Voilà. A Pentecôte, le 27 Mai 2012, cinquante jours donc après la Résurrection du Christ et dix après son Ascension, le Saint Esprit est descendu sous forme de languettes de feu sur les douze apôtres réunis auprès de Marie, tandis qu’en session plénière dans l’hémicycle de Strasbourg, sans s’attendre à des miracles, les 754 députés du Parlement Européen allaient débattre avec le Président de la Commission de Bruxelles, Monsieur Barroso, à propos de taxes, réduction du gaspillage des ressources naturelles, gestion des déchets, création d’emplois pour les jeunes, en même temps que de la réduction des écarts de salaire entre hommes et femmes, au Café des Phares®, une centaine d’habitués de l’établissement allait s’échauffer les esprits commentant le sujet qui leur était soumis, c’est-à-dire, une tirade attribuée à Fiodor Dostoïevski, déjà analysée le 9 janvier 2011 sous la direction de Gérard Tissier, et proposée par le même participant de ce jour-ci, quoique animée par Gale Prawda : « Celui qui aime l’Humanité, n’aime pas les Hommes ».
Les langues se sont déliées, hélas sans intervention particulière du Paraclet, et pour cause… Le laïus de l’illustre misanthrope semblait peu crédible, en raison de son incohérence, l’Humanité n’étant rien d’autre que l’ensemble des Hommes, passés, présents et futurs, des êtres humains qu’entre autres, il est vrai, le rire caractérise. Ainsi, le Saint Esprit a dû regarder deux fois et frapper avec sa petite patte sur la tempe, se disant qu’il devait s’agir là d’une dispute oiseuse, portant à croire que le Divin se serait trompé sur la nature humaine, rendant du coup abominables les Hommes qui auraient la velléité ou la passion inutile d’aimer l’Humanité, ainsi que la liberté, et jouiraient même d’un plus grand bonheur sans elle, alors que le russe misait sur un espoir de rédemption pour eux.
Enfin. Dostoïevski ayant réellement avoué dès 1877, dans « Les Frères Karamazov » : « Plus j’aime l’Humanité en général, moins j’aime les Hommes en particulier, comme individus », je suis porté à croire que le but de l’opération Phares était de parler de la marotte de quelques-uns, de Eric Satie à Alphonse Allais en passant par Montaigne, l’AMOUR, fut-il maternel, étant chanté par tout le monde puisqu’il y en « a deux », et « qu’avec lui on ne badine pas ».
Or, d’intéressant aurait été plutôt le décorticage, comme fait, idéal et idée, du concept d’Humanité (en opposition à celui d’Animalité ainsi que d’Inhumanité), dans ses dimensions biologiques, morales et métaphysiques allant du « sapiens-sapiens » jusqu’aux humains encore à venir, en conformité avec le plan pré déterminé de la nature et de l’espèce accomplie, voire parfaite, « non bis in idem » (pas deux fois la même chose).
Mais point du tout. Et nous voilà donc partis sur les abstractions habituelles telles que « l’argent, le rêve, l’illusion ou la possibilité d’une entente entre les gens, le cas échéant intervertissant les adjectifs, puisque les animaux ne sont pas forcément méchants, et que Dostoïevski avait plutôt peur de l’Humanité ». Nous sommes donc restés là, comme d’hab, avec l’Amour sur les bras, l’Amour, l’Amour… Mais lequel ? « Eros » ? La concupiscence ? Non. Celui dont Socrate se disait être grand connaisseur, « Agapè », l’amour oblatif ? Non ; celui-là est celui du Christ pour son Père. « Philia » ? Apprendre aux parvenus comment se tenir dans la vie, comme le préconisait Cioran ? Non, puisque « le souverain bien » est l’expression du désir de l’ensemble des humains, abstraction faite de toute appartenance religieuse, politique ou idéologique, et puis, va savoir, si l’on part du principe que « l’amour est déterminé par un certain choix » ou du fait que « l’Humanité est un risque », en acte, pour les Hommes…
Et pourtant, il semblerait d’après des gens sensés que, comme il se passe avec un arbre tout simplement, l’avenir de l’Humanité repose sur l’intelligence collective qui s’accroît de façon exponentielle au profit du QI des individus. Or, le côté tragique du verdict en exergue attribué à Dostoïevski inverserait la problématique, négligeant une réflexion sur « les gens en général ou en particulier » au bénéfice d’une prosaïque question d’aaaamour qui a finalement transformé notre débat en un saugrenu remue-méninges.
J’ajoute, en parenthèse, que, ayant demandé la parole à l’animateur de la semaine dernière, il m’a répondu : « Tu as déjà parlé ! », alors que j’avais juste proposé un sujet. Et je me demande, enfin, si le but du déplacement jusqu’au café des Phares n’est pas celui de « parler », tout bêtement, ne serait-ce qu’une fois, « une fois seulement », tel si l’on était des « brèles », « à Knocke-le-Koute parmi des éléphants roses, au fond de ‘notre’ fumerie », comme le chante Jacques, le belge.
Enfin, tout ça ne mange pas de pain, mais m’a rappelé la confidence de mon voisin :
- Mon chien est génial. Il m’amène le journal tous les matins !
- Et alors ? Il n’y a là rien d’extraordinaire.
- Eh ben si ! Je ne suis même pas abonné.
Carlos