De retour d’une longue période de vacances dans mon pays, le pays où le Fado tient lieu de philosophie, une philosophie dont l’expression [de « fari »] est la parole des dieux qui prononcent directement ce qui est et sera, je me suis rendu le 12 Septembre au Café des Phares où l’interrogation du jour, animée par Gunter Gorhan, était « Quel est le rôle du philosophe dans une société en mutation ? »
Je suis désolé mais, à moins qu’il ne s’agisse d’un bibelot, il est très difficile de concevoir un monde qui ne bouge pas, et ça été dit dès la première intervention, « puisque les sociétés sont toujours en quête de nouvelles technologies », tandis que d’autres en doutaient, introduisant la « distinction entre le politique (le nécessaire) et le philosophique (le bien et le mal) », en d’autres termes, entre le « tout change tout le temps » et le « rien de nouveau sous le soleil ».
Par ailleurs, la rigueur de l’amoureux de la sagesse n’est pour rien dans l’ordonnancement du monde, réglé plutôt par le désordre dont l’entropie en est la mesure, condamnant à l’inéluctable disparition tout système organisé et élevant les bébés au rang d’êtres les plus heureux. Aussi, d’ordinaire, le philosophe est celui qui, selon les lieux et les sensibilités, épouse avec détachement une philosophie ou une quelconque vision du cosmos et est traditionnellement enclin à une certaine résignation, comme le philosophe-roi de Kallipolis, la cité idéale de Platon. Il s’accommode de tout car il est coincé par la question du Dasein, « l’être-là » qui se distingue des autres « étants » mais, ne pouvant pas entrevoir un destin différent de celui de la mort, il est accaparé par le constat permanent de sa finitude et se terre alors dans un palliatif souci d’altérité (Controverse de Valladolid lors de la conquête du Nouveau Monde), dans le désir d’une anarchie ontologique (voir Mai 68), ou dans l’absurde lubie de « la vie d’abord, l’Homme ensuite », en quelque sorte une Théorie d’Ensembles Flous qui n’a rien à proposer. Une dernière alternative serait celle de changer de monde, c’est-à-dire, déstructurer le réel, ce qui reviendrait à la remise en cause de toute indissociabilité, alors que tous les phénomènes contiennent certes quelque chose de changeant (leur résolution), mais de pair avec quelque chose de permanent (leur substance), une double évidence qui fait de l’événement une expérience immédiate perceptible dans l’avènement/manifestation de l’art, par exemple, pourvu d’une consistance ontologique spécifique qui ne se réduit pas à nos sensations ou pensées et nous reste ainsi opaque en même temps que proche.
Résumant, voilée à l’infini, la « mutation du monde » n’est rien d’autre qu’une Tinologie [du grec « Ti » (quelque chose de différent de ce qui est là)] mais qui ne peut pas se conceptualiser selon notre propre mode d’être, une pensée sur la pensée. Elle est, finalement, une onto- logique distincte des événements où le hasard garde son sens ; des modifications de détail, telles que les marées, les volcans, les étoiles filantes, le port d’un chapeau, d’un képi, d’une kipa, du niqab ou même d’un string, des affections secondaires et pas une substantialisation existentielle qui modifierait toute détermination.
Bref, les choses changent lorsqu’elles changent et je vais vous en donner comme exemple l’histoire d’un gars qui, pour une énième visite, se rendit à la maternité où sa femme venait d’accoucher.
- Dis donc, Marcel, il est temps de t’avouer que cet enfant n’est pas de toi – lui dit-elle, froidement, allaitant le nourrisson.
L’homme l’écoute philosophiquement, puis rétorque, serein :
- Je dois te confesser, Ginette, qu’il n’est pas le tien non plus.
- Ah ça, c’est la meilleure ; c’est toi-même qui as coupé le cordon ombilical.
- Certes ; mais souviens-toi. Hier, parce qu’il avait fait, tu m’as demandé d’aller à la nursery changer ton bébé.
- Oui, et alors ?
- Eh ben ; je l’ai changé.
Carlos Gravito