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Bonjour à vous, qui vous intéressez à la philosophie. Sachez que vous pouvez trouver sur ce site, le compte rendu des débats qui ont lieu au Café des Phares (Paris, Place de la Bastille), chaque dimanche de l’année, et auxquels rien ne vous empêche d’ajouter vos propres commentaires. Par ailleurs, d’autres rubriques sont en mesure de vous aider à vous orienter quant aux activités et autres événements philosophiques de la cité et du monde en général.

Le webmaster.

Débat du 24 Avril 2011: « Les vices privés font-ils le bien public ? », animé par Christiane Graziani.

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Posted on 25th avril 2011 by Carlos in Comptes-Rendus

Dès qu’un participant du Café des Phares s’avise de lire un bouquin dans la semaine, comme s’il s’agissait du battement d’ailes d’un paillon, il faut le dimanche suivant se mettre en alerte rouge à la Bastille, et je m’explique. C’était Pâques, ce 24 Avril, et il y avait partout des dragées, des œufs, des lapins et des cloches en chocolat. Eh ben, ce sont les abeilles qui nous sont tombées sur le paletot, parce que quelqu’un, ayant lu « La Fable des Abeilles », de Bernard de Mandeville, en a tiré un sujet de débat « Les vices privés font-ils le bien public ? » et, quoique « bien mal acquis ne profite à quiconque », l’animatrice, Christiane Graziani l’a choisi pour alimenter notre discussion. J’avais, moi même, lu un opuscule sur « Le Poisson », en tant que figure eucharistique célébrée ce jour pourtant, malgré ma passion pour les sardines grillées je me suis abstenu d’en parler.

La première idée sur l’énoncé a être exploitée, semblait très originale : « C’est bien connu, ma bonne dame, le malheur des uns fait bonheur des autres ». OK !!! Essayons donc de passer à des choses sérieuses, le politique, bien entendu, avec l’histoire de « La main invisible », par exemple, et tant que l’on y est, « à la taxation du tabac et de l’alcool, puisque l’on persiste à fumer et à boire », ainsi qu’au « cas Baudelaire, dont le vice aurait contribué, en l’occurrence, au bien public » ou « le Souverain Bien », comme on dit. « Chacun devant lutter pour lui-même et tolérer les abus des autres », « les jouisseurs étaient donc invités à consommer toujours plus pour jouir plus », excusez-moi du peu. Là, on a fait une pause pour se demander, tout compte fait, « Qu’est ce que le bien public » et « s’il n’y avait pas dans ce concept une manipulation, le confondant avec ‘bien commun’», puis quelqu’un a « étalé le vice public sur plusieurs étages, notamment droit et valeur, de ceux qui s’enrichissent, et a fait de même pour le vice privé, le partageant entre humain et individuel ». Après un passage obligé par « La Banalité du Mal », ma voisine a déduit qu’il « s’agissait dans nos analyses de formulations malsaines », le cynique Mandeville concluant, lui-même dans son œuvre que « le vice est aussi nécessaire que la faim, certes affreuse, mais utile à la démarche propre à se nourrir » et « que sans elle et sans le vice, on ne peut pas rendre une nation célèbre et glorieuse ».

Voilà, la messe était dite, mais parce que Mandeville tourne autour de l’abeille comme il pouvait le faire autour d’une mouche afin d’y dénicher des fausses vertus, j’invitai l’assemblée à se prononcer sur la récente polémique ayant trait à « la criminalisation du recours à la prostitution ». Trop vulgaire peut-être pour la bien pensante assemblée de philosophes, la question a été évacuée, ce qui m’astreint à y revenir à présent. Inscrite dans la stratégie de dissimulation et manipulation des réelles intentions du politique qui ne voit dans la morale que l’exercice de la domination des individus soumis, comme s’il était question d’une drogue cette loi réprime, avec six mois de prison et 3.000 € d’amende, le recours à l’amour et au sexe, l’autre rive de nous-mêmes. Or, c’est infâme de traiter quelqu’un de délinquant parce qu’il s’adresse à une fille visiblement disposée à ça et que cela concerne parfois des femmes remarquables, telle Grisélidis Real, que j’ai déjà eu l’occasion d’évoquer ici. D’où sort-elle cette morale, si tant est qu’il s’agit d’une ? Faut-il se cacher, se taire, faire taire ? Ou est-il question de ramasser des voix électorales, commerce infâme des vraies « putes » ? « Bien privé, vice public ? »

Voilà, la boucle est bouclée et la question reste entière : « Vices Privés et Bénéfices Publics », pour être fidèle à l’auteur d’une piteuse « Fable des Abeilles ».

Cynique, ce Mandeville, surnommé Le Diabolique (Man-Devil), connaissait certainement beaucoup de choses sur les fripouilles dont il décrit les travers, mais peu sur l’hyménoptère ni même les fleurs que celui-ci butine, témoins d’un message d’ordre eschatologique compris par les poètes qui dénichent le sacré dans le signe et découvrent la plénitude de l’étant dans l’épanouissement de la totalité dont l’abeille assure la continuité, génétiquement incertaine par la reproduction somatique ; ils, les êtres pénétrés par la poésie, ont la terre dans l’âme, les philosophes, eux, l’ont sous les pieds… La vitre cassée, ça fait marcher l’économie, c’est certain, mais ce n’est pas pour ça que l’on les casse, parfois ; c’est de rage.

Carlos Gravito

Débat du 10 avril 2011 :  » Qu’est-ce que peut être la sagesse du citoyen, aujourd’hui, dans la cité ? », animé par Gérard Tissier.

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Posted on 11th avril 2011 by Carlos in Comptes-Rendus

Alors que l’essence même de l’Etre est de se reconstituer (et mon foie en sait quelque chose), ça faisait trois mois que les aficionados des débats philosophiques du Café des Phares attendaient le moment de s’attaquer à la redondance « Tout ce qui ne se régénère pas, dégénère », que le philosophe Edgar Morin s’apprêtait à décliner devant eux le 10 Avril, mais, en raison d’un empêchement de l’illustre invité, c’est « Qu’est-ce que peut être la sagesse du citoyen, aujourd’hui, dans la cité ? » qui leur a été finalement donné en pâture par l’animateur Gérard Tissier, à l’heure où les caissières de Carrefour se battent pour leur salaire.

