Le 27 février 2011: « L’ennemi est-il nécessaire? », animé par Sylvie Petin.

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Posted on 28th février 2011 by Carlos in Comptes-Rendus

Ça nous pendait au nez. La veille, contre toute attente, le XV de France s’était incliné à Twickenham dans le match l’opposant à l’Angleterre dont une vieille inimitié parait indispensable aux rapports entre les deux pays, tant est qu’elle perdure depuis plus de sept siècles. Le lendemain, 27 Février, on aurait pu s’attendre pour sujet de nos échanges  philosophiques au Café des Phares à quelque chose comme « A partir de quand est-il urgent de se taire ? », « Vaut-il mieux ignorer ou se tromper ? », « Faut-il patauger dans la merde ? », mais, parmi les sujets proposés, autres que ceux-là, c’est « L’ennemi est-il nécessaire ? » qui a eu la préférence de Sylvie Petin, l’animatrice du débat.

Ce n’est pas parce qu’une question est aberrante (sans ennemi la vie serait morose) qu’il faut conjecturer sur l’absurde, d’autant plus que de par l’étymologie, « ami »/« ennemi » sont déjà deux concepts antagonistes en conflit l’un envers l’autre, mais non nécessairement, et que, en général, l’ennemi est comme les mauvaises odeurs ; ça incommode, et nous n’avons pas toujours le cœur assez vaillant pour le supporter, même si un probable instinct de mort nous laisse admirer les ennemis publics que l’on place d’ordinaire en n°1, comme Mesrine en France et Raoul Moat au Royaume Uni, le n°2 étant Nick Simple, dit « Diamant ».

Numéro un ou deux, Pierre Desproges prétendait que « L’ennemi est bête ; il croit que c’est nous l’ennemi alors que c’est lui », et je suis conscient que beaucoup de gens, même des commis de l’Etat, jouissent devant les véhicules blindés, les fusils d’assaut, les tasers ou flashballs, offrant à l’occasion des primes aux agents qui les utilisent afin de développer leur imagination, vu « la nécessité d’avoir un ennemi » ; ne serait-ce qu’un tout petit ça peut faire l’affaire, du moment qu’il grince des dents, car ça met de l’ambiance dans le commissariat lorsque l’on s’y ennuie. Ce qui est extraordinaire est que, cette fois-ci, même les prêtresses de « l’amour à tous les étages » ont marché dans la diversion intellectuelle, d’après le principe « un ennemi n’est pas vraiment nécessaire mais on peut toujours boire un café avec lui », ce que ne ferait pas Guillaume d’Orange.

En revanche, que dire du frelon asiatique, qui s’attaque à nos abeilles ? Ça ne peut convenir qu’à ceux qui ne goûtent pas au miel, un plaisir trop délicat pour des mufles. Que dire de la menace nucléaire et de ces affreux jojos de talibans ? Juste nécessaires aux politiciens, toujours soucieux d’avoir en poche une réserve d’ennemis, car donner de la peur est la seule vertu des chefs. Avoir le trouillomètre à zéro est une condition exigée du peuple, de pair avec l’identité nationale. Il ne faut pas qu’il connaisse autre chose que l’effroi, un ennemi (ou un soupçon d’adversaire) étant dès lors indispensable pour qu’il se croie investi d’une héroïque mission, ce qui justifie en même temps la fonction première affichée par l’Etat, assurer la sécurité de tous en échange d’une obédience sans failles comme seule raison d’être des sujets, soient-ils « électeurs ». De ce point de vue, tel que le dit Guy Debord, l’« histoire du terrorisme est éducative », et affiche l’ennemi en continu.

