Sans rien effacer des misères qui assolent le monde, un épouvantable changement d’heure nous avait surpris au cours de la nuit, et nous n’étions pas très frais le 27 Mars, lors qu’au Café des Phares Sylvie Petin choisit d’animer le sujet dont il fallait faire cas : « Y a-t-il des faits moraux ? »
Le point ne dispensant pas de la connaissance des causes et des effets avant de pouvoir se prononcer sur la question, il s’agissait là de toute évidence d’un faux problème qui ouvrait surtout une fenêtre de tir idéale pour arroser les participants de cautions morales allant de Pascal, Rousseau et Husserl à Hans Jonas, un cocktail d’équivoque et d’univoque pas facile à déjouer, raison pour laquelle il fallait stoïquement y faire face comme d’autres de par le monde essayent de parer aux caprices que le destin leur réserve.
C’est ainsi que l’on a considéré « la Morale comme partenaire des Faits » qui ne seraient « pas que des simples actes mais quelque chose de plus ». Quoi ? C’est là que nous nous sommes rendu compte qu’« un fait est un fait », mais il était trop tard pour roquer. On a bien appelé à la rescousse « le serment d’Hippocrate », « les litiges en Tribunal », « la conduite du chauffard », « la grille des valeurs », « le révisionnisme », « l’interprétation », « la neutralité du fait », la rituelle « pose d’un acte » mais rien n’y faisait ; la fuite en avant était la seule sortie honorable.
Ceci dit, nous avions le choix : soit on comprenait l’énoncé à partir de « La Morale », soit on l’envisageait sous l’angle d’« Une Morale », convenant dans les deux cas qu’un « Fait » n’est pas une vision de l’esprit ; c’est l’image nette d’une réalité effective constatée « hic et nunc » et dégagée de toute transcendance. « La Morale » se définit, elle, comme un ensemble de règles universellement et inconditionnellement valables, tandis qu’« Une Morale » se restreint aux principes et usages adoptés par une certaine communauté à telle ou telle époque.
Historiquement, il semble que c’est le tremblement de terre de Lisbonne, le 1 Novembre de 1755 qui, suivi d’un gigantesque raz de marée et d’un violent incendie, ravagea la capitale portugaise provoquant des milliers de victimes, le premier fait désastreux suffisamment funeste et bouleversant pour éveiller la conscience mondiale au point de susciter chez Voltaire et Rousseau une réflexion philosophique à propos du Mal et du Bien, sur terre, à l’Age des Lumières. Par la suite, Adorno et Hanna Arendt firent un rapprochement avec l’Holocauste, ce qui a définitivement transformé la culture et la philosophie, la sortant des concepts de sublime et d’innocence auparavant mis en valeur par Emmanuel Kant.
Quoiqu’il en soit, que nous reste-t-il à faire ? La présence de l’Etre se trouvant en toutes choses et chaque détermination supposant un « Fait », celui-ci est, en l’occurrence, un concept indéterminé qui ouvre la porte à toutes les formes de réalité avec les différences qui lui sont propres. Sachant que « La Morale » prescrit ce qui doit être absolument, c’est clair qu’un événement singulier est réfractaire à un critère de vérité universelle et, au regard de la science qui interprète les faits en fonction de lois spécifiques à mettre en évidence, « La Morale » ne s’y s’impose pas. De même, dans le cas d’un « Fait commun » ou expérience immédiate dans un lieu quelconque, la sagesse commande de faire comme on voit faire et de se fondre dans la couleur locale, respectant là aussi « Une Morale », l’ensemble de règles admises dans une société à un moment déterminée ; celle des coutumes et traditions du lieu.
Contre les faits il n’y a pas d’arguments.
Carlos Gravito