Débat du 27 Mars 2011: « Y a-t-il des faits moraux? », animé par Sylvie Petin

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Posted on 28th mars 2011 by Carlos in Comptes-Rendus

Sans rien effacer des misères qui assolent le monde, un épouvantable changement d’heure nous avait surpris au cours de la nuit, et nous n’étions pas très frais le 27 Mars, lors qu’au Café des Phares Sylvie Petin choisit d’animer le sujet dont il fallait faire cas : « Y a-t-il des faits moraux ? »

Le point ne dispensant pas de la connaissance des causes et des effets avant de pouvoir se prononcer sur la question, il s’agissait là de toute évidence d’un faux problème qui ouvrait surtout une fenêtre de tir idéale pour arroser les participants de cautions morales allant de Pascal, Rousseau et Husserl à Hans Jonas, un cocktail d’équivoque et d’univoque pas facile à déjouer, raison pour laquelle il fallait stoïquement y faire face comme d’autres de par le monde essayent de parer aux caprices que le destin leur réserve.

C’est ainsi que l’on a considéré « la Morale comme partenaire des Faits » qui ne seraient « pas que des simples actes mais quelque chose de plus ». Quoi ? C’est là que nous nous sommes rendu compte qu’« un fait est un fait », mais il était trop tard pour roquer. On a bien appelé à la rescousse « le serment d’Hippocrate », « les litiges en Tribunal », « la conduite du chauffard », « la grille des valeurs », « le révisionnisme », « l’interprétation », « la neutralité du fait », la rituelle « pose d’un acte » mais rien n’y faisait ;  la fuite en avant était la seule sortie honorable.

Ceci dit, nous avions le choix : soit on comprenait l’énoncé à partir de « La Morale », soit on l’envisageait sous l’angle d’« Une Morale », convenant dans les deux cas qu’un « Fait » n’est pas une vision de l’esprit ; c’est l’image nette d’une réalité effective constatée « hic et nunc » et dégagée de toute transcendance. « La Morale » se définit, elle, comme un ensemble de règles universellement et inconditionnellement valables, tandis qu’« Une Morale » se restreint aux principes et usages adoptés par une certaine communauté à telle ou telle époque.

Historiquement, il semble que c’est le tremblement de terre de Lisbonne, le 1 Novembre de 1755 qui, suivi d’un gigantesque raz de marée et d’un violent incendie, ravagea la capitale portugaise provoquant des milliers de victimes, le premier fait désastreux suffisamment funeste et bouleversant pour éveiller la conscience mondiale au point de susciter chez Voltaire et Rousseau une réflexion philosophique à propos du Mal et du Bien, sur terre, à l’Age des Lumières. Par la suite, Adorno et Hanna Arendt firent un rapprochement avec l’Holocauste, ce qui a définitivement transformé la culture et la philosophie, la sortant des concepts de sublime et d’innocence auparavant mis en valeur par Emmanuel Kant.

Quoiqu’il en soit, que nous reste-t-il à faire ? La présence de l’Etre se trouvant en toutes choses et chaque détermination supposant un « Fait », celui-ci est, en l’occurrence, un concept indéterminé qui ouvre la porte à toutes les formes de réalité avec les différences qui lui sont propres. Sachant que  « La Morale » prescrit ce qui doit être absolument, c’est clair qu’un événement singulier est réfractaire à un critère de vérité universelle et, au regard de la science qui interprète les faits en fonction de lois spécifiques à mettre en évidence, « La Morale » ne s’y s’impose pas. De même, dans le cas d’un « Fait commun » ou expérience immédiate dans un lieu quelconque, la sagesse commande de faire comme on voit faire et de se fondre dans la couleur locale, respectant là aussi « Une Morale », l’ensemble de règles admises dans une société à un moment déterminée ; celle des coutumes et traditions du lieu.

Contre les faits il n’y a pas d’arguments.

Carlos Gravito

Débat du 20 Mars 2011: « L’Europe existe-t-elle ? », animé par Ives Cusset.

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Posted on 21st mars 2011 by Carlos in Comptes-Rendus

Le vendredi 11 Mars un séisme, provoqué par le plissement de trois plaques tectoniques du Pacifique suivi d’un ravageur tsunami, dévastait au nord du Japon la ville de Sendai, puis emportait jusqu’à la mer, comme s’il s’agissait de simples brins de paille, un torrent de maisons, trains, bateaux et voitures, fracassant les réacteurs de la centrale nucléaire de Fukushima, dont l’explosion a contaminé les lieux déjà meurtris de substances radioactives, signe d’une catastrophe nucléaire majeure qui sema le deuil et la désolation dans le pays nippon tout entier, jusqu’à Tokyo. Si l’on y ajoute tous les massacres du peuple libyen perpétrés par son président Mohammar Khadafi, c’était le moment du repli sur soi ; de regarder notre nombril et de nous tâter, raison pour laquelle le sujet du dimanche suivant, 20 Mars au Café des Phares fut « L’Europe existe-t-elle ? », choisi et animé par Yves Cusset.

