Débat du 19 septembre 2010 : « à quoi faut-il s’attendre ? », animé par Gérard Tissier.
Bonjour. J’ai choisi ce sujet car la question première du sens et de l’utilité sociale d’un café philo serait de comprendre le monde tel qu’il évolue, le mouvement qui le détermine et la manière dont chacun peut produire aussi du monde et incarner sa liberté.
Pour sortir de la tentation de l’ego-philosophie, il est pour moi intéressant d’inviter à imaginer l’avenir au présent. Le monde qui nous traverse et que nous traversons sans le voir peut se lire dans certaines évolutions. Sans les lire comment savoir « à quoi faut-il s’attendre ? »
Voici à titre d’éclairage post-débat, le chapeau d’une série d’articles sur le monde tel qu’il évolue paru dans le numéro anniversaire de la revue le Débat :
« Quelles ont été les forces fondamentales de renouvellement de la conscience collective depuis trente ans ?
Il nous a semblé possible d’en identifier cinq : la poussée de l’individualisme, le retour des religions, la prise de conscience écologique, la montée en puissance de la recherche scientifique, l’irruption des réseaux numériques.
Il a été beaucoup question de l’individu depuis 1980, y compris dans ces colonnes mêmes. Mais quel individu ? À y regarder de près, sa figure a notablement évolué. Marcel Gauchet propose une périodisation de ces déplacements.
La révolution islamique de 1979 en Iran a marqué le coup d’envoi d’une spectaculaire reviviscence du religieux au premier plan de l’actualité. Mais le phénomène est tout sauf simple, derrière ses apparences massives. Jean-François Colosimo en explore les ambiguïtés.
De la « pollution » au « développement durable », l’entrée en scène de la préoccupation pour l’avenir de la planète est, à n’en pas douter, l’un des apports marquants de la dernière période. Or elle a emprunté en France des chemins tortueux et contrariés, montrent Dominique Bourg et Alain Papaux. Ils interrogent les motifs de cette exception et les voies par lesquelles elle s’est résorbée.
Ce n’est pas d’aujourd’hui que les sciences et les techniques jouent un rôle moteur dans le devenir de nos sociétés. Cette capacité transformatrice semble toutefois avoir pris un caractère inédit en se faisant toujours plus systématique. Notre avenir, nous assure- t‑on, c’est la « société de la connaissance ». Dominique Pestre analyse cette mutation.
Comme il se devait, Internet occupe une place de choix dans le tableau.
Le moment est venu, pour commencer, au-delà des légendes et des mythes d’origine, d’établir scientifiquement l’histoire de cette émergence majeure. Pascal Griset met en lumière ce que ce travail critique apporte à l’intelligence des réalités du secteur.
Les incidences cognitives des « nouvelles technologies de l’information et de la communication » ne sont plus à souligner, même si leur nature est difficile à apprécier. Christian Vandendorpe dresse le bilan de ce que l’on connaît de leurs effets sur la lecture.
Mais Internet constitue également un formidable laboratoire idéologique. C’est toute une vision du fonctionnement économique et social qui s’y fabrique et s’y propage. Le capitalisme décontracté, mais sans complexe, y est roi, fait ressortir Monique Dagnaud. Sur ce terrain-là aussi, l’examen des réalités est rude pour les chantres de l’utopie. »
Eclairant non ?
Après une longue conclusion d’Alfred, auteur du sujet, je me suis permis d’évoquer les travaux d’une centre de recherche qui a publié, il y a dizaine d’année, des scénarios prospectifs pour le 21 ème siécle.
Ces travaux nous parlent d’un temps futur ( 2030- 2050)dominé par les valeurs féminines..Ma vieillesse me conduira- t- elle jusque là ?
Peut être pas. A moins que, tous ensemble, nous nous mettions à vouloir mettre un peu plus de tendresse dans la civilisation.Une façon, pour le moins, de répondre aux questions que nous inventons pour trop souvent en critiquer la syntaxe sans voir que la colonne de juillet, tout près au centre de la place de la bastille, porte en sa base, des cercueils de morts de la Commune et en son sommet, la flamme du progrès contre le vent de l’histoire ( la révolution de 1848 ).
Gérard Tissier
Débat du 26 septembre 2010 : « Faut-il ? » animé par Sylvie Pétin.
