De retour d’une longue période de vacances où j’ai reconnu que, son sens étant à contre courant du langage, la philosophie refuse d’adhérer au réel et contrairement à la science n’est donc qu’allusion, je me suis volontiers retrouvé au Café des Phares® pour assister au débat du 30 Septembre 2012 dont le sujet, animé par Gunter Gorhan, était en effet : « Je ne suis heureux que lorsque je découvre que je ne pense plus à moi ».
Il s’agissait-là d’un coup tordu pour le « Cogito » de Descartes (« Je pense, donc je suis », heureux ou pas), c’est-à-dire, je suis lié en fait à l’ensemble de ‘mes représentations’ sous la surveillance constante du Surmoi, siège des conflits dont il est le jouet et l’arbitre, mais il n’y avait donc en cette matière pas de quoi fouetter un philosophe ; si je ne pense plus je suis mort, le rêve remplaçant ma pensée lorsque je dors. Pourtant le micro alla de main en main pour le plus grand bonheur de tous, car c’est là que réside au fond l’envoûtement de la pratique de ce genre d’exercice dans ce lieu. N’est-ce pas ?
Quelqu’un nous a aiguillé cependant vers une phrase de Christian Garcia que citait lui-même une question d’Henri Thomas « Quand est-ce que je peux me sentir heureux ? » puisque l’on est en permanence assailli de questions angoissantes… « Quand ? » Conjonction ou Adverbe ? Lien ou remise aux calendes grecques ?
On n’avait donc pas avancé d’un iota. Une voix s’est alors levée préconisant de scinder la question en deux : « ‘être heureux’ et ‘ne pas penser à soi’ car, quand on pense à soi on ne peux pas être soi et on finirait dans le ‘soi haïssable’ de Pascal », puis une autre se demandait si « penser est-ce vraiment penser, le tout dépendant de la réponse qui détermine le ressenti ». Quelqu’un s’interrogea ensuite sur le fait de « savoir si Descartes était heureux ou pas », bien que « l’on ne soit pas heureux par hasard », fit un deuxième, et un troisième intervenant ajouta que « Narcisse avait fini par se noyer », un autre encore avouant « ne plus savoir ce qu’il voulait dire lorsqu’il avait levé le doigt », une participante finissant par rapporter qu’elle « était angoissé lorsque le bébé la réveillait la nuit », l’orateur suivant que « c’est le travail de la vie qui nous oblige à être en quête de quelque chose », celui d’après ajoutant « que mon bonheur doit être articulé avec celui d’un autre »…
Puis, ça n’a pas arrêté ! Essayant de dissiper la confusion entre conscience et pensée, chacun sentait le besoin de dire quand est-ce qu’il était heureux : ayant à faire au désir, il conviendrait d’articuler son bonheur avec celui d’un autre ou de ses proches, sur le long terme, dégustant entre « je et moi » le dialogue qui amène au langage dépassant ainsi le moi comme le préconise Wittgenstein, et l’a vécu Sœur Emmanuelle dans les traces de Spinoza, Nietzsche, Socrate, ‘se créer soi-même’ remplaçant le ‘se connaître’ ; pour d’autres, dont les bouddhistes, le « moi » serait une illusion, illustré par le mythe de « La Caverne de Platon », allant jusqu’à Adam et Eve ou chez les Grecs où il n’y avait pas d’état ni synonyme de ‘bonheur’. Le mot propre à traduire un sentiment semblable serait « eudaimonia ».
Gilles nous a alors fait découvrir ses rimes à ce sujet :
« Découverte, invention de la pensée, souci de l’autre, deux fleurs de la pensée. Le monde est l’autre soi ; fleur de contingence, un autre soi non consommé, non dégusté. Il faut voir clair. Bonheur et joie, ma foi ».
Quant à votre serviteur, il dirait que « moi c’est moi », caractérisé par ce qui le distingue d’un autre par le contenu de ses pensées. Point.
Au bistrot d’en face :
- Je ne suis heureux que quand je ne pense plus à moi !
- Comment ça ?
- C’est que je pense à m’asseoir devant la télé et au pack de bière.
Carlos
Bruno says:
Bonsoir,
Voici ma carte : http://cognitive-projects.com/ressources_publiques/Soi%20et%20bonheur-diapo.svg
Je rappelle que les clics de souris permettent de faire avancer un diaporama.
