Peut-être parce que le problématique « Mariage gay » et autres bisbilles homoparentales a l’allure d’usine à gaz dans le paysage politique et logique français, les billets Euro changent de tête, et c’est sans doute en raison du retour inéluctable d’Obama à la Maison Blanche que l’on assiste partout au déferlement du « Gangnam style », la danse lancée par PSY, un chanteur sud coréen qui, se déhanchant comme un cavalier sur sa monture fait le tour du monde avec cette trouvaille et bénéficie d’un impact plus grand sur la toile que le hisser des voiles au Sables d’Olonne sur les immenses Yachts du septième Vendée Globe dont le propos est de faire la même chose. C’est dans cette vertigineuse logique de sacs et de cordes que, le jour de la Patrie, sous l’animation de Nadia Guemidi, a eu lieu au Café des Phares® le Débat du 11 Novembre, « Passer à côté du présent, n’est-ce pas passer à côté de sa vie ? »
Le « n’est-ce pas » semblait correspondre à une évidence, alors qu’il fallait déjà savoir à côté de quoi l’on passait, c’est-à-dire, qu’est-ce que ce présent que l’on effleure de façon si indifférente bien que cela nous éloigne de la survie, et comment peut-on frôler à peine sa vie, qui, en général a une durée assez conséquente, en somme, mais qui, facétieuse, peut nous jouer des tours, voire être pénible ou même douloureuse, au point de nous croiser d’une façon cavalière évitant même de nous dire bonjour ? Et puis, qu’est-ce qu’une vie, au bout du compte, et de préférence une vie bonne ?
Allons-y pour le présent. Autant se pencher sur la mort subite d’un nourrisson, dont le présent fonda tout son destin, et l’on fera d’une pierre deux coups (passer à côté du présent et de la vie). Mais, essayons d’être sérieux et commençons par le commencement : Qu’est-ce que le présent ? Un moment entre le passé et le futur, OK, mais, quelle est sa durée ? Quelle est sa signification dans l’existence ? Visiblement, le problème dépassait nos compétences car, s’agissant d’un instant fugitif, d’une persistance pratiquement quasi nulle que l’on estime à trois secondes, le présent n’a pas d’« à côtés » ; il EST, tout le temps. Le présent c’est le moment fugace où l’on pense, on agit, on demande le micro, et, si l’on commence à 12,30 dans un café Philo, pour finir une heure trois quarts après, à condition de ne pas chômer, on a à peu près 2.100 instants. Sacrifiant le passé à la fatalité du futur, le présent a l’épaisseur d’un trou noir, alors qu’une vie, c’est la vie et elle nous colle à la peau ; ce n’est pas un fantôme, une chimère ou un train qui passe. Combien de temps dure-t-elle ? Va savoir… L’espérance théorique de se tenir dans sa carcasse semble aller jusqu’à 120 ans, parfois quelques-uns les dépassent mais, on a beau regarder les lignes de la main, consulter des sorcières ou des voyantes, mystère et boule de gomme : une vie c’est une vie ; elle fut, elle est, puis un jour ne le sera point. Pas de chichi. « … hey honey, take a walk on the wild side… », (Loo Reed, 2009).
Quoiqu’il en soit, l’excessive question a donné lieu à beaucoup de commentaires, allant de « l’analyse des événements, d’Ives Cusset », au « poème de Pierre Ronsard, ‘Mignonne, allons voir si la rose… », en passant par « ‘la présence’, attitude bouddhiste devant la vie », « la perception sensuelle de son corps », « Pierre Dac et son ‘Tout du côté d’ailleurs’ », « le doute sur ‘l’être-là’ », « le lien qui va d’un ‘maintenant’ à un autre », « le bien fait de vivre sa vie », « le doute sur le ‘passer à côté’ », « la présence permettant à l’enfant de ne pas être dans le doute », puis nous sommes passés au « temps poétique, prosaïque, modernité et post-modernité », « au ‘je’ et au ‘nous’ que l’on y trouve, liés à l’actuelle disette grecque », « le présent étant le temps de l’action (bonne ou mauvaise) », « alors qu’il ne va pas vite » et « qu’une vie non analysée ne vaut pas la peine d’être vécue », « que rien ne nous est acquis, à part la mort », « regrets et remords », « écart entre le ‘dire’ et le ‘faire’ », « ‘Pour qui sonne le glas’, d’Hemingway », « différence entre ‘vie’ et ‘existence’ », « faire en sorte que le futur soit agréable », nuancé par « jouir c’est une chose, vivre c’est une autre », et la remarque que « Bergson hantais le sujet et que l’on tournait autour d’un faux problème », tandis que d’autres pensaient que « c’était le sujet par excellence, la vraie vie étant le fait d’apprendre à grandir, un lieu autre que la jouissance de l’enfant qui tète », « que l’on doit vivre dans le présent », qu’il « est légitime de se demander ‘qu’est-ce qu’une vraie vie », ou « de se dire que la mort n’est pas en soi », allant « des regrets et des remords au complexe d’Œdipe (jamais Jocaste) ; mère présente ou mère puissante ? ». On évoqué la perplexité de Sartre dans ‘La Nausée’ devant la racine d’un marronnier au Havre, puis Cyrano (ou l’amour impossible ) et Neruda (qui avoue avoir vécu), puis, enfin, quelqu’un s’est dit « ravi d’avoir découvert le ‘Café Philo’ » et, pour terminer, Gilles nous fit part de ce que le débat l’avait inspiré :
«Présent, passé, …/saisissable cadeau de chaque instant…/ Sensation, direction/ Objet, trajet…/ Etre, construction…/ Présence humanisante…/ Présent, je t’embrasse…
Mais, finalement, j’y pense. Qu’est-ce que cette schizophrénie où le présent prend les dimensions d’une vie ? Somme toute, une telle perplexité existentielle qui nous a happé le long du débat, ne serait-elle pas à rapprocher du pénible cafard exprimé par Anna Karina dans le film de Jean Luc Godard, « Pierrot le fou », où, pour éviter d’être en dehors de la plaque, l’actrice n’arrête pas de se plaindre :
- Qu’est-ce que je peux faire ? J’sais pas quoi faire !
« Que pourrais-je bien dire ? », se demande le peuple ‘philosopheur’, afin de ne pas se trouver à côté de son ombilic.
Carlos