« Faut-il ? » Après les impressionnantes manifestations de Jeudi 23 Septembre, au cours desquelles les travailleurs de tout le pays se sont dressés contre les initiatives de ses dirigeants, telle a été la question posée, le dimanche 26 aux Café des Phares, comme thème du débat hebdomadaire, animé par Sylvie Pétin ce jour-là.
Comme s’il le fallait, on aura tout entendu, allant du « ces deux mots questionnent le bonheur et la liberté d’être heureux » au « on en meurt de religion, aujourd’hui ; essayons de penser sans Dieu », en passant par « faut-il falloir », « il s’agit de l’intériorisation d’un sur-moi », « de la suggestion d’un espace de liberté », « de la délivrance d’un nœud qui traverse toute l’histoire de la pensée », « de quelque chose qui provoque l’action à l’instar du ‘I have a dream de Luther King », « de la question de la légitimité par rapport à la liberté, qui doit s’effacer », et même « d’une autorité cachée en nous ».
Enfin, nous nous sommes, comme souvent, mis à emboîter des choses et, dans de tels cas, c’est inutile de faire appel à Kant, à Spinoza, à Descartes, Lévinas ou autres avatars, pour se dépatouiller ; on ne s’en sort pas. En effet, la nécessité est inflexible mais n’existe pas dans le chaos de nos sensations ni dans celui des choses « en-soi ». Le réel est vivant, a une histoire singulière et, dès lors, il ne dépend pas d’un prétentieux « il faut ou faut-il ? » qui nous obligerait, mais relève plutôt du hasard, une contingence.
Voyons ! Faut-il (nécessairement) « travailler plus pour gagner plus » ? Faut-il (fatalement) « travailler plus longtemps parce que l’on vit plus longtemps » ? Drôle de dilemme, vicié par une contradiction introduite dans un « falloir » aux nécessités hypothétiques auxquelles rien ne s’impose et il serait plutôt judicieux de se soustraire.
Eh ben ! Dès que la pensée est ainsi invitée à réfléchir sans conjecture ou à opter entre deux prémisses contraires du genre « la bourse ou la vie », on appelle un tel raisonnement « syllogismus cornutus » et un de ces exercices est resté célèbre dans les annales : « Ou bien il faut philosopher, ou bien il ne faut pas philosopher ; s’il faut philosopher, il faut philosopher, or s’il ne faut pas philosopher, pour démontrer qu’il ne faut pas philosopher, il faut encore philosopher ». Ça n’arrête pas.
Conclusion. On tourne en rond jusqu’à la fin des temps. On est là pour ça et, dès qu’il y a Question, on s’en fait même un devoir. Or, s’il y a devoir, c’est qu’il y a une obligation éthique préexistante, une sorte de perpétuel lien intellectuel ou contrat moral, une dette qui s’accumulerait sans coupable mais s’imposerait à tous inexorablement ; une espèce de loi intériorisée en tant que vérité « sine qua non », sur laquelle s’assiérait la nature de chacun et qui l’autoriserait à exprimer tout ce qu’il veut, cette touchante expérience sursoyant à une noria d’angoisses, de dévalorisations ou de honte que l’idée de faute implique.
Pour finir, il me revient que « Faut-il ? » n’est pas sans rappeler le « Doit-on ? », dilemme des moines de Tibhirine : « Faut-il partir en raison de la menace de mort qui pèse sur nous, ou doit-on rester et accomplir la mission que nous nous sommes donnés ? » Ils ont pris le parti dont Jules César a fait un précepte moral : « Navigare necesse est, vivere non necesse ! », Naviguer est nécessaire, vivre ne l’est point.
Carlos Gravito
Débat du 13 juin 2010 : « La dignité », à l’occasion des 50ans d’Amnesty International, animé par Pascal Hardy.
RETOUR SUR LA DIGNITE
Un débat organisé récemment au café des Phares avait pour sujet la dignité, thème retenu pour la campagne du 50e anniversaire d’Amnesty International, et prétexte à ce débat. La dignité est en effet une notion centrale pour une association qui lutte pour le respect des droits humains. Rien d’abstrait dans tout cela, bien au contraire, mais un travail quotidien pour la dignité d’opprimés, de faibles, ou de victimes d’injustices. Mes réflexions après ce débat tournent autour de trois sujets : ce qui constitue la dignité, l’idée de « l’autre » comme « semblable différent », et l’interrogation sur l’indigne.