Les 5 axes que je propose pour cette synthèse sont les suivants :
- Analyse et difficultés dans le sujet.
- Penser à soi peut être problématique.
- Le soi n’est pas à rejeter pour atteindre bonheur.
- Penser à autre chose rend il heureux ?
- « Il faut mettre une fenêtre à son bunker »
Malgré son coté métaphorique, voire poétique, ce dernier axe était assez technique.J’ai probablement loupé des choses, n’hésitez pas à me rectifier ou me compléter (ici et ailleurs)
PS : S’il est possible de faire quelque chose pour éviter que mon post soit supprimé lorsque l’article passe dans compte rendu, cela m’enchanterait
Bruno
1st octobre 2012 at 21 h 21 min
Gabriel says:
Bien que Carlos ironise sur le propos d’Henri Thomas « Je ne suis heureux que lorsque je découvre que je ne pense pas à moi » ce sujet a gagné les suffrages de nombreux participants qui ont montré beaucoup d’intérêt pour son traitement . La parole de Tristan Garcia » L’enthousiasme correspond à une absence de conscience de soi, dans l’instant » rejoint d’ailleurs la même problématique .
A noter le vendredi 7 décembre 2012 un colloque à l’Université Paris- Diderot-Paris 7 pour le centenaire de la naissance d’Henri Thomas, écrivain assez méconnu qui ne passait pas son temps à boire de la bière devant l’écran !
1st octobre 2012 at 23 h 31 min
Alicia Lewis says:
L’homme pensif pense. Mais à quoi?
Et quelle différence avec la conscience? Là la nôtre s’est embrouillée c’est vrai. Cet espace de réception du monde perceptif et sensoriel a une capacité d’auto-saisie réflexive qu’on appelle la pensée. Que la pensée ait sa préférénce parmi les objets du monde dont elle a conscience, c’est bien le droit de l’intelligence et peut être la plus importante.
Thomas choisit donc apparemment de faire porter la pensée du côté où elle s’arrêterait momentanément et en bloc pour que nous ayons conscience de notre bonheur, condition siné qua non donc: l’oubli de soi. Mais très fugitif. Moins qu’une utopie, presque un miracle, peut être une grâce. En bref, une ivresse. Ces ivresses sont autant la joie, l’amour, l’orgasme, la création que le fascisme ou la toxicomanie.
La phrase de Thomas me semble un tiraillement binaire entre la non-pensée type méditation, vide zen, dont il fut question dans une oraison, et la pensée occidentale, le verbe, lieu de tous les délices et supériorités, ajoutons donc, par voie de conséquence de toutes les vanités aussi parfois.
Quel fut notre tiers terme? la joie, expansion désirante. La grâce aussi fut-il dit , ou l’anéantissement du moi, si j’ne crois mon catéchisme.
Il n’y aurait donc que du malheur à regarder en moi que mon » moi », instance tiraillée elle aussi entre le ça et le surmoi., le désir et la loi. )
Que la réciprocité du Je et du tu soit plus heureuse que l’enfermement réflexif, c’est à n’en pas douter. Que la grâce soit encore une sensation, une conscience plutôt qu’une pensée, un état éphémère, soit. Soit, c’est à dire pour ceux qui ne doutent pas de l’existence de Dieu, ceux qui n’y pensent même pas. D’où le dicton : heureux les simples d’esprit, le royaume des cieux leur appartient. Le autres se débrouilleront avec le reste ici bas.
Toutes ces histoires de vocabulaire ne change rien à l’évidence : c’est triste cette rareté du cher bonheur. Le meilleur moyen de ne pas s’en attrister ni d’en concevoir un malheur profond, c’set encore de ne pas y penser, à condition d’en être conscient. Il faut donc penser que je pense que je ne pense pas, et la pensée que la pensée soit soit un malheur, soit une joie ,soit un pet de l’esprit soit une activité électrique n’enlève rien au fait qu’il s’agit de deux affects ou de eux mécaniques, donc à éliminer pour un boudhiste qui pense. Ce qui me fait penser qu’au fond, je ne suis pas si malheureux que ça quand j’y pense, puisque bien trop triste ou bien trop gai pour y penser sans cesse, au bonheur.
Nous sommes de pauvres humains affectés croyant à la pensée qui sauve peut être des affects. « Mon petit corps est bien las pour ce grand monde », en tout cas.
1st octobre 2012 at 15 h 07 min