Eh ben ! Faute de grives on mange des merles, « le but étant de bien vivre dans la cité (comme il a été dit), grâce au concours de l’idéal qui transcende le ‘citoyen’, épithète acquis en 1789 mais qui serait à redéfinir à l’époque d’Internet dont le rôle a été si déterminant dans les plus récentes rébellions ». Là, un coup de frein fut donné à la fougue initiale, « car, dès que rien ne va, nous passons vite de la sagesse à l’obéissance et des droits aux devoirs ». Puis, constatant que « la sagesse exige un préalable », ça repartit, jusqu’à ce que l’on s’aperçoive « que la conscience est une faculté tributaire du type de société (scandinave ou latine) » et que « ce modèle de citoyenneté était peut-être possible à Athènes (un petit village), mais s’avère plutôt difficile à mettre en œuvre dans un pays composé de 36.000 communes ». Sans oublier « le désastre Japonais », « nous gorgeant de mots, nous avons essayé de savoir si l’on est ‘consommateur’ ou ‘militant’ » et, « la question du ‘bonheur’ étant mise à l’ordre du jour dans la construction de l’avenir et du ‘vivre ensemble’», « on opposa ‘individu’, ‘citoyen’, et ‘exclu’ », finissant par estimer que « ‘la vertu’ proclamée par Robespierre », « la transmission du savoir, la démocratie participative, le ‘vote’, ainsi que la responsabilité, font partie d’un système qui commence à ‘claudiquer’», dénonçant au passage « le mélange de ‘l’existentiel’ et de ‘l’ontologique’ ». Bref, « les français auraient délaissé ‘La Démocratie en Amérique’ de Tocqueville (plus l’exemple de la constitution USA qui prône ‘la poursuite du bonheur’ »), pour « ramper dans le désordre », au point de « mettre 80 ans à implanter ‘La Démocratie en France’». Gardant néanmoins en tête « la problématique existentielle de Sartre, ‘Le deuxième sexe’ de Simone de Beauvoir et un inopérant ‘IVG’», le public a dénoncé « le droit aux ‘Droits’ sans travailler », pour s’interroger ensuite sur « la distinction entre ‘citoyen’ et ‘électeur’ », finissant par se poser la question « Où est-ce que l’on va ? », suivie de « Que faire ? » et « Où investir ses espoirs ? », en présence du « Choc des générations » face à la « Propagande électorale ». Fallait-il encore « s’en remettre aux experts », « aux Arcadies » et « faire le pèlerinage d’Ermenonville ? »

Avec la volonté de régénérer ce qui dégénère, les intervenants ont fait preuve de beaucoup de lucidité et de civisme durant tout le débat, certes. Le point néanmoins est que, malgré la rhétorique de Rousseau qui attribue les inégalités à l’avènement de l’agriculture et par conséquence de la propriété, il n’est question dans toute cette controverse ni de sagesse ni de propriété mais d’assujettissement. Comme la matière tend à la forme, la Société, œuvre de l’action de masses humaines, aspire à se constituer en Autorités Souveraines dont le Droit Public légitime le pouvoir. Par contre, bien que jaloux de leurs intérêts, les Hommes qui la composent, sujets du Droit Civil, ne sont pas d’ordinaire en mesure de se choisir un Etat ; si une option leur est laissée, c’est entre deux et si l’on perd l’un on tombe sous la coupe d’un autre qui ne s’encombrera pas de valeurs morales à la Platon, mais, par la ruse, la loi ou la force, selon les contingences de l’Histoire, comme le pensait Machiavel dès le XVIème siècle (Le Prince), il se fera l’organisateur de la contrainte, incompatible avec l’idée d’Homme. Sachant que la TV leur bourre le mou, la sagesse commande donc aux citoyens de déjouer l’équivocité du mot « Cité », aussi bien forme de vie communautaire que pouvoir coercitif. La crainte inspirée est le maître mot de tout Pouvoir, auquel le régime démocratique n’échappe pas. Celui-ci est une institution politique aussi légitime qu’une autre et, en tant que forme désincarnée de gouvernement, il aspire tout autant à la violence, au point d’obliger ses sujets à une coopération forcée qui subsiste justement en raison de la divergence de destinées, publique et privée, une crise de Pouvoir étant invariablement identifiée à une crise du civisme.

Faut pas rêver. « Ne vous demandez pas ce que la Nation peut faire pour vous, mais ce que vous pouvez faire pour la nation », avait apostrophé un jour John Kennedy ses concitoyens leur assenant son fait.

Carlos Gravito

Débat du 3 Avril 2011: « Quel est le poids de l’impondérable? », animé par Gunter Gorhan.

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Posted on 4th avril 2011 by Carlos in Comptes-Rendus

Comme il faisait beau, le samedi 2 Avril, je suis allé m’asseoir au Jardin du Luxembourg, lisant le magazine « Chronic’art » où il était question du « renversement du monde », ce qui ne fut pas sans me rappeler Archimède proposant de soulever l’univers, si jamais on lui prêtait un levier. Puis, la vie étant le lieu le plus parfait pour les vraies expériences, jetant un œil sur le public, j’ai pu observer le désespoir d’un enfant dont le ballon avait échappé à ses mains pour s’élever dans l’air jusqu’à disparaître au-dessus des platanes de la Fontaine Médicis, tandis qu’un autre malheureux perdait le sien qui, emporté par le vent, s’immobilisa à la surface de l’eau du bassin octogonal, coincé entre deux petits voiliers contre la fontaine centrale. Le lendemain, 3 Avril donc, laissant mes souvenirs remonter à la surface, je me suis laissé entraîner au Café des Phares, à la recherche d’une signification pour tant d’interrogations, et le sujet du jour, animé par Gunter Gohran, était justement : « Quel est le poids de l’impondérable ? »

Eureka !!! De toute évidence, tout bien pondéré, la clé de l’affaire se trouvait dans l’exploitation du génie de notre illustre mathématicien qui, du levier à la baignoire a tout chamboulé allant de « Pi » jusqu’aux grains de sable. Mais là, la matière philosophique en jeu étant assez délicate, il valait mieux faire appel au Trébuchet, la balance la plus sensible et juste, laissant de côté les poulies, les roues dentées et les vis sans fin de l’inspiré géomètre.

C’est ainsi que nous en sommes venus à « la clé USB qui, chargée de données ou pas, représente toujours le même poids » (de la même façon que moi, après avoir lu « Les Luziades » n’étais pas ce matin plus lourd qu’hier), mais on a remédié au cafouillage remplaçant « poids » par « capacité » et établissant la « différence entre l’esprit et le corps », ainsi que « la voix et le chant », jusqu’à ce que l’on découvre que le roi était nu, ou mieux, qu’il « s’agissait en l’occurrence d’un oxymore », vu que « l’on ne peux pas peser ce qui est dépourvu de poids », que « le poids d’un même objet n’a pas la même lourdeur sur terre et sur la lune », « rien ne se perd rien ne se crée », « la légèreté de l’être est insoutenable » et « l’effet papillon » n’aura bientôt plus d’ailes à déployer. Même « l’impondérable du regard », « la liberté écornée », « le souffle du mourant », « un livre inédit », « l’enfer constitué par les autres » ou « les suicides chez Télécom », seraient autant d’improbables qui nous revenaient sur la tronche comme « des pétards mouillés », « l’impensable n’étant pas l’impondérable mais l’imprévisible », « la langue pensant à notre place en raison des conditions de causalité ».

Néanmoins, j’ai entendu aussi que, « livré au hasard, déraisonnable et excessif, l’impondérable a du poids, dès lors qu’agissant, bien que difficile à saisir. C’est une inconnue celant un vouloir qui s’oppose à notre volonté de toute puissance, et ce n’est qu’après coup que l’on peut le mesurer ».

Voilà une bonne raison pour considérer que l’impondérable est hasardeux, aléatoire, problématique et incertain. « Quel est le poids de ce qui n’a pas de poids » ressemblant à une de ces questions que l’on trouve d’habitude à l’intérieur des Apéricubes au différentes saveurs de « La Vache qui rit », afin de chercher une approche simple et cohérente pour expliquer le niveau élémentaire de la doctrine d’Archimède à propos du lourd et du léger, j’ai pensé que, pour une fois, au lieu de bavasser, il aurait été judicieux de nous prêter en toute candeur à une expérimentation simple (comme à l’école maternelle), aidés d’une bassine d’eau, quelques pots de yogourt, ainsi que de la pâte à modeler, du riz et d’une cannette de coca-cola. Mettant les pots à flotter dans le bac, on les remplirait de pâte, riz ou de boisson gazeuse, nous arrêtant juste avant le naufrage des petits pots pour procéder ensuite au pesage des produits utilisés. Résultat : point de surprise ; poids identique du ballast de chacun des récipients et de la quantité d’eau déplacée.

