté de leur récente rencontre […] prend souvent la tournure très vive d’une « explication », aussi bien à propos du débat sur l’identité nationale, du judaïsme et d’Israël, de Mai 68, que du retour en grâce du communisme. Mais le présent volume ne se réduit pas à la somme de leurs désaccords. Car ni l’un ni l’autre ne se satisfont, en définitive, de l’état de notre société ni de la direction que les représentants politiques s’obstinent à lui faire prendre. Si leurs voix fortes et distinctes adoptent, un moment, une tonalité presque semblable, c’est sur ce seul  point. » (4ème de couverture du livre « L’explication » de Alain Badiou  et d’Alain Finkielkraut, lignes 2010, 172 pages, 17€.)

Je ne peux trop conseiller la lecture de ce livre totalement improbable avant sa publication, ou plutôt avant une première rencontre des deux philosophes organisée par le Nouvel Obs, tellement leurs positions dans presque tous les domaines les opposaient.

Il faut ajouter au-delà de la seule convergence entre les deux auteurs (leur malaise dans notre « civilisation ») deux points :

- Une attitude exemplaire pour nous qui nous opposons souvent dans nos échanges aux Phares ou ailleurs, je cite Alain Badiou :

« Au demeurant, c’est une référence un peu intime, mais si vous regardez mon Petit Panthéon portatif, vous verrez qu’avec ceux qui ne pensent pas du tout comme moi, je peux avoir une sorte de fraternité. C’est même cette disposition à votre égard, en cette fin de notre discussion ! » (p. 168) ; sans qu’il l’exprime, il est permis de penser que A. Finkielkraut était dans la même disposition, car lorsque quelqu’un dévoile le fond de sa « posture existentielle » il ne peut qu’être infiniment respectable, voire aimable…

-La « philosophie » ou « posture existentielle » que nous adoptons dépend du type d’humain que nous sommes (Fichte) : « Cela ne fait qu’aggraver la mélancolie que vous avez remarqué tout au long de notre dialogue »  (Alain Finkielkraut, à quoi Alain Badiou répond) : « Lorsque je dis la vôtre [mélancolie, G.G.], c’est toujours avec une sourde inclination à la partager, je pense que vous m’avez entendu sur ce point. Et j’irai même jusqu’à définir toute une partie de ce que je fais comme une lutte énergique contre cette mélancolie » (dernières phrases du livre »).

Qui a « raison » ? Tous les deux bien sûr, puisqu’ils sont allés à la racine (la vraie philosophie est radicale) de leur différence qu’ils ont su porter au langage…

Enfin, un livre paru en 2004, « La religion après le religieux », reproduisant un entretien entre Marcel Gauchet et Luc Ferry (Grasset, coll. Nouveau collège de philosophie) m’avait déjà fait le même effet d’un dialogue philosophique exemplaire par la capacité des deux interlocuteurs de se décentrer sur l’autre.

Gunter Gorhan.

Débat du 12 septembre 2010 : « Quel est le rôle du philosophe dans les sociétés en mutation », animé par Gunter Gorhan.

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Posted on 13th septembre 2010 by Cremilde in Comptes-Rendus

De retour d’une longue période de vacances dans mon pays, le pays où le Fado tient lieu de philosophie, une philosophie dont l’expression [de « fari »] est la parole des dieux qui prononcent directement ce qui est et sera, je me suis rendu le 12 Septembre au Café des Phares où l’interrogation du jour, animée par Gunter Gorhan, était « Quel est le rôle du philosophe dans une société en mutation ? »

Je suis désolé mais, à moins qu’il ne s’agisse d’un bibelot, il est très difficile de concevoir un monde qui ne bouge pas, et ça été dit dès la première intervention, « puisque les sociétés sont toujours en quête de nouvelles technologies », tandis que d’autres en doutaient, introduisant la « distinction entre le politique (le nécessaire) et le philosophique (le bien et le mal) », en d’autres termes, entre le « tout change tout le temps » et le « rien de nouveau sous le soleil ».

Par ailleurs, la rigueur de l’amoureux de la sagesse n’est pour rien dans l’ordonnancement du monde, réglé plutôt par le désordre dont l’entropie en est la mesure, condamnant à l’inéluctable disparition tout système organisé et élevant les bébés au rang d’êtres les plus heureux. Aussi, d’ordinaire, le philosophe est celui qui, selon les lieux et les sensibilités, épouse avec détachement une philosophie ou une quelconque vision du cosmos et est traditionnellement enclin à une certaine résignation, comme le philosophe-roi de Kallipolis, la cité idéale de Platon. Il s’accommode de tout car il est coincé par la question du Dasein, « l’être-là » qui se distingue des autres « étants » mais, ne pouvant pas entrevoir un destin différent de celui de la mort, il est accaparé par le constat permanent de sa finitude et se terre alors dans un palliatif souci d’altérité (Controverse de Valladolid lors de la conquête du Nouveau Monde), dans le désir d’une anarchie ontologique (voir Mai 68), ou dans l’absurde lubie de « la vie d’abord, l’Homme ensuite », en quelque sorte une Théorie d’Ensembles Flous qui n’a rien à proposer. Une dernière alternative serait celle de changer de monde, c’est-à-dire, déstructurer le réel, ce qui reviendrait à la remise en cause de toute indissociabilité, alors que tous les phénomènes contiennent certes quelque chose de changeant (leur résolution), mais de pair avec quelque chose de permanent (leur substance), une double évidence qui fait de l’événement une expérience immédiate perceptible dans l’avènement/manifestation de l’art, par exemple, pourvu d’une consistance ontologique spécifique qui ne se réduit pas à nos sensations ou pensées et nous reste ainsi opaque en même temps que proche.

Résumant, voilée à l’infini, la « mutation du monde » n’est rien d’autre qu’une Tinologie [du grec « Ti » (quelque chose de différent de ce qui est là)] mais qui ne peut pas se conceptualiser selon notre propre mode d’être, une pensée sur la pensée. Elle est, finalement, une onto- logique distincte des événements où le hasard garde son sens ; des modifications de détail, telles que les marées, les volcans, les étoiles filantes, le port d’un chapeau, d’un képi, d’une kipa, du niqab ou même d’un string, des affections secondaires et pas une substantialisation existentielle qui modifierait toute détermination. 

Bref, les choses changent lorsqu’elles changent et je vais vous en donner comme exemple l’histoire d’un gars qui, pour une énième visite, se rendit à la maternité où sa femme venait d’accoucher. 

- Dis donc, Marcel, il est temps de t’avouer que cet enfant n’est pas de toi – lui dit-elle, froidement, allaitant le nourrisson.

L’homme l’écoute philosophiquement, puis rétorque, serein :

- Je dois te confesser, Ginette, qu’il n’est pas le tien non plus.

- Ah ça, c’est la meilleure ; c’est toi-même qui as coupé le cordon ombilical.

- Certes ; mais souviens-toi. Hier, parce qu’il avait fait, tu m’as demandé d’aller à la nursery changer ton bébé.

- Oui, et alors ?

- Eh ben ; je l’ai changé.

Carlos Gravito