Constituer la dignité
Les premières traces de la notion de dignité que j’ai retrouvées dans la littérature datent de Cicéron, qui note que la correspondance entre les droits individuels et les droits collectifs implique une responsabilité mutuelle. Il trace ainsi une ligne que suivra ensuite Rousseau en axant sa définition autour des droits sociaux. Ainsi de la liberté, ajouterais-je, qui confère à la dignité sa dimension d’identité pour l’individu et sa dimension de sens pour ses actes.
Une autre ligne est tracée par Pic de la Mirandole, qui voit l’homme comme la seule créature ayant la liberté de se « finir » elle-même, ce qui fonde un humanisme et réfute l’idée de perfection divine. Cette intuition traversera les siècles pour en arriver à l’idée moderne que chaque homme est lié à son humanité, qu’il n’est pas objet, mais sujet. Ceci permet notamment aux associations comme Amnesty d’articuler leur combat pour les droits humains avec celui pour l’intégrité des individus.
Je vois une troisième ligne, tracée à l’origine par Kant, qui avance que ce qui a un prix peut être remplacé, alors que ce qui est supérieur à tout prix est ce qui a une dignité. La dignité de l’homme moral des fins sera de faire la loi. Aussi, Marx enfoncera ce clou en distinguant valeur marchande et valeur de dignité. Ce que je trouve intéressant dans cette ligne c’est que la notion de dignité s’inscrit dans une lutte contre la fatalité. Elle incite à l’action et ouvre droit au politique.
La dernière ligne de fondement est tracée par Freud : les soins maternels seraient à la base des principes de réciprocité, source première de tous les principes moraux. Ainsi le nourrisson impotent serait doté par nécessité d’un deuxième corps collectif – c’est-à-dire son entourage – et qui lui a des devoirs. Cette réflexion me fait penser aux travaux de Levinas sur la figure de « l’autre », et qui me semble-t-il, la prolongent.
Ces lignes s’entrecroisent et forment en bonne part le paradigme que nous reconnaissons dans l’usage du concept de dignité. J’en retiens en particulier que le respect des droits humains n’est rien sans une conception humaniste de l’homme. Ce qui m’inquiète est que beaucoup voient l’homme, et de plus en plus, comme un être exclusivement économique, un objet consommant, sommé même de consommer, assigné à un statut prédéfini et soi-disant indépassable. Il y perd là insidieusement mais inexorablement une part de sa dignité par aliénation de sa liberté.
L’autre comme semblable différent
Après le débat, c’est cette belle expression qui me parait caractériser le mieux la condition majeure de l’existence de la dignité : voir l’autre comme « semblable différent », réaliser sa proximité au-delà des frontières et séparations de tous ordres tout en respectant sa singularité. Considérer que l’homme et une fin et non un moyen, par exemple en traitant l’homme dans le pauvre, pas le pauvre dans l’homme. Dans un autre registre, on oublie bien trop souvent que la déclaration universelle des droits de l’homme place à égalité des droits économiques, sociaux mais aussi culturels.
L’indignité
Les scénarios d’humanité et d’inhumanité sont des séquences dans lesquelles nous sommes plongés quotidiennement et dont nous sommes acteurs ou témoins. Dans ce cadre je remarque qu’il nous est fréquemment donné d’identifier ce que j’appelle des porteurs de dignité, ainsi que des porteurs d’indignité. Me revient ainsi l’exemple d’un de ces porteurs de dignité, ce torturé algérien, considérant que la dignité était de réussir à préserver pour lui un espace inviolable et inconnu de ses bourreaux, malgré la souffrance et les dégradations imposées.
Plus largement, la survenance d’une catastrophe humanitaire précipite l’effondrement de tous les droits humains et sociaux fondamentaux et il devient très difficile, mais non moins indispensable, de voir dans les victimes des individus singuliers. Mais pour moi le comble du déni de dignité, c’est-à-dire de l’indignité, est que chaque année plus de 9 000 000 d’enfants puissent mourir de faim. C’est là la manière la plus extrême et la plus horrible de leur nier toute espèce d’humanité.