En ce qui concerne les ballons qui tant impressionnent les enfant et les adultes, c’est clair que le ballon de baudruche ou de foire, dans lequel on insuffle l’air de nos poumons, va rester au raz des pâquerettes, tandis que celui qui est gonflé à l’hélium se maintiendra en l’air, la mesure de la pesanteur étant la force de pression d’un corps vers le bas, en rapport avec sa masse.

Moralité : tout objet matériel ou intellectuel peut devenir un fardeau en somme, étant donné que « Poids » vient du latin « pondus », lourdeur, même si pour remplir l’heure on a divagué à la légère sur tout. Tout sauf le « poids » comme unité d’évaluation sensée tenir compte de ce qui ne produit aucun effet sur le raisonnable, ou alors, si l’on veut ergoter, sur l’importance (poids) d’une action qui n’est pas vraiment admise bien que déterminante ; quelque chose qui s’avère nulle si elle n’est pas de nature à désaxer l’instrument de mesure ou pas assez pertinente pour le déséquilibrer, nous cantonnant dès lors au rôle de l’inattendu qui est toujours là où on l’attend le moins.

 

Carlos Gravito

Débat du 27 Mars 2011: « Y a-t-il des faits moraux? », animé par Sylvie Petin

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Posted on 28th mars 2011 by Carlos in Comptes-Rendus

Sans rien effacer des misères qui assolent le monde, un épouvantable changement d’heure nous avait surpris au cours de la nuit, et nous n’étions pas très frais le 27 Mars, lors qu’au Café des Phares Sylvie Petin choisit d’animer le sujet dont il fallait faire cas : « Y a-t-il des faits moraux ? »

Le point ne dispensant pas de la connaissance des causes et des effets avant de pouvoir se prononcer sur la question, il s’agissait là de toute évidence d’un faux problème qui ouvrait surtout une fenêtre de tir idéale pour arroser les participants de cautions morales allant de Pascal, Rousseau et Husserl à Hans Jonas, un cocktail d’équivoque et d’univoque pas facile à déjouer, raison pour laquelle il fallait stoïquement y faire face comme d’autres de par le monde essayent de parer aux caprices que le destin leur réserve.

C’est ainsi que l’on a considéré « la Morale comme partenaire des Faits » qui ne seraient « pas que des simples actes mais quelque chose de plus ». Quoi ? C’est là que nous nous sommes rendu compte qu’« un fait est un fait », mais il était trop tard pour roquer. On a bien appelé à la rescousse « le serment d’Hippocrate », « les litiges en Tribunal », « la conduite du chauffard », « la grille des valeurs », « le révisionnisme », « l’interprétation », « la neutralité du fait », la rituelle « pose d’un acte » mais rien n’y faisait ;  la fuite en avant était la seule sortie honorable.

Ceci dit, nous avions le choix : soit on comprenait l’énoncé à partir de « La Morale », soit on l’envisageait sous l’angle d’« Une Morale », convenant dans les deux cas qu’un « Fait » n’est pas une vision de l’esprit ; c’est l’image nette d’une réalité effective constatée « hic et nunc » et dégagée de toute transcendance. « La Morale » se définit, elle, comme un ensemble de règles universellement et inconditionnellement valables, tandis qu’« Une Morale » se restreint aux principes et usages adoptés par une certaine communauté à telle ou telle époque.

Historiquement, il semble que c’est le tremblement de terre de Lisbonne, le 1 Novembre de 1755 qui, suivi d’un gigantesque raz de marée et d’un violent incendie, ravagea la capitale portugaise provoquant des milliers de victimes, le premier fait désastreux suffisamment funeste et bouleversant pour éveiller la conscience mondiale au point de susciter chez Voltaire et Rousseau une réflexion philosophique à propos du Mal et du Bien, sur terre, à l’Age des Lumières. Par la suite, Adorno et Hanna Arendt firent un rapprochement avec l’Holocauste, ce qui a définitivement transformé la culture et la philosophie, la sortant des concepts de sublime et d’innocence auparavant mis en valeur par Emmanuel Kant.

Quoiqu’il en soit, que nous reste-t-il à faire ? La présence de l’Etre se trouvant en toutes choses et chaque détermination supposant un « Fait », celui-ci est, en l’occurrence, un concept indéterminé qui ouvre la porte à toutes les formes de réalité avec les différences qui lui sont propres. Sachant que  « La Morale » prescrit ce qui doit être absolument, c’est clair qu’un événement singulier est réfractaire à un critère de vérité universelle et, au regard de la science qui interprète les faits en fonction de lois spécifiques à mettre en évidence, « La Morale » ne s’y s’impose pas. De même, dans le cas d’un « Fait commun » ou expérience immédiate dans un lieu quelconque, la sagesse commande de faire comme on voit faire et de se fondre dans la couleur locale, respectant là aussi « Une Morale », l’ensemble de règles admises dans une société à un moment déterminée ; celle des coutumes et traditions du lieu.

Contre les faits il n’y a pas d’arguments.

Carlos Gravito

Débat du 20 Mars 2011: « L’Europe existe-t-elle ? », animé par Ives Cusset.

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Posted on 21st mars 2011 by Carlos in Comptes-Rendus

Le vendredi 11 Mars un séisme, provoqué par le plissement de trois plaques tectoniques du Pacifique suivi d’un ravageur tsunami, dévastait au nord du Japon la ville de Sendai, puis emportait jusqu’à la mer, comme s’il s’agissait de simples brins de paille, un torrent de maisons, trains, bateaux et voitures, fracassant les réacteurs de la centrale nucléaire de Fukushima, dont l’explosion a contaminé les lieux déjà meurtris de substances radioactives, signe d’une catastrophe nucléaire majeure qui sema le deuil et la désolation dans le pays nippon tout entier, jusqu’à Tokyo. Si l’on y ajoute tous les massacres du peuple libyen perpétrés par son président Mohammar Khadafi, c’était le moment du repli sur soi ; de regarder notre nombril et de nous tâter, raison pour laquelle le sujet du dimanche suivant, 20 Mars au Café des Phares fut « L’Europe existe-t-elle ? », choisi et animé par Yves Cusset.

Une fois explicité l’avènement mythologique de l’Europe, une princesse phénicienne enlevée par Zeus qui l’amena en Crète déguisé en taureau, nous passâmes à nous interroger sur « l’Union Européenne », ses idéaux, sa diversité, sa mixité et sur la différence entre « être » ou « se sentir européen » ; étymologiquement, du moins, ça en jette : (Európê, de eurys=large, et ors=aspect). Puis, étant donné qu’au départ il y a de « l’amitié », ça promet, même si « inimitié » il y eut aussi, ce qui nous a donné l’opportunité de parler également de la Turquie (qui a un pied sur le vieux continent), et de certains quartiers de Paris, ainsi que des guerres livrées entre tous les pays membres et les respectives religions, pas uniquement chrétiennes. Question finances, on a évoqué encore l’Euro fort et l’Euro faible au sein d’un luxe d’institutions qui fonctionnent sur le mode de la gabegie, ce qui éveilla l’idée que tout système ne fait que progresser inéluctablement vers le plus grand désordre et l’incontournable question sur la destinée d’un tel espace de paix et démocratie, si chacun reste concentré sur sa propre histoire et divisé entre l’émotionnel et le volontaire.