A quoi assiste-t-on aujourd’hui dans les pays en ébullition, un régal pour les soi-disant Démocraties oublieuses du fait que, en guerre permanente contre le peuple traité comme le pire des ennemis, tous les Etats finissent par récolter l’insoumission ? On assiste à une leçon de morale : l’ennemi étant invisible et pas toujours là où l’on pense, il faut se battre sans trêve peu importe où et contre qui, jusqu’à ce que les événements le rendent visible. « Droits universels » et « ennemis légitimes », le discours est bien ficelé, mais son sens ne peut nous être donné que par l’Histoire. Sans aucune nécessité de le faire, chacun se fabrique l’ennemi qui lui convient, tout en oubliant la question du débat, car nous voulons surtout rester des Hommes.

« Braves gens, prenez garde aux choses que vous dites. Tout peut sortir d’un mot qu’en passant vous perdîtes [en le disant ou murmurant à l’oreille d’un ami, mais ce mot court, sort de l’ombre, marche, et rien ne l’arrête jusqu’à finir chez l’intéressé pour lui souffler] :

 ‘Me voilà ! Je sors de la bouche d’un tel’. Et c’est fait : vous avez un ennemi mortel ». (Victor Hugo, « Toute la Lyre »).

Carlos Gravito

6 Comments
  1. Elke Mallem says:

    Suite au débat, l’Angleterre est à considérer comme adversaire et non en tant qu’ennemi. Quand faut-il se taire ? Nous avons conclu : C’est quand il y a silence radio qu’il faut se méfier, quand le dialogue est devenu impossible. Parce que le sujet de discorde devient creuset de violence. «… Et vaut mieux ignorer ou se tromper » : le choix, suite au débat, oriente vers l’acceptation du doute plus que vers le déni. Question aberrante que celle de l’ennemie? Essentielle, à suivre le chemin emprunté par le débat. L’ennemi, a-t-il une odeur ? Je ne me rappelle pas d’avoir entendu parler de ce sujet. Dans le fond de ma mémoire, je me rappelle d’un commentaire au sujet des odeurs de la cuisine exotique qui pouvait heurter certains…. La discussion sur la scène médiatique avait peut-être alimenté une image d’ennemie pour ceux qui en ont besoin pour rendre leur vie plus pimentée. Maintenir l’image de l’ennemi pour maintenir la cohésion nationale, oui : ce sujet a été abordé, celui de la coopération grandement facilitée par l’existence d’un ennemi commun. Pour certain, c’était le « bon vieux temps », celui des tranchées, de la camaraderie pour la vie, pour la mort. Là, on pouvait se prouver qu’on n’avait « même pas peur ». « Sans aucune nécessité de le faire, chacun se fabrique l’ennemi qui lui convient, tout en oubliant la question du débat, car nous voulons surtout rester des Hommes. » Non, nous n’avons pas oublié le débat, justement, ce dimanche là. C’est en cherchant la nécessité qui pousse à construire des ennemis qu’on trouvera une solution à aux questions posées par les ennemis. Cette recherche a été étayée par le débat. Je ne suis pas Homme parce que j’ai un ennemi, je suis homme parce que je sais parler avec d’autres hommes. C’est plus difficile avec des Hommes qui ne parlent pas le français, c’est certain.

    28th février 2011 at 12 h 49 min

  2. Carlos says:

    « Quod natura non dat, [Montesquieu] non praestat », et pourtant les sanglots des « femina lacrimans » (pleureuses officielles) se font entendre avec l’exigence d’une cohérence nationale via « le maintien d’un ennemi de l’intérieur », communément appelé « bouc émissaire ». C’est ainsi qu’à l’incendie du Reichstag (III Reich allemand) ont succédé la stigmatisation d’une partie de la population, suivie des odieux crimes qui ont illustré la fin du siècle passé, et au 11 septembre 2001 (USA) les « Patriot Acts » qui réduisirent dangereusement les droits des citoyens et émigrants légaux. Ce type de politique a été théorisé par Carl Schmitt, idéologue de la dictature nazie, dans sa « Théologie Politique », dont la thèse accrédite l’absolue nécessité d’un « ennemi de l’intérieur » dans l’orchestration politique, l’état ne trouvant son identité et sa vitalité qu’en identifiant un vil adversaire et en se mobilisant contre lui. Ça justifie pas mal d’idées, comme la solution préconisée ci-dessus : purger le pays des indésirables qui « ne parlent pas français ».