Une fois explicité l’avènement mythologique de l’Europe, une princesse phénicienne enlevée par Zeus qui l’amena en Crète déguisé en taureau, nous passâmes à nous interroger sur « l’Union Européenne », ses idéaux, sa diversité, sa mixité et sur la différence entre « être » ou « se sentir européen » ; étymologiquement, du moins, ça en jette : (Európê, de eurys=large, et ors=aspect). Puis, étant donné qu’au départ il y a de « l’amitié », ça promet, même si « inimitié » il y eut aussi, ce qui nous a donné l’opportunité de parler également de la Turquie (qui a un pied sur le vieux continent), et de certains quartiers de Paris, ainsi que des guerres livrées entre tous les pays membres et les respectives religions, pas uniquement chrétiennes. Question finances, on a évoqué encore l’Euro fort et l’Euro faible au sein d’un luxe d’institutions qui fonctionnent sur le mode de la gabegie, ce qui éveilla l’idée que tout système ne fait que progresser inéluctablement vers le plus grand désordre et l’incontournable question sur la destinée d’un tel espace de paix et démocratie, si chacun reste concentré sur sa propre histoire et divisé entre l’émotionnel et le volontaire.

Pour résumer le cheminement de ce colosse, qui, parti du Traité de Paris (1951), longea ceux de Rome (1958), Bruxelles (1965), Luxembourg (1987), Maastricht (1992), Amsterdam (1997), Nice (2001) et Lisbonne (2007), émaillés par des Référendums au résultat avalisé d’office, regardons un peu de plus près le phénomène, évitant de parler de l’Impôt de L’Union Européenne qui nous pend au nez.

La Commission de Bruxelles (qui se charge de tout, même de la courbure de la banane, de l’épaisseur de la cuisse du poulet ou des jeux de hasard), emploie plus de 23.000 fonctionnaires et croule sous un volume de paperasse qui force les responsables à interdire la production de textes de plus de 15 pages. De son côté, le Parlement Européen est une vraie tour de Babel qui occupe, au-delà des 736 députés, 6.000 salariés. Côté interprètes, il faut savoir qu’ils sont dirigés selon les méthodes du grand management et ce qui se passe dans toutes les cabines lors des séances plénières se résume à un festival d’interventions prononcées à la vitesse grand V qui, indépendamment de la qualité de la version donnée, s’avère techniquement éprouvant et politiquement douteux, étant entendu que chaque jour des milliers de mots sont interprétés en onze langues pour 27 états membres. Ayant seul l’anglais comme relais dans l’aller retour des traductions (disons adaptations), il est inévitable que l’on vérifie dès lors une fréquente incompréhension dans les rapports que l’on nomme « syndrome de Strasbourg ».

Qu’à cela ne tienne. Lu dans « L’Europe pour les Nuls » : « Deux paysans portugais étaient assis au bord d’une route, lorsqu’un touriste égaré arrêta sa voiture devant eux pour s’enquérir du meilleur chemin à suivre. Comme ils ne comprenaient pas un mot de sa langue, il demanda :

- Vous parlez français ?

Ils se regardèrent l’un l’autre, interloqués.

- Do you speek englisch ?

Même réaction.

- Sprechen Sie Deutsch ?

Ils ne comprenaient pas davantage ce qui fait que, furieux, l’automobiliste repartit en trombe.

Au bout d’un moment, un des paysans dit à l’autre :

- Finalement, on ferait bien d’apprendre une autre langue…

- Bof ! Il en connaît trois et ça ne lui sert à rien ! »

Carlos Gravito

Débat du 13 Mars 2011: « La liberté peut-elle se prostituer? », animé par Gérard Tissier.

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Posted on 14th mars 2011 by Carlos in Comptes-Rendus

Parcourant la Presse de ce dimanche, 13 Mars, je n’ai pu avoir que des échos imprécis du malheur qui s’était abattu l’avant veille sur la côte pacifique du Japon. Et pourtant, indifférente à tout ce qui se passait dans le monde, la revue « Hot Vidéo » dédiait sa couverture à « La petite révolution d’une jeune fille, belle comme le diable, mais bien plus dangereuse », et c’est pensant à ça que j’ai pris note de notre sujet philosophique au Café des Phares : « Les prostituées peuvent-elles se libérer ? »… Oh, pardon, autant pour moi. Notre thème de réflexion était l’inverse ; il s’agissait de répondre à la question : « La Liberté peut-elle se prostituer ? », débat dirigé par Gérard Tissier, qui l’a choisie.