Pour résumer le cheminement de ce colosse, qui, parti du Traité de Paris (1951), longea ceux de Rome (1958), Bruxelles (1965), Luxembourg (1987), Maastricht (1992), Amsterdam (1997), Nice (2001) et Lisbonne (2007), émaillés par des Référendums au résultat avalisé d’office, regardons un peu de plus près le phénomène, évitant de parler de l’Impôt de L’Union Européenne qui nous pend au nez.

La Commission de Bruxelles (qui se charge de tout, même de la courbure de la banane, de l’épaisseur de la cuisse du poulet ou des jeux de hasard), emploie plus de 23.000 fonctionnaires et croule sous un volume de paperasse qui force les responsables à interdire la production de textes de plus de 15 pages. De son côté, le Parlement Européen est une vraie tour de Babel qui occupe, au-delà des 736 députés, 6.000 salariés. Côté interprètes, il faut savoir qu’ils sont dirigés selon les méthodes du grand management et ce qui se passe dans toutes les cabines lors des séances plénières se résume à un festival d’interventions prononcées à la vitesse grand V qui, indépendamment de la qualité de la version donnée, s’avère techniquement éprouvant et politiquement douteux, étant entendu que chaque jour des milliers de mots sont interprétés en onze langues pour 27 états membres. Ayant seul l’anglais comme relais dans l’aller retour des traductions (disons adaptations), il est inévitable que l’on vérifie dès lors une fréquente incompréhension dans les rapports que l’on nomme « syndrome de Strasbourg ».

Qu’à cela ne tienne. Lu dans « L’Europe pour les Nuls » : « Deux paysans portugais étaient assis au bord d’une route, lorsqu’un touriste égaré arrêta sa voiture devant eux pour s’enquérir du meilleur chemin à suivre. Comme ils ne comprenaient pas un mot de sa langue, il demanda :

- Vous parlez français ?

Ils se regardèrent l’un l’autre, interloqués.

- Do you speek englisch ?

Même réaction.

- Sprechen Sie Deutsch ?

Ils ne comprenaient pas davantage ce qui fait que, furieux, l’automobiliste repartit en trombe.

Au bout d’un moment, un des paysans dit à l’autre :

- Finalement, on ferait bien d’apprendre une autre langue…

- Bof ! Il en connaît trois et ça ne lui sert à rien ! »

Carlos Gravito

Débat du 13 Mars 2011: « La liberté peut-elle se prostituer? », animé par Gérard Tissier.

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Posted on 14th mars 2011 by Carlos in Comptes-Rendus

Parcourant la Presse de ce dimanche, 13 Mars, je n’ai pu avoir que des échos imprécis du malheur qui s’était abattu l’avant veille sur la côte pacifique du Japon. Et pourtant, indifférente à tout ce qui se passait dans le monde, la revue « Hot Vidéo » dédiait sa couverture à « La petite révolution d’une jeune fille, belle comme le diable, mais bien plus dangereuse », et c’est pensant à ça que j’ai pris note de notre sujet philosophique au Café des Phares : « Les prostituées peuvent-elles se libérer ? »… Oh, pardon, autant pour moi. Notre thème de réflexion était l’inverse ; il s’agissait de répondre à la question : « La Liberté peut-elle se prostituer ? », débat dirigé par Gérard Tissier, qui l’a choisie.

Il me semble que la Liberté est, en l’occurrence, le sujet grammatical de l’énoncé et par conséquent elle est l’auteur impuissant d’une action quelconque (se prostituer ou pas). Sauf à être balancé par son mac, une idée transcendante qui ne brille que lors de son absence, a-t-elle les moyens d’agir ? Du grec « Eleutheria » (le Bienfaiteur), surnom donné à Zeus lors de la victoire des Grecs sur les Perses, notre mot Liberté a diverses nuances, allant de la notion de Volonté (qui n’existe pas en grec) à l’autorité sur soi. Mais, préférant les gorges chaudes et le porno chic que l’on peut trouver sur facebook, l’analyse phrastique de l’animateur s’est laissée plutôt séduire par la lumière glauque des lupanars, 100% hard, et le monde interlope des proxénètes ou la soumission au chantage, c’est-à-dire à une loi qui n’en est pas une ; la règle est codifiée et dictée par les acteurs du milieux en collaboration avec la police. Fort heureusement, l’assemblée s’est départie de cet a priori car « être libre » est aussi la faculté de s’adonner à ses fantaisies, ce qui ne pose pas de problème philosophique, et, de ce point de vue, nous ne nous sommes pas censurés, notre liberté étant de pouvoir se prostituer, d’où les noms de rues de Paris telles celles du Poil-au-Cul (rue du Pélican), de Tire-Vit (rue Marie Stuart), de Trace-Putain (rue Beaubourg), ou Pute-y-Musse (rue du Petit-Musc). (cf. « Histoire de Paris », par Céline Excoffon).

Il a été donc dit, « qu’en raison du regrettable constat d’un bien commun, celui de la Liberté (et peut importe le contenu des constitutions) scandaleusement bousculé et compromis partout, on se trouve devant une contradiction majeure par rapport à elle, ce qui légitimerait la question, d’autant plus que la dite Liberté n’est pas une marchandise. Notre tâche serait donc de chercher à savoir ce que c’est ‘être libre’, travailler étant déjà une sorte de prostitution, si l’on exclut le caractère éphémère et paradoxal de celle-ci. Nous ne serions donc pas libres, mais pourrions le devenir, la Liberté, ainsi que son potentiel créatif, étant quelque chose à façonner, comme il fut observé encore, dans un processus de refus de l’aliénation, car il s’agit là de quelque chose qui ne se vend ni ne s’achète pas. Se sentir libre ne serait donc pas la liberté forcément, mais plutôt un véhément désir commun à tout le monde et pour Spinoza cela équivaudrait à un choix de sa propre nécessité. Quelqu’un ayant remarqué qu’au fur et à mesure que le débat avançait, la confusion augmentait aussi, nous nous sommes laissés finalement emballer par Rachel, la prostituée au grand cœur, celle de la nouvelle ‘Mademoiselle Fifi’, de Guy de Maupassant ».

  Toutefois, il est clair que la Liberté n’est pas une licence, ce à quoi ressemble le monde des Nations Unies, un lupanar à ciel ouvert, bien loin de la « Liberté chérie, ooohh !!! », chantée par les poètes qui ont peut-être une métrique bien différente de celle des philosophes, car, opposée à « servus » (esclave), une telle indépendance n’est pas quelque chose qui se négocie avec des salauds et autres malfrats aux couteaux à cran d’arrêt, dont le métier est de débaucher et prostituer sans autre gêne que les règles des hommes de main.

 La Liberté est donc la situation d’une personne singulière, indépendante, c’est-à-dire, délivrée de tout, fut-ce d’un déterminisme établi de façon absolue ou une obsession ressemblant à l’idée fixe de donner un sens intelligible à cette phrase qui nous a mobilisé. Elle n’est pas non plus un privilège ; c’est un acte de volition qui émane du Moi, et du Moi seulement, une réalité évanescente destinée à combler une contingence, le sens de la délivrance qui n’a d’autre moteur que le vouloir. « Ne me libérez pas, je m’en charge », s’est dit par trois fois Michel Vaujour, contredisant Sartre qui, envoûté peut-être par son propre esclavage, place « la liberté derrière les barreaux d’une prison » ou « l’occupation de son pays par l’étranger ».

