Débat du 13 Mars 2011: « La liberté peut-elle se prostituer? », animé par Gérard Tissier.

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Posted on 14th mars 2011 by Carlos in Comptes-Rendus

Parcourant la Presse de ce dimanche, 13 Mars, je n’ai pu avoir que des échos imprécis du malheur qui s’était abattu l’avant veille sur la côte pacifique du Japon. Et pourtant, indifférente à tout ce qui se passait dans le monde, la revue « Hot Vidéo » dédiait sa couverture à « La petite révolution d’une jeune fille, belle comme le diable, mais bien plus dangereuse », et c’est pensant à ça que j’ai pris note de notre sujet philosophique au Café des Phares : « Les prostituées peuvent-elles se libérer ? »… Oh, pardon, autant pour moi. Notre thème de réflexion était l’inverse ; il s’agissait de répondre à la question : « La Liberté peut-elle se prostituer ? », débat dirigé par Gérard Tissier, qui l’a choisie.

Il me semble que la Liberté est, en l’occurrence, le sujet grammatical de l’énoncé et par conséquent elle est l’auteur impuissant d’une action quelconque (se prostituer ou pas). Sauf à être balancé par son mac, une idée transcendante qui ne brille que lors de son absence, a-t-elle les moyens d’agir ? Du grec « Eleutheria » (le Bienfaiteur), surnom donné à Zeus lors de la victoire des Grecs sur les Perses, notre mot Liberté a diverses nuances, allant de la notion de Volonté (qui n’existe pas en grec) à l’autorité sur soi. Mais, préférant les gorges chaudes et le porno chic que l’on peut trouver sur facebook, l’analyse phrastique de l’animateur s’est laissée plutôt séduire par la lumière glauque des lupanars, 100% hard, et le monde interlope des proxénètes ou la soumission au chantage, c’est-à-dire à une loi qui n’en est pas une ; la règle est codifiée et dictée par les acteurs du milieux en collaboration avec la police. Fort heureusement, l’assemblée s’est départie de cet a priori car « être libre » est aussi la faculté de s’adonner à ses fantaisies, ce qui ne pose pas de problème philosophique, et, de ce point de vue, nous ne nous sommes pas censurés, notre liberté étant de pouvoir se prostituer, d’où les noms de rues de Paris telles celles du Poil-au-Cul (rue du Pélican), de Tire-Vit (rue Marie Stuart), de Trace-Putain (rue Beaubourg), ou Pute-y-Musse (rue du Petit-Musc). (cf. « Histoire de Paris », par Céline Excoffon).

Il a été donc dit, « qu’en raison du regrettable constat d’un bien commun, celui de la Liberté (et peut importe le contenu des constitutions) scandaleusement bousculé et compromis partout, on se trouve devant une contradiction majeure par rapport à elle, ce qui légitimerait la question, d’autant plus que la dite Liberté n’est pas une marchandise. Notre tâche serait donc de chercher à savoir ce que c’est ‘être libre’, travailler étant déjà une sorte de prostitution, si l’on exclut le caractère éphémère et paradoxal de celle-ci. Nous ne serions donc pas libres, mais pourrions le devenir, la Liberté, ainsi que son potentiel créatif, étant quelque chose à façonner, comme il fut observé encore, dans un processus de refus de l’aliénation, car il s’agit là de quelque chose qui ne se vend ni ne s’achète pas. Se sentir libre ne serait donc pas la liberté forcément, mais plutôt un véhément désir commun à tout le monde et pour Spinoza cela équivaudrait à un choix de sa propre nécessité. Quelqu’un ayant remarqué qu’au fur et à mesure que le débat avançait, la confusion augmentait aussi, nous nous sommes laissés finalement emballer par Rachel, la prostituée au grand cœur, celle de la nouvelle ‘Mademoiselle Fifi’, de Guy de Maupassant ».

  Toutefois, il est clair que la Liberté n’est pas une licence, ce à quoi ressemble le monde des Nations Unies, un lupanar à ciel ouvert, bien loin de la « Liberté chérie, ooohh !!! », chantée par les poètes qui ont peut-être une métrique bien différente de celle des philosophes, car, opposée à « servus » (esclave), une telle indépendance n’est pas quelque chose qui se négocie avec des salauds et autres malfrats aux couteaux à cran d’arrêt, dont le métier est de débaucher et prostituer sans autre gêne que les règles des hommes de main.

 La Liberté est donc la situation d’une personne singulière, indépendante, c’est-à-dire, délivrée de tout, fut-ce d’un déterminisme établi de façon absolue ou une obsession ressemblant à l’idée fixe de donner un sens intelligible à cette phrase qui nous a mobilisé. Elle n’est pas non plus un privilège ; c’est un acte de volition qui émane du Moi, et du Moi seulement, une réalité évanescente destinée à combler une contingence, le sens de la délivrance qui n’a d’autre moteur que le vouloir. « Ne me libérez pas, je m’en charge », s’est dit par trois fois Michel Vaujour, contredisant Sartre qui