Cordialement,
Pascal Hardy
A Gatoupi
Mon cher Gatoupi, le magistral poème de Victor Hugo, ( « … d’autres célèbrent les orages… les parfums, les fleurs, etc., Mais une belle merde est le nec plus ultra… Moi, je veux célébrer… la délicate odeur de la merde [et] la présenter à vos yeux étonnés… Moi, je ne veux chanter que les étrons humains…les étrons chrétiens… et non point ceux des veaux, des vaches et des chiens… Oh, qu’il est beau de voir, le long d’une muraille, Un régiment d’étrons en ligne de bataille »). C’est assez étonnant, et il se trouve dans un recueil de poésies intitulé « La Mouise » mais est aussi appelé « Idyle amoureuse ». Pas facile à trouver, mais voilà le texte:
ODE A LA MERDE
La merde d’un seigneur au splendide chignon,
Etait assise un soir auprès d’un champignon,
Mirant coquettement sa face purpurine
Sur les bords d’un étang fait avec de l’urine.
Près d’elle un vieil étron, le feutre sur l’oreille
Contemplait cette merde à nulle autre pareille.
C’était le noir produit d’un pauvre grenadier
[Qui, l’œuvre étant accomplie], dédaigna le papier,
A moins qu’il eût, après s’être torché la cuisse,
Orné de ce fétiche son bonnet de police…
- « …Vous n’êtes, dit la merde, qu’une vieille catin
Il faut pour m’emmerder vous lever plus mâtin… »,
[Alors], que la signalétique fécale
Lui lançait d’un ton professoral :
– « …On ne sait même pas si le cul dont tu sors
T’as proprement chié ou t’a foutu dehors… »
Cordialement,
Carlos
Suggestion de lecture
« Les deux « adversaires » ici en présence témoignent, dans le débat d’idées, de deux visions irréconciliables. Tout, dans leurs prises de position respectives, les sépare : Alain Badiou comme penseur d’un communisme renouvelé ; Alain Finkielkraut comme observateur désolé de la perte des valeurs. La conversation passionnée qui a résulté de leur récente rencontre […] prend souvent la tournure très vive d’une « explication », aussi bien à propos du débat sur l’identité nationale, du judaïsme et d’Israël, de Mai 68, que du retour en grâce du communisme. Mais le présent volume ne se réduit pas à la somme de leurs désaccords. Car ni l’un ni l’autre ne se satisfont, en définitive, de l’état de notre société ni de la direction que les représentants politiques s’obstinent à lui faire prendre. Si leurs voix fortes et distinctes adoptent, un moment, une tonalité presque semblable, c’est sur ce seul point. » (4ème de couverture du livre « L’explication » de Alain Badiou et d’Alain Finkielkraut, lignes 2010, 172 pages, 17€.)
Je ne peux trop conseiller la lecture de ce livre totalement improbable avant sa publication, ou plutôt avant une première rencontre des deux philosophes organisée par le Nouvel Obs, tellement leurs positions dans presque tous les domaines les opposaient.
Il faut ajouter au-delà de la seule convergence entre les deux auteurs (leur malaise dans notre « civilisation ») deux points :
- Une attitude exemplaire pour nous qui nous opposons souvent dans nos échanges aux Phares ou ailleurs, je cite Alain Badiou :
« Au demeurant, c’est une référence un peu intime, mais si vous regardez mon Petit Panthéon portatif, vous verrez qu’avec ceux qui ne pensent pas du tout comme moi, je peux avoir une sorte de fraternité. C’est même cette disposition à votre égard, en cette fin de notre discussion ! » (p. 168) ; sans qu’il l’exprime, il est permis de penser que A. Finkielkraut était dans la même disposition, car lorsque quelqu’un dévoile le fond de sa « posture existentielle » il ne peut qu’être infiniment respectable, voire aimable…
-La « philosophie » ou « posture existentielle » que nous adoptons dépend du type d’humain que nous sommes (Fichte) : « Cela ne fait qu’aggraver la mélancolie que vous avez remarqué tout au long de notre dialogue » (Alain Finkielkraut, à quoi Alain Badiou répond) : « Lorsque je dis la vôtre [mélancolie, G.G.], c’est toujours avec une sourde inclination à la partager, je pense que vous m’avez entendu sur ce point. Et j’irai même jusqu’à définir toute une partie de ce que je fais comme une lutte énergique contre cette mélancolie » (dernières phrases du livre »).
Qui a « raison » ? Tous les deux bien sûr, puisqu’ils sont allés à la racine (la vraie philosophie est radicale) de leur différence qu’ils ont su porter au langage…
Enfin, un livre paru en 2004, « La religion après le religieux », reproduisant un entretien entre Marcel Gauchet et Luc Ferry (Grasset, coll. Nouveau collège de philosophie) m’avait déjà fait le même effet d’un dialogue philosophique exemplaire par la capacité des deux interlocuteurs de se décentrer sur l’autre.