Mais, on dirait que nous en savions plus sur la prostitution que sur la Liberté elle-même, ce que l’on crie et que l’on écrit pourtant sur les murs, lorsqu’il le faut. Alors, puisque l’occasion m’en est donnée, aujourd’hui, je veux écrire ici, ce petit hommage à une femme libre, d’une qualité rare. Il s’agit de Grisélidis Réal, travailleuse du sexe, peintre et femme de lettres que j’admire beaucoup, inhumée au cimetière des Rois, le « Panthéon genevois », à côté de Borges et Piaget, sachant que la Liberté est par nature bordélique.

 Carlos Gravito

Débat du 6 mars 2011: « Est-ce que toutes les admirations se valent », animé par Daniel Ramirez.

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Posted on 7th mars 2011 by Carlos in Comptes-Rendus

Le 6 Mars 2011, une bonne partie des parisiens sont allés admirer, autour de la place de la Bastille, les participants au demi Marathon de Paris (21,1 Km) qui, dossard sur le dos et puce électronique sur la chaussure, allaient tourner autour de la colonne de Juillet, tandis qu’au Café des Phares, une foultitude de consommateurs s’apprêtait à assister au débat philo animé par Daniel Ramirez, dont le sujet choisi fut « Est-ce que toutes les admirations se valent ? »

S’agissant, dans l’admiration, d’un état d’âme ou de sentiments et pas de choses, comme ça, à brûle-pourpoint, le sens donné au mot m’interpella et j’ai fait un rapide calcul : si une admiration saisit beaucoup de monde, deux admirations saisissent beaucoup plus et trois, encore davantage. Tout ça, pour ne parler que de la quantité, sachant que lorsque l’on admire on ne compte pas ; c’est un lieu commun. Mais, si l’on se penche sur la qualité, alors là, je crains que nous soyons obligés de conclure que, l’admiration étant la mesure aussi bien de l’ignorance que du savoir, le lot de la bêtise ou de la grandeur de l’âme risque bien de se modifier aussi, car c’est par des jugements simples sortis de l’indépendance de l’esprit que l’on s’insère souvent, en dépit du bon sens, dans des mouvances de type « groupie » autour d’un mentor, jusqu’à ce qu’un jour il vienne vous dire « mon admiration est plus grande que la tienne », ce qui en définitive signifie qu’il n’en a pas bésef. Il s’agit d’une superbe semblable à celle des « habits neufs de l’empereur », qui ne colle qu’aux sots et aux imbéciles, une surexposition de l’éphémère, l’émerveillement du « fan art » et autres niaiseries, plus une adulation qu’une admiration, propre au « people idolâtre », force badges et autocollants. Une vie tumultueuse dans la quête de « qui est qui », parmi les athlètes ou les saltimbanques des médias et du petit écran, autour desquels s’organise la société du spectacle.

Va trouver une logique dans tout ça ! Faisant un détour par Kant, on a cherché dès lors à aplanir le doute, puis à établir entre l’œuvre et l’auteur (tableau ou musique) lequel se présentait comme admirable, concluant finalement à la probable nécessité de créer une échelle de valeurs de toutes les admirations devant lesquelles on devrait s’incliner que ce soit dans des musées ou face à un prodige. A contrario, si elles ne se valent point, il serait utile de définir contre qui ou quoi conviendrait-il de se redresser, l’admiration ne prouvant pas le caractère admirable des choses, à réévaluer ou reconsidérer éventuellement selon les sensibilités et surtout en démocratie où il n’y a pas de place pour l’admiration, vu son caractère dangereux, et même suspect, dès que l’on peut admirer un ennemi pour son courage, un voleur pour son culot, un escroc pour son aplomb, un assassin pour son toupet.

De « mirari », (s’étonner), l’admiration est finalement une attitude contemplative qui procure un sentiment de plaisir désintéressé à celui qui se laisse absorber dans la considération d’un objet donné, ce qui exclut d’emblée une quelconque idée de valeur et laisse plutôt supposer que toute autre personne est susceptible d’éprouver le même sentiment. C’est une agréable surprise de l’âme qui porte à examiner avec attention les oeuvres qui nous semblent rares ou extraordinaires, et nous avons déjà ressenti tous la sensation d’étonnement devant ce qui est ou semble nouveau, voire grand, ainsi que notre dédain ou mépris pour d’autres choses lorsqu’elles nous apparaissent mesquines ou méprisables.

 Il s’agit d’un état affectif stable mais assez sophistiqué, un mélange de stupéfaction et de bonheur devant ce qui nous apparaît comme beau ou merveilleux nous conduisant à nous sentir en secrète affinité avec ce qu’on admire et que l’on peut admirer d’autant plus longtemps que l’on ignore la vraie raison du ravissement. Ça ne se négocie pas.

A ce propos, il me revient une histoire racontée par le philosophe Christian Godin, ici même. « Prêt à conclure, l’acheteur d’une villa s’extasiait devant un grand lac attenant à sa future maison. ‘Que c’est beau !’, disait-il. Pensant ajouter une louche à cet argument, le vendeur s’exclama : ‘Et encore. Là, vous n’admirez que la surface !’ »

 Carlos Gravito

Le 27 février 2011: « L’ennemi est-il nécessaire? », animé par Sylvie Petin.

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Posted on 28th février 2011 by Carlos in Comptes-Rendus

Ça nous pendait au nez. La veille, contre toute attente, le XV de France s’était incliné à Twickenham dans le match l’opposant à l’Angleterre dont une vieille inimitié parait indispensable aux rapports entre les deux pays, tant est qu’elle perdure depuis plus de sept siècles. Le lendemain, 27 Février, on aurait pu s’attendre pour sujet de nos échanges  philosophiques au Café des Phares à quelque chose comme « A partir de quand est-il urgent de se taire ? », « Vaut-il mieux ignorer ou se tromper ? », « Faut-il patauger dans la merde ? », mais, parmi les sujets proposés, autres que ceux-là, c’est « L’ennemi est-il nécessaire ? » qui a eu la préférence de Sylvie Petin, l’animatrice du débat.

Ce n’est pas parce qu’une question est aberrante (sans ennemi la vie serait morose) qu’il faut conjecturer sur l’absurde, d’autant plus que de par l’étymologie, « ami »/« ennemi » sont déjà deux concepts antagonistes en conflit l’un envers l’autre, mais non nécessairement, et que, en général, l’ennemi est comme les mauvaises odeurs ; ça incommode, et nous n’avons pas toujours le cœur assez vaillant pour le supporter, même si un probable instinct de mort nous laisse admirer les ennemis publics que l’on place d’ordinaire en n°1, comme Mesrine en France et Raoul Moat au Royaume Uni, le n°2 étant Nick Simple, dit « Diamant ».