    28th février 2011 at 11 h 45 min

  3. Elke Mallem says:

    J’aurais préconisé l’idée de purger le pays des indésirables qui ne parlent pas français? Je préfère de penser que j’ai mal compris! Je préconise, moi, qu’on apprenne les langues étrangères. Plus on parlera de langues différentes, mieux on arrivera à se comprendre et moins il y aura d’ennemis. Cela n’est pas la même chose que d’avoir le désir d’une langue unique! Pas plus tard que mercredi, j’ai pu entendre Etienne Klein parler de la différence de structure du langage chinois par rapport au langage français qui les conduit à appréhender l’univers d’une façon totalement différent que nous. Il a parlé aussi de sa difficulté de traduire le langage mathématique en langage verbale. C’est un vrai travail et implique l’envie, le désir de partager du savoir, de s’intéresser au cadre de référence de l’autre et oblige de mieux comprendre « soi » (la physique, dans le cadre de son travail.) Quand j’ai pris le soin de connaître quelqu’un, de vraiment comprendre son point de vue, je ne peux plus le considérer en ennemi. Impossible. Seulement, la capacité de travail de notre cerveau est tellement limité. Parfois, il est tellement tentant d’ignorer que de faire l’effort de comprendre.

    28th février 2011 at 8 h 09 min

  4. Nadia salah says:

    J’aime cette citation de Plutarque (écrivain et probablement philosophe) : «Il faut avoir des amis et des ennemis ; des amis pour nous apprendre notre devoir, et des ennemis pour nous obliger à le faire.». L’ennemi nous pousse à agir, à faire, à connaître, à savoir faire ….Il peut être un moteur puissant à partir duquel l’homme peut chercher à se dépasser. L’ennemi lui renvoie une image dont il ne veut surtout pas. Il se construit en opposition avec ce qu’il juge infâme.
    Il semblerait que Mittérand aurait dit , en confidence, à Chirac qui le mettait en garde contre ses ennemis :  » Méfiez vous de vos amis, de mes ennemis je m’en charge ». Mythe ou réalité, je trouve que l’idée est intéressante. On va toujours un peu trop vite dans nos appréciations. Seules les situations auxquelles nous sommes confrontés, les circonstances difficiles peuvent nous dire ce qu’il en est vraiment de l’amitié. Je crois aux « tripes », c’est à dire à l’Amour. Un amour véritable est par essence incorruptible et inaltérable. Quant à l’amitié, elle peut être de circonstance. Nos amis d’hier, peuvent devenir nos ennemis et vise et versa. Il faut tenir compte de la nature humaine , ne jamais oublier les bassesses mais aussi ce qui peut faire la grandeur des hommes. Schopenhauer était sans illusion : cachez soigneusement votre supériorité, nous dit il, de crainte de vous faire des ennemis. Le pouvoir, l’intelligence etc …. peuvent susciter l’envie, la jalousie ….. et mettre fin à une relation qu’on supposait amicale ce qui m’amène à m’interroger sur ce qu’est une véritable amitié ? Planquer le cadavre dans le placard mais aussi comme le fait une de mes voisine depuis 4 ans  » se rendre deux fois par mois en allemagne chez un ami qui a eu un accident vasculaire cérébral » et lui téléphoner régulièrement pour avoir de ses nouvelles. Les toutes petites mais aussi les grandes choses , moins fréquentes mais essentielles.Il y a peut être une forme d’amour dans l’amitié véritable. Dans ce cas, je suppose qu’elle est aussi rare que l’Amour. Quant à la haine, il me semble qu’on ne peut la combattre durablement que par l’amour. Amitiés à tous.

    28th février 2011 at 16 h 48 min

  5. Nadia salah says:

    P.S. : Après réflexion, je crois que ce qui sous tend le sujet , c’est la haine de l’autre et peut être une certaine forme de haine de soi. C’est à la fois l’expression de la soufrance,d’une forme d’impuissance (très bien étudié par Nietzsche dans le ressentiment) et il faut bien le dire d’une forme de bêtise.

