Débat du 6 mars 2011: « Est-ce que toutes les admirations se valent », animé par Daniel Ramirez.

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Posted on 7th mars 2011 by Carlos in Comptes-Rendus

Le 6 Mars 2011, une bonne partie des parisiens sont allés admirer, autour de la place de la Bastille, les participants au demi Marathon de Paris (21,1 Km) qui, dossard sur le dos et puce électronique sur la chaussure, allaient tourner autour de la colonne de Juillet, tandis qu’au Café des Phares, une foultitude de consommateurs s’apprêtait à assister au débat philo animé par Daniel Ramirez, dont le sujet choisi fut « Est-ce que toutes les admirations se valent ? »

S’agissant, dans l’admiration, d’un état d’âme ou de sentiments et pas de choses, comme ça, à brûle-pourpoint, le sens donné au mot m’interpella et j’ai fait un rapide calcul : si une admiration saisit beaucoup de monde, deux admirations saisissent beaucoup plus et trois, encore davantage. Tout ça, pour ne parler que de la quantité, sachant que lorsque l’on admire on ne compte pas ; c’est un lieu commun. Mais, si l’on se penche sur la qualité, alors là, je crains que nous soyons obligés de conclure que, l’admiration étant la mesure aussi bien de l’ignorance que du savoir, le lot de la bêtise ou de la grandeur de l’âme risque bien de se modifier aussi, car c’est par des jugements simples sortis de l’indépendance de l’esprit que l’on s’insère souvent, en dépit du bon sens, dans des mouvances de type « groupie » autour d’un mentor, jusqu’à ce qu’un jour il vienne vous dire « mon admiration est plus grande que la tienne », ce qui en définitive signifie qu’il n’en a pas bésef. Il s’agit d’une superbe semblable à celle des « habits neufs de l’empereur », qui ne colle qu’aux sots et aux imbéciles, une surexposition de l’éphémère, l’émerveillement du « fan art » et autres niaiseries, plus une adulation qu’une admiration, propre au « people idolâtre », force badges et autocollants. Une vie tumultueuse dans la quête de « qui est qui », parmi les athlètes ou les saltimbanques des médias et du petit écran, autour desquels s’organise la société du spectacle.

Va trouver une logique dans tout ça ! Faisant un détour par Kant, on a cherché dès lors à aplanir le doute, puis à établir entre l’œuvre et l’auteur (tableau ou musique) lequel se présentait comme admirable, concluant finalement à la probable nécessité de créer une échelle de valeurs de toutes les admirations devant lesquelles on devrait s’incliner que ce soit dans des musées ou face à un prodige. A contrario, si elles ne se valent point, il serait utile de définir contre qui ou quoi conviendrait-il de se redresser, l’admiration ne prouvant pas le caractère admirable des choses, à réévaluer ou reconsidérer éventuellement selon les sensibilités et surtout en démocratie où il n’y a pas de place pour l’admiration, vu son caractère dangereux, et même suspect, dès que l’on peut admirer un ennemi pour son courage, un voleur pour son culot, un escroc pour son aplomb, un assassin pour son toupet.

De « mirari », (s’étonner), l’admiration est finalement une attitude contemplative qui procure un sentiment de plaisir désintéressé à celui qui se laisse absorber dans la considération d’un objet donné, ce qui exclut d’emblée une quelconque idée de valeur et laisse plutôt supposer que toute autre personne est susceptible d’éprouver le même sentiment. C’est une agréable surprise de l’âme qui porte à examiner avec attention les oeuvres qui nous semblent rares ou extraordinaires, et nous avons déjà ressenti tous la sensation d’étonnement devant ce qui est ou semble nouveau, voire grand, ainsi que notre dédain ou mépris pour d’autres choses lorsqu’elles nous apparaissent mesquines ou méprisables.

 Il s’agit d’un état affectif stable mais assez sophistiqué, un mélange de stupéfaction et de bonheur devant ce qui nous apparaît comme beau ou merveilleux nous conduisant à nous sentir en secrète affinité avec ce qu’on admire et que l’on peut admirer d’autant plus longtemps que l’on ignore la vraie raison du ravissement. Ça ne se négocie pas.

A ce propos, il me revient une histoire racontée par le philosophe Christian Godin, ici même. « Prêt à conclure, l’acheteur d’une villa s’extasiait devant un grand lac attenant à sa future maison. ‘Que c’est beau !’, disait-il. Pensant ajouter une louche à cet argument, le vendeur s’exclama : ‘Et encore. Là, vous n’admirez que la surface !’ »

 Carlos Gravito