Numéro un ou deux, Pierre Desproges prétendait que « L’ennemi est bête ; il croit que c’est nous l’ennemi alors que c’est lui », et je suis conscient que beaucoup de gens, même des commis de l’Etat, jouissent devant les véhicules blindés, les fusils d’assaut, les tasers ou flashballs, offrant à l’occasion des primes aux agents qui les utilisent afin de développer leur imagination, vu « la nécessité d’avoir un ennemi » ; ne serait-ce qu’un tout petit ça peut faire l’affaire, du moment qu’il grince des dents, car ça met de l’ambiance dans le commissariat lorsque l’on s’y ennuie. Ce qui est extraordinaire est que, cette fois-ci, même les prêtresses de « l’amour à tous les étages » ont marché dans la diversion intellectuelle, d’après le principe « un ennemi n’est pas vraiment nécessaire mais on peut toujours boire un café avec lui », ce que ne ferait pas Guillaume d’Orange.

En revanche, que dire du frelon asiatique, qui s’attaque à nos abeilles ? Ça ne peut convenir qu’à ceux qui ne goûtent pas au miel, un plaisir trop délicat pour des mufles. Que dire de la menace nucléaire et de ces affreux jojos de talibans ? Juste nécessaires aux politiciens, toujours soucieux d’avoir en poche une réserve d’ennemis, car donner de la peur est la seule vertu des chefs. Avoir le trouillomètre à zéro est une condition exigée du peuple, de pair avec l’identité nationale. Il ne faut pas qu’il connaisse autre chose que l’effroi, un ennemi (ou un soupçon d’adversaire) étant dès lors indispensable pour qu’il se croie investi d’une héroïque mission, ce qui justifie en même temps la fonction première affichée par l’Etat, assurer la sécurité de tous en échange d’une obédience sans failles comme seule raison d’être des sujets, soient-ils « électeurs ». De ce point de vue, tel que le dit Guy Debord, l’« histoire du terrorisme est éducative », et affiche l’ennemi en continu.

A quoi assiste-t-on aujourd’hui dans les pays en ébullition, un régal pour les soi-disant Démocraties oublieuses du fait que, en guerre permanente contre le peuple traité comme le pire des ennemis, tous les Etats finissent par récolter l’insoumission ? On assiste à une leçon de morale : l’ennemi étant invisible et pas toujours là où l’on pense, il faut se battre sans trêve peu importe où et contre qui, jusqu’à ce que les événements le rendent visible. « Droits universels » et « ennemis légitimes », le discours est bien ficelé, mais son sens ne peut nous être donné que par l’Histoire. Sans aucune nécessité de le faire, chacun se fabrique l’ennemi qui lui convient, tout en oubliant la question du débat, car nous voulons surtout rester des Hommes.

« Braves gens, prenez garde aux choses que vous dites. Tout peut sortir d’un mot qu’en passant vous perdîtes [en le disant ou murmurant à l’oreille d’un ami, mais ce mot court, sort de l’ombre, marche, et rien ne l’arrête jusqu’à finir chez l’intéressé pour lui souffler] :

 ‘Me voilà ! Je sors de la bouche d’un tel’. Et c’est fait : vous avez un ennemi mortel ». (Victor Hugo, « Toute la Lyre »).

Carlos Gravito

Le 20 février 2011 : « En cas de nécessité, il n’y a pas de loi », animé par Gunter Gorhan.

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Posted on 21st février 2011 by Gunter in Comptes-Rendus

Face aux impétueuses émeutes, bourrasques ou soulèvements insurrectionnels des peuples en état de grâce, qui mettant en cause les pouvoirs établis ne cessent de secouer la côte sud de la Méditerranée depuis la révolution de jasmin de la fin de décembre passé et gagnant même la péninsule arabique, les autorités concernées ont successivement décrété des lois d’exception dérogeant momentanément à la loi constitutionnelle de ces Autocraties, suivies de lois martiales instituant par là un pouvoir judiciaire circonstanciel propre à suspendre toute liberté. Ce désinvolte commerce avec la règle impérative a inspiré quelqu’un, au Café des Phares, à proposer le 20 février le sujet suivant : « En cas de nécessité il n’y a plus de loi », que l’animateur, Gunter Gorhan a soumis à l’assemblée pour en débattre.

Pourtant, dès que motivé par « un cas de vol pour survenir à ses besoins », le caractère de notre « Nécessité » est du coup devenu « Indigence », ce qui n’appartient pas à la même catégorie de jugement et, notre débat s’avérant biaisé, je constate que nous nous sommes trouvés, sans nous en apercevoir, devant un paradoxe à deux termes. Un : « nécessité (indigence) défait la loi » ( « jugement de mode problématique » qui permettrait de se soustraire à la règle) au gré du vent qui attise le feu ou éteint la bougie ; deux : « nécessité fait loi » (« jugement de mode apodictique » suggérant que tout est réglé d’avance), selon le principe « en cas de panique, sauve qui peut ».

Etant donné que, par définition, la Nécessité se résume à ce qui ne peut pas être autrement et ne s’ouvre pas sur d’autres hypothèses, tandis que la Loi est « une règle ad hoc établie par l’autorité souveraine et sanctionnée par la force publique », il en ressort qu’une contrainte Contingente s’exerce donc sur l’Homme et, le bon sens étant « la chose au monde la mieux partagée », nos observations ne pouvaient pas diverger de beaucoup, à moins de ne pas prendre la même en considération. C’est ainsi que dans le sud on ferme les fenêtres en été à cause des mouches, tandis que dans le nord on les ouvre pour l’entrée d’un peu d’air frais ; s’il n’y avait pas des exceptions il n’y aurait pas de règle, c’est-à-dire, que nous adopterions tous une constante ligne de conduite en toute situation, la liberté étant de le faire, tout simplement, et la volonté serait dès lors plus un assentiment qu’un choix. Or, les cas ne sont pas tous identiques et de ce fait les pénibles entraves se révèlent en plus grand nombre que le laisser faire, le corset de la loi ayant pour but de ne pas permettre l’effondrement du droit sur lequel se fonde toute souveraineté et de loger en permanence un sentiment de culpabilité chez chaque être qui naît sans importance. 

Revenant donc à nos moutons, il était question, ce dimanche, de s’étendre plus précisément sur l’assertion « En cas de précarité il n’y a pas de loi », puisque le ton essentiel des prises de parole avait comme objet le soulagement des souffrances en faveur duquel, mis à part le préau réservé à « l’impératif catégorique », il y aurait une notoire carence. C’est ainsi que l’on a fait aussitôt une distinction entre « légitimité, validation, nécessité et autres vides juridiques », une porte restant entrouverte pour « toute désobéissance civique » et autres contingences « comme celle d’Antigone ou des Pythies, arbitres du destin des Humains».

Quoi qu’il en soit, on constate que la Loi recouvre tous les domaines de l’activité des Hommes, ne leur laissant aucune liberté ni leur prêtant aucune force ce qui, dans des circonstances graves, ouvre un large champs d’action demandant un effort de générosité de la part de chacun et suscitant une levée de bons sentiments chez tous les partageux, Robin des Bois, Zorro, Batman et autres objecteurs de conscience prêts à passer outre, afin de faire le déplorable constat de la faillite sociale, assorti d’un appel au législateur pour qu’il se ressaisisse.

Ce n’est pas toujours facile et c’est ainsi que chargé d’arrêter Mlle. Clairon à l’occasion d’une mutinerie théâtrale, l’officier de police d’Henri III se vit opposer de sa part, un : « Sa majesté peut tout sur mes biens et ma liberté, mais il ne peut rien sur mon honneur », auquel le chargé d’affaires répliqua : « Là où il n’y a rien, le roi perd effectivement ses droits ».