Il me semble que la Liberté est, en l’occurrence, le sujet grammatical de l’énoncé et par conséquent elle est l’auteur impuissant d’une action quelconque (se prostituer ou pas). Sauf à être balancé par son mac, une idée transcendante qui ne brille que lors de son absence, a-t-elle les moyens d’agir ? Du grec « Eleutheria » (le Bienfaiteur), surnom donné à Zeus lors de la victoire des Grecs sur les Perses, notre mot Liberté a diverses nuances, allant de la notion de Volonté (qui n’existe pas en grec) à l’autorité sur soi. Mais, préférant les gorges chaudes et le porno chic que l’on peut trouver sur facebook, l’analyse phrastique de l’animateur s’est laissée plutôt séduire par la lumière glauque des lupanars, 100% hard, et le monde interlope des proxénètes ou la soumission au chantage, c’est-à-dire à une loi qui n’en est pas une ; la règle est codifiée et dictée par les acteurs du milieux en collaboration avec la police. Fort heureusement, l’assemblée s’est départie de cet a priori car « être libre » est aussi la faculté de s’adonner à ses fantaisies, ce qui ne pose pas de problème philosophique, et, de ce point de vue, nous ne nous sommes pas censurés, notre liberté étant de pouvoir se prostituer, d’où les noms de rues de Paris telles celles du Poil-au-Cul (rue du Pélican), de Tire-Vit (rue Marie Stuart), de Trace-Putain (rue Beaubourg), ou Pute-y-Musse (rue du Petit-Musc). (cf. « Histoire de Paris », par Céline Excoffon).

Il a été donc dit, « qu’en raison du regrettable constat d’un bien commun, celui de la Liberté (et peut importe le contenu des constitutions) scandaleusement bousculé et compromis partout, on se trouve devant une contradiction majeure par rapport à elle, ce qui légitimerait la question, d’autant plus que la dite Liberté n’est pas une marchandise. Notre tâche serait donc de chercher à savoir ce que c’est ‘être libre’, travailler étant déjà une sorte de prostitution, si l’on exclut le caractère éphémère et paradoxal de celle-ci. Nous ne serions donc pas libres, mais pourrions le devenir, la Liberté, ainsi que son potentiel créatif, étant quelque chose à façonner, comme il fut observé encore, dans un processus de refus de l’aliénation, car il s’agit là de quelque chose qui ne se vend ni ne s’achète pas. Se sentir libre ne serait donc pas la liberté forcément, mais plutôt un véhément désir commun à tout le monde et pour Spinoza cela équivaudrait à un choix de sa propre nécessité. Quelqu’un ayant remarqué qu’au fur et à mesure que le débat avançait, la confusion augmentait aussi, nous nous sommes laissés finalement emballer par Rachel, la prostituée au grand cœur, celle de la nouvelle ‘Mademoiselle Fifi’, de Guy de Maupassant ».

  Toutefois, il est clair que la Liberté n’est pas une licence, ce à quoi ressemble le monde des Nations Unies, un lupanar à ciel ouvert, bien loin de la « Liberté chérie, ooohh !!! », chantée par les poètes qui ont peut-être une métrique bien différente de celle des philosophes, car, opposée à « servus » (esclave), une telle indépendance n’est pas quelque chose qui se négocie avec des salauds et autres malfrats aux couteaux à cran d’arrêt, dont le métier est de débaucher et prostituer sans autre gêne que les règles des hommes de main.

 La Liberté est donc la situation d’une personne singulière, indépendante, c’est-à-dire, délivrée de tout, fut-ce d’un déterminisme établi de façon absolue ou une obsession ressemblant à l’idée fixe de donner un sens intelligible à cette phrase qui nous a mobilisé. Elle n’est pas non plus un privilège ; c’est un acte de volition qui émane du Moi, et du Moi seulement, une réalité évanescente destinée à combler une contingence, le sens de la délivrance qui n’a d’autre moteur que le vouloir. « Ne me libérez pas, je m’en charge », s’est dit par trois fois Michel Vaujour, contredisant Sartre qui, envoûté peut-être par son propre esclavage, place « la liberté derrière les barreaux d’une prison » ou « l’occupation de son pays par l’étranger ».

Mais, on dirait que nous en savions plus sur la prostitution que sur la Liberté elle-même, ce que l’on crie et que l’on écrit pourtant sur les murs, lorsqu’il le faut. Alors, puisque l’occasion m’en est donnée, aujourd’hui, je veux écrire ici, ce petit hommage à une femme libre, d’une qualité rare. Il s’agit de Grisélidis Réal, travailleuse du sexe, peintre et femme de lettres que j’admire beaucoup, inhumée au cimetière des Rois, le « Panthéon genevois », à côté de Borges et Piaget, sachant que la Liberté est par nature bordélique.

