« Les deux « adversaires » ici en présence témoignent, dans le débat d’idées, de deux visions irréconciliables. Tout, dans leurs prises de position respectives, les sépare : Alain Badiou comme penseur d’un communisme renouvelé ; Alain Finkielkraut comme observateur désolé de la perte des valeurs. La conversation passionnée qui a résulté de leur récente rencontre […] prend souvent la tournure très vive d’une « explication », aussi bien à propos du débat sur l’identité nationale, du judaïsme et d’Israël, de Mai 68, que du retour en grâce du communisme. Mais le présent volume ne se réduit pas à la somme de leurs désaccords. Car ni l’un ni l’autre ne se satisfont, en définitive, de l’état de notre société ni de la direction que les représentants politiques s’obstinent à lui faire prendre. Si leurs voix fortes et distinctes adoptent, un moment, une tonalité presque semblable, c’est sur ce seul point. » (4ème de couverture du livre « L’explication » de Alain Badiou et d’Alain Finkielkraut, lignes 2010, 172 pages, 17€.)
Je ne peux trop conseiller la lecture de ce livre totalement improbable avant sa publication, ou plutôt avant une première rencontre des deux philosophes organisée par le Nouvel Obs, tellement leurs positions dans presque tous les domaines les opposaient.
Il faut ajouter au-delà de la seule convergence entre les deux auteurs (leur malaise dans notre « civilisation ») deux points :
- Une attitude exemplaire pour nous qui nous opposons souvent dans nos échanges aux Phares ou ailleurs, je cite Alain Badiou :
« Au demeurant, c’est une référence un peu intime, mais si vous regardez mon Petit Panthéon portatif, vous verrez qu’avec ceux qui ne pensent pas du tout comme moi, je peux avoir une sorte de fraternité. C’est même cette disposition à votre égard, en cette fin de notre discussion ! » (p. 168) ; sans qu’il l’exprime, il est permis de penser que A. Finkielkraut était dans la même disposition, car lorsque quelqu’un dévoile le fond de sa « posture existentielle » il ne peut qu’être infiniment respectable, voire aimable…
-La « philosophie » ou « posture existentielle » que nous adoptons dépend du type d’humain que nous sommes (Fichte) : « Cela ne fait qu’aggraver la mélancolie que vous avez remarqué tout au long de notre dialogue » (Alain Finkielkraut, à quoi Alain Badiou répond) : « Lorsque je dis la vôtre [mélancolie, G.G.], c’est toujours avec une sourde inclination à la partager, je pense que vous m’avez entendu sur ce point. Et j’irai même jusqu’à définir toute une partie de ce que je fais comme une lutte énergique contre cette mélancolie » (dernières phrases du livre »).
Qui a « raison » ? Tous les deux bien sûr, puisqu’ils sont allés à la racine (la vraie philosophie est radicale) de leur différence qu’ils ont su porter au langage…
Enfin, un livre paru en 2004, « La religion après le religieux », reproduisant un entretien entre Marcel Gauchet et Luc Ferry (Grasset, coll. Nouveau collège de philosophie) m’avait déjà fait le même effet d’un dialogue philosophique exemplaire par la capacité des deux interlocuteurs de se décentrer sur l’autre.
Gunter Gorhan.