Carlos Gravito

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Rarement, j’ai eu tant l’impression de rencontrer un sujet dont j’avais l’impression d’avoir déjà fait le tour et je me souciais à son annonce de « perdre mon temps », de m’ennuyer un peu.  Lectrice attentive de l’Esprit des lois (Montesquieu), et de l’exode de Moise, j’avais l’impression que « tout » avait été dit sur le sujet. Mais une fois de plus je fais l’expérience café philo : «Tout » a beau d’être dit : nous avons besoin de l’entendre à nouveau. Et je rentre à la maison avec quelques pépites mais aussi avec quelques regrets que je veux  considérer pour leur donner un peu de durée dans l’espoir de susciter une prolongation d’un débat qui « mérite ».

L’exemple d’une femme réduite à voler pour nourrir son enfant a  introduit ce débat et  oppose d’emblée le «  droit naturel » à la loi positive.   Deux logiques s’y affrontent: celle du « besoin », la « nécessité », et celle de défendre la « possession ».  Le mouvement révolutionnaire  maghrébin frappe timidement à la porte, mais il y a quelque chose de l’ordre de la rétraction frileuse dans le mouvement groupale. Qui dit « possession » dit « pouvoir ». Le drame de la loi, c’est celui-ci: comment concilier notre « droit à la propriété » et notre « droit à la vie »? Antigone est convoquée. Classiquement, il est admis qu’elle brave la loi de la Cité au bénéfice d’une loi universelle. Je note le nom de Castoriadis qui aurait revisité le drame différemment.  Le vrai drame, ce serait le dialogue de sourd  entre Créon et Antigone, un rapport de force stérile dans lequel chacun reste buté. Plutôt que de voler, la mère citée en exemple d’introduction, avait-elle  pu formuler une demande?  L’élaboration de la loi « positive », de la loi « humaine », elle nécessite le conflit, la négociation. Nous vivons en démocratie. Et pourtant : les personnes en présence, ont-ils tous eu la perception de la distinction nécessaire  entre une loi figée, bureaucratique et  la charge vitale de cette « force » qui structure la vie en société ? Elle a été convoquée, abordée à plusieurs reprises, mais le groupe s’est enflammé très timidement. Suis-je la seule d’avoir été gênée par moment par la tiédeur du débat qui pourtant  traite des fondements de l’humanité ?  Ai-je besoin excessif d’agitation? Nous avons été très forts en théorie, ce dimanche. De très belles choses se sont dites.  Nous avons entendu par exemple une belle définition de la « nécessité » : quelque chose qui ne peut pas être autrement.  Nous citons le « maître à penser » Montesquieu : « Les lois, dans la signification la plus étendue, sont les rapports nécessaires qui dérivent de la nature, des choses ». Et une expression plus radicale encore : C’est la nécessité qui fait loi. Une loi ancrée dans la nature du vivant qui est « nécessiteux », en lien avec la loi propre, « l’autonomie » : est-il nécessaire de le rappeler ?  Lacan fait son entrée. Nous évoquons la loi séparatrice, symbolique.  Nous convoquons le désir. La nécessité, le besoin fait loi. Et le désir? Gunter évoquera mieux que moi la controverse Lacan/Kant, mais je retiens de son intervention l’idée du désir ancrée dans  la pulsion. Voilà que je mets enfin un mot sur la frustration légère avec laquelle je quitte le café philo.  J’aurais aimé  vivre ce mouvement groupale qui  permet d’ancrer la pulsion dans le désir. Vivant dans une société qui donne en principe place à l’expression de chacun, il me semble que nous avons, collectivement parlant, perdu le « contact » avec la force de la loi. Pour moi,  une fois de plus nous avons réfléchi sur l’articulation de l’individuel avec le collectif, et c’est cette jointure qui me semble difficile à penser. C’est comme si nous pouvions penser ni « je » ni « nous » sans culpabilité. C’est comme si on  devait se ranger d’un côté ou de l’autre. Comme si un rapport de force irréductible s’installait entre le besoin de « je » et le besoin de « nous ».  Comme si l’autonomie (loi propre) pouvait  mettre en danger permanent la sécurité, la stabilité de l’institué ou l’inverse : l’institué menace l’individu. Et pourtant : l’un flirte avec l’autre. Pourquoi  est-ce  si difficile de considérer nos besoins grégaires comme une simple nécessité?  

 Il m’a manqué la provocation, là, ce dimanche matin. Appuyer plus par exemple sur  l’évidence lacanienne.  La loi séparatrice ? J’y entends la loi du père, et j’ai envie de dire  « Non ». La loi n’appartient ni au père, ni à la mère. La loi émergeante du conflit, organisatrice, celle-ci, oui. N’est-ce pas le conflit qui structure le lien qui va s’établir entre les humains ? Et  devant la  multitude de liens possibles (nécessairement différents selon les protagonistes impliqués),  je m’étonne de moins en moins de la variation des codes législatifs possibles. Il manquait au lien « le contexte » pour tomber dans le vertige philosophique. Oui, Montesquieu a parlé de l’incidence du climat sur les codes comportementaux.  Furtivement, une interrogation effleure le débat : la démocratie, un code possible pour tous? Déclenché par la nécessité, la révolution à l’œuvre dans le berceau de notre civilisation, dans un climat propice à la « passion », vers quelle loi mènera-t-elle?  Espérons qu’elle amènera celle qui permettra de vivre « le mieux possible » aux habitants de leur jurisprudence. Un atout de cette révolution : rarement, le niveau d’éducation d’un peuple a été aussi élevé.  Aux prémices de la révolution du 18ième siècle, la lecture n’était pas encore acquise à la majorité du peuple française. Sauf erreur de ma part, elle l’est au Maghreb. Donc : nous pouvons espérer que l’histoire ne se répétera pas « bêtement ». J’ai besoin d’espérer,  c’est plus fort que moi ! Loi de la nature ?

Elke Mallem

Le 13 février 2011 au café des Phares, « Une idée peut-elle guérir ? », animé par Gérard Tissier.

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Posted on 13th février 2011 by Cremilde in Comptes-Rendus

Par curiosité, au cours de mon trajet dans le métro lorsque je me dirigeais le 13 Février vers la Bastille, j’ai entamé la lecture de « Plato Not Prosac » (Platon oui, Prosac non), l’oeuvre d’un fameux philosophe canadien, Lou Marinoff, qui se disant technicien des pratiques philosophiques dans le domaine de l’éthique, enseigne cette spécialité au City College de New York et explicite dans son ouvrage le « point de vue intérieur » de sa profession c’est-à-dire, la pratique de la « thérapie de l’esprit », une sorte de « philosophie-pop » qui se frotte à la psychologie et à la psychiatrie cliniques, proposant aux patients de réelles alternatives philosophiques, d’autant plus abusives que cette discipline ne s’occupe pas du bien être mental ou physique des gens et que la superbe effervescence socratique se révéla plutôt comme une entrave à la bonne santé publique. Il promet une sagesse éternelle à ceux qui opteraient pour la solution à travers Platon de leurs problèmes de tous les jours, là où Augustin conseille « crede ut intelligas », (crois si tu veux comprendre), et ils s’enferment finalement dans leurs idées fixes ou se trouvent collés à des Troubles Obsessionnels Compulsifs, pour finir en définitive à l’asile des aliénés.