 Carlos Gravito

Débat du 6 mars 2011: « Est-ce que toutes les admirations se valent », animé par Daniel Ramirez.

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Posted on 7th mars 2011 by Carlos in Comptes-Rendus

Le 6 Mars 2011, une bonne partie des parisiens sont allés admirer, autour de la place de la Bastille, les participants au demi Marathon de Paris (21,1 Km) qui, dossard sur le dos et puce électronique sur la chaussure, allaient tourner autour de la colonne de Juillet, tandis qu’au Café des Phares, une foultitude de consommateurs s’apprêtait à assister au débat philo animé par Daniel Ramirez, dont le sujet choisi fut « Est-ce que toutes les admirations se valent ? »

S’agissant, dans l’admiration, d’un état d’âme ou de sentiments et pas de choses, comme ça, à brûle-pourpoint, le sens donné au mot m’interpella et j’ai fait un rapide calcul : si une admiration saisit beaucoup de monde, deux admirations saisissent beaucoup plus et trois, encore davantage. Tout ça, pour ne parler que de la quantité, sachant que lorsque l’on admire on ne compte pas ; c’est un lieu commun. Mais, si l’on se penche sur la qualité, alors là, je crains que nous soyons obligés de conclure que, l’admiration étant la mesure aussi bien de l’ignorance que du savoir, le lot de la bêtise ou de la grandeur de l’âme risque bien de se modifier aussi, car c’est par des jugements simples sortis de l’indépendance de l’esprit que l’on s’insère souvent, en dépit du bon sens, dans des mouvances de type « groupie » autour d’un mentor, jusqu’à ce qu’un jour il vienne vous dire « mon admiration est plus grande que la tienne », ce qui en définitive signifie qu’il n’en a pas bésef. Il s’agit d’une superbe semblable à celle des « habits neufs de l’empereur », qui ne colle qu’aux sots et aux imbéciles, une surexposition de l’éphémère, l’émerveillement du « fan art » et autres niaiseries, plus une adulation qu’une admiration, propre au « people idolâtre », force badges et autocollants. Une vie tumultueuse dans la quête de « qui est qui », parmi les athlètes ou les saltimbanques des médias et du petit écran, autour desquels s’organise la société du spectacle.

Va trouver une logique dans tout ça ! Faisant un détour par Kant, on a cherché dès lors à aplanir le doute, puis à établir entre l’œuvre et l’auteur (tableau ou musique) lequel se présentait comme admirable, concluant finalement à la probable nécessité de créer une échelle de valeurs de toutes les admirations devant lesquelles on devrait s’incliner que ce soit dans des musées ou face à un prodige. A contrario, si elles ne se valent point, il serait utile de définir contre qui ou quoi conviendrait-il de se redresser, l’admiration ne prouvant pas le caractère admirable des choses, à réévaluer ou reconsidérer éventuellement selon les sensibilités et surtout en démocratie où il n’y a pas de place pour l’admiration, vu son caractère dangereux, et même suspect, dès que l’on peut admirer un ennemi pour son courage, un voleur pour son culot, un escroc pour son aplomb, un assassin pour son toupet.

De « mirari », (s’étonner), l’admiration est finalement une attitude contemplative qui procure un sentiment de plaisir désintéressé à celui qui se laisse absorber dans la considération d’un objet donné, ce qui exclut d’emblée une quelconque idée de valeur et laisse plutôt supposer que toute autre personne est susceptible d’éprouver le même sentiment. C’est une agréable surprise de l’âme qui porte à examiner avec attention les oeuvres qui nous semblent rares ou extraordinaires, et nous avons déjà ressenti tous la sensation d’étonnement devant ce qui est ou semble nouveau, voire grand, ainsi que notre dédain ou mépris pour d’autres choses lorsqu’elles nous apparaissent mesquines ou méprisables.

 Il s’agit d’un état affectif stable mais assez sophistiqué, un mélange de stupéfaction et de bonheur devant ce qui nous apparaît comme beau ou merveilleux nous conduisant à nous sentir en secrète affinité avec ce qu’on admire et que l’on peut admirer d’autant plus longtemps que l’on ignore la vraie raison du ravissement. Ça ne se négocie pas.

A ce propos, il me revient une histoire racontée par le philosophe Christian Godin, ici même. « Prêt à conclure, l’acheteur d’une villa s’extasiait devant un grand lac attenant à sa future maison. ‘Que c’est beau !’, disait-il. Pensant ajouter une louche à cet argument, le vendeur s’exclama : ‘Et encore. Là, vous n’admirez que la surface !’ »

 Carlos Gravito