Gunter Gorhan.
Débat du 12 septembre 2010 : « Quel est le rôle du philosophe dans les sociétés en mutation », animé par Gunter Gorhan.
De retour d’une longue période de vacances dans mon pays, le pays où le Fado tient lieu de philosophie, une philosophie dont l’expression [de « fari »] est la parole des dieux qui prononcent directement ce qui est et sera, je me suis rendu le 12 Septembre au Café des Phares où l’interrogation du jour, animée par Gunter Gorhan, était « Quel est le rôle du philosophe dans une société en mutation ? »
Je suis désolé mais, à moins qu’il ne s’agisse d’un bibelot, il est très difficile de concevoir un monde qui ne bouge pas, et ça été dit dès la première intervention, « puisque les sociétés sont toujours en quête de nouvelles technologies », tandis que d’autres en doutaient, introduisant la « distinction entre le politique (le nécessaire) et le philosophique (le bien et le mal) », en d’autres termes, entre le « tout change tout le temps » et le « rien de nouveau sous le soleil ».
Par ailleurs, la rigueur de l’amoureux de la sagesse n’est pour rien dans l’ordonnancement du monde, réglé plutôt par le désordre dont l’entropie en est la mesure, condamnant à l’inéluctable disparition tout système organisé et élevant les bébés au rang d’êtres les plus heureux. Aussi, d’ordinaire, le philosophe est celui qui, selon les lieux et les sensibilités, épouse avec détachement une philosophie ou une quelconque vision du cosmos et est traditionnellement enclin à une certaine résignation, comme le philosophe-roi de Kallipolis, la cité idéale de Platon. Il s’accommode de tout car il est coincé par la question du Dasein, « l’être-là » qui se distingue des autres « étants » mais, ne pouvant pas entrevoir un destin différent de celui de la mort, il est accaparé par le constat permanent de sa finitude et se terre alors dans un palliatif souci d’altérité (Controverse de Valladolid lors de la conquête du Nouveau Monde), dans le désir d’une anarchie ontologique (voir Mai 68), ou dans l’absurde lubie de « la vie d’abord, l’Homme ensuite », en quelque sorte une Théorie d’Ensembles Flous qui n’a rien à proposer. Une dernière alternative serait celle de changer de monde, c’est-à-dire, déstructurer le réel, ce qui reviendrait à la remise en cause de toute indissociabilité, alors que tous les phénomènes contiennent certes quelque chose de changeant (leur résolution), mais de pair avec quelque chose de permanent (leur substance), une double évidence qui fait de l’événement une expérience immédiate perceptible dans l’avènement/manifestation de l’art, par exemple, pourvu d’une consistance ontologique spécifique qui ne se réduit pas à nos sensations ou pensées et nous reste ainsi opaque en même temps que proche.
Résumant, voilée à l’infini, la « mutation du monde » n’est rien d’autre qu’une Tinologie [du grec « Ti » (quelque chose de différent de ce qui est là)] mais qui ne peut pas se conceptualiser selon notre propre mode d’être, une pensée sur la pensée. Elle est, finalement, une onto- logique distincte des événements où le hasard garde son sens ; des modifications de détail, telles que les marées, les volcans, les étoiles filantes, le port d’un chapeau, d’un képi, d’une kipa, du niqab ou même d’un string, des affections secondaires et pas une substantialisation existentielle qui modifierait toute détermination.
Bref, les choses changent lorsqu’elles changent et je vais vous en donner comme exemple l’histoire d’un gars qui, pour une énième visite, se rendit à la maternité où sa femme venait d’accoucher.
- Dis donc, Marcel, il est temps de t’avouer que cet enfant n’est pas de toi – lui dit-elle, froidement, allaitant le nourrisson.
L’homme l’écoute philosophiquement, puis rétorque, serein :
- Je dois te confesser, Ginette, qu’il n’est pas le tien non plus.
- Ah ça, c’est la meilleure ; c’est toi-même qui as coupé le cordon ombilical.
- Certes ; mais souviens-toi. Hier, parce qu’il avait fait, tu m’as demandé d’aller à la nursery changer ton bébé.
- Oui, et alors ?
- Eh ben ; je l’ai changé.
Carlos Gravito
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Université populaire du goût -à Argentan- créée par Michel Onfray.
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