Hélas, c’est comme si je m’étais trouvé au Café des Phares avant l’heure. En effet, à la manière de quelqu’un posté au chevet d’un moribond, l’animateur Gérard Tissier a choisi pour sujet de notre débat la doloriste question thérapeutique : « Une idée peut-elle guérir ? », d’où la compassion pour les idées au bec de perroquet qui effleura les esprits dans un premier temps, et par la suite l’éventualité d’une attitude thérapeutique que la philo accréditerait, enfin, une initiative psy indigne de gens qui exercent des responsabilités au sein de nos propres pratiques philosophiques.

Mais, on n’en a pas fait une maladie ; on a avalé l’hostie, bien qu’il nous restait à déterminer si l’on entendait l’idée en question comme une infection ou plutôt comme une panacée ; si on y allait à doses homéopathiques ou façon remède de cheval. Il y avait de quoi tourner en rond dans ce manège, ce que l’on a fait allègrement, passant de l’intérêt de laboratoires en Suisse à l’idée de pêché, d’antidote, virus, placebo, poudre de perlimpinpin, science fiction ou pourcentage de guérison assurée, ce qui a paru flatter l’ego de l’animateur qui s’exclama, avec autosatisfaction, « vous voyez que c’est beau comme sujet », ajoutant plus tard que « le projet d’existence n’a pas pour but le bonheur mais celui de guérir de quelque chose ».

Or, malgré le sophistique appel au « Normal et le Pathologique » de Georges Canguilhelm dont la doctrine porte sur le vivant, tout le monde sait qu’il n’y a « rien de plus dangereux qu’une idée, quand on n’en a qu’une » (et de toute évidence tel était le cas). Toutefois, alors que la force des idées est de s’appuyer les unes sur les autres, nous nous sommes appesantis sur une seule comme suffisante et dès lors, plus besoin pour les parisiens d’aller à Lourdes en quête d’une quelconque guérison. Même en phase avancée de la maladie, cent minutes devant un petit noir, ses petites gouttes et sa carte Vitale dans la poche, l’affaire est dans le sac, ne nous restant qu’à savoir s’il y a une idée efficace contre la bêtise. Certainement, puisque pour les grecs « eidos » équivaut à « voir » ce que l’on a quelque part, ce qui parfois met du temps à germer, empêchant le développement harmonieux du bouillon de culture dans des conditions adéquates ; même les longs discours n’y peuvent rien comme curatif, car ils semblent fixer une réalité qui périrait d’exister à moins d’être continuellement pansée, et dans ces cas on a toujours l’impression que les aiguilles de l’horloge traînent, tandis que les idées se meurent sans espoir de guérison ou perspective d’extraversion en faveur du malaise immanent qui sans cesse nous assaille.

Moralité, il vaut mieux prévenir que guérir, car les idées peuvent être trop farfelues dès qu’elles ne trouvent pas une raison de s’épanouir ou s’obstinent allègrement à « jouer au docteur ».

Carlos Gravito

« Ce qui ne se régénère pas, dégénère». L’auteur de cette citation, Monsieur Edgar MORIN, n’animera malheureusement pas (pour des raisons de santé) le débat au Café des Phares le 10 avril 2011. Une autre date n’a pas pu encore être fixée.

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Posted on 11th février 2011 by Cremilde in Informations |Manisfestations - Abécédaire

Le 6 février 2011, « Je fais cas d’un philosophe dans la mesure où il est capable de fournir un exemple », animé par Daniel Ramirez.

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Posted on 31st janvier 2011 by Gunter in Comptes-Rendus

7 Février 2011. En Chine l’Année du Lapin venait de démarrer. Au Caire, sur la place Al Tahir des milliers de manifestants continuaient d’exiger le départ de leur Président. Et au Café des Phares, cherchant de la matière à réflexion, l’animateur Daniel Ramirez a choisi un tunnel verbal pour le faire : « Je fais cas d’un philosophe dans la mesure où il est capable de fournir un exemple ». Point ! Nous étions prévenus que le laïus était de Nietzsche, donc de bonne trempe, car il n’y a pas d’absurdité qui n’ait été soutenue par quelque philosophe, comme le répétait Cicéron. Pourtant, avant de débriefer la colle qui nous était donnée, je précise pour mémoire que Nietzsche est ce philosophe à grosses moustaches et sourcils de père fouettard, solitaire et sujet à des crises de démence, qui se morfondait dans la Riviera Italienne, suite au départ de son égérie Lou Andréas-Salomé. Néanmoins, il était d’un fécond autant qu’envoûtant lyrisme astucieusement mis à profit dans sa critique de la culture occidentale ainsi que de ses valeurs morales (assimilées à un bestial mécanisme), essayant néanmoins de réévaluer ces forces vitales les insérant dans un « éternel retour » qui tendrait vers le bonheur bovin du « surhomme » et l’inéluctable « mort de Dieu » dans un monde dépourvu de sens ultime, dès que l’on part du principe que « toute valeur créée, c’est moi », autrement dit, la fatalité de son être fait partie de la fatalité de Tout.

En définitif, pour revenir à « l’exemple » de notre sujet, ou bien Nietzsche s’est appuyé sur une bévue ou il voulait parler d’autre chose. Il s’avère que devant la nécessité d’échafauder une réponse sans savoir d’où sortait la question ni de quel modèle il s’agissait, un tel rébus à déchiffrer, nous a rappelé le type classique de ces débats balourds bâtis sur des malentendus où chacun peut vider son sac sans se soucier de Saussure, c’est-à-dire, que le signe soit signifiant, la première urgence étant en l’occurrence d’éclaircir ce que c’est qu’« un exemple » ! Ah, ça, par exemple, pour un exemple c’était un exemple. Mais un exemple ne fait pas d’habitude un philosophe ; un mathématicien, peut-être, et c’est là que nous sommes passés allègrement de la philosophie à la science et aux suffisantes flâneries des philistins de la connaissance exacte. Tant pis ; on en a vu d’autres.

Sans exemple qui facilitât la compréhension de la démonstration pour en tirer une conclusion, l’animateur y a soupçonné en conséquence un chemin entre la métaphysique et l’éthique, insistant donc pour que le débat ait lieu malgré tout et il ne nous restait plus qu’à deviner ce que le fameux aphoriste a voulu dire ; alors, faute de grives, pour régler l’affaire, on improvisa des exemples savants, agencés sur des doctes quiproquo. C’est ainsi qu’à un certain moment quelqu’un m’a confié que l’on se croirait au Salon des Verdurin (truffant d’exemples « La Recherche du Temps Perdu » où Charles officiait comme « Maître du Logos »), autant de références à l’œuvre de Nietzsche d’où il ressort que la vie est limitée par notre propre contention, et j’ai compris donc que c’est dans la liberté de pouvoir choisir sa fin que la vie prend toute sa valeur, l’« exemple » en question étant sans doute l’immolation et qu’oscillant entre présence et absence, le singulier penseur éternellement insatisfait fit mourir Dieu, ce qui le dispensait de l’idée de supprimer sa propre vie. A vrai dire, les exemples se recoupant les uns les autres, la seule chance de pouvoir sortir de soi, de se décentrer, de s’arracher à soi-même est de se mettre à l’écoute de son existence ; l’imagination ne cesse pas de nous tromper car le désir s’accroît avec la difficulté des rencontres. Au bout du compte, la mauvaise foi de Nietzsche met le philosophe dont il fait cas, au défi de devenir autre chose que lui, si l’on suit Sartre lorsqu’il affirme que « l’Homme n’est pas ce qu’il est et est ce qu’il n’est pas »

Carlos Gravito