    28th février 2011 at 19 h 39 min

  6. ROCA Gilles says:

    L’ennemi est’- il nécessaire ?, Sylvie P,

    extérieur, intérieur, guerroyeur, re-Lieur, en soi, proche … Lointain, basique, hautain,
    ennemi naturel, ennemi culturel, propre’, individuel, comme’…un’, universel, ennemi, un … personnel, en spectre’, épouvantail, en miroir, Attirail, ennemi, faux’- Ami, d’un grand soir,
    en repoussoir, en blanc et noir, entonnoir, éteignoir, encensoir, ostensoir,
    L’ennemi est consubstantiel, fédérateur, en potentiel, existentiel, secret, Voire’, essentiel, essence’…ciel !, se …crée … bouc émissaire’, imaginaire’, en projection, transfert, de fiel,
    paranoïa … critique, dans L’Air, psychopathologique, grégaire’,
    ou Logique … biologique’, Atavique, À La guerre’ comme’ À La guerre,
    de notre’ être … pour être’, exister, se faire connaître, Voire, reconnaître,
    pour se confronter, s’Affronter, s’envoyer’ en’ enfer’, quel ennemi … À naître’ ?,
    Au paradis, martyre, de La haine’, À La tire,
    dans tous Les coins, ça …tire’, Attise’, Attire,
    j’ai …haine … de « géhenne », de « L’enfer, c’est Les’ Autres »,
    de Jean-Paul Sartre’, entre’ Autres,
    À Jean-Édern Hallier, « L’enfer, c’est moi »,
    fou À Li-er, entre … peur et danger, À boire’ et À manger … prouver’, et se prouver’, À soi,
    qu’on’ existe … sur terre’, À cause … grâce’ À L’ennemi, À L’Adversaire,
    Voire … héréditaire’, en soi, ou planétaire, tu … es qui tuer … ton meilleur ennemi,
    c’est toi, face’ Au monde … L’Autre … Toi, de toute ta Vie, un « cancer’ »,
    tu n’Auras jamais qu’un seul ennemi, c’est toi, on’A toujours besoin d’un’ ennemi …
    chez soi, un plus petit que soi …
    Adversaire … rival, Vital, en soi,
    ma foi !, pour se construire, « détruire, dit’- elle … »,
    Marguerite Duras’, Aux’…Ailes,
    déconstruire … dit’- il,
    Jacques’ Derrida, Le fil,
    La haine des … chaînes, … qu’on’ Abat, résistance … combat, Pouvoir, Argent, Violence’,
    ou écolo-service … Non-Violence,
    rapport de force, rapport – Amorce’, en Non’- Ami,
    Anti-Ami, ennemi – ennemi … comme’…un Ami – Ami,
    À respecter, connaître’, Aimer, c’est dans L’épreuve, de L’ennemi,
    qu’on fait ses preuves, d’…aimant, Ami,
    dément … peut’-être … fou, mais …sage,
    Chemin de La Passion, Pas …sage’,
    Yin’ / Yang’, Altérité, Yin’ / Yang’, humanité,
    si L’ennemi n’existait pas, il faudrait L’inventer,

    « Si Vous tuez’ un’ homme, Vous’ êtes’ …
    un’ Assassin . Si Vous’ en tuez des milliers, Vous’ êtes’ …
    un chef, un Vainqueur . Si Vous’ en tuez des millions, Vous’ êtes’ …
    un héros . Si Vous Les tuez tous’, Vous’ êtes’ …

    un dieu . », Jean Rostand, si Dieu n’existait …
    pas, il faudrait L’inventer … Gilles Roca,

    Cas-fée-Philo des nés-nus-Phares, 27’- 2 – 2011’, en ces-jours de Ventôse’,
    un, nécessaire’, ennemi, phare, on n’est pas de bronze’, ou bonze’, ose !, G R

    28th février 2011 at 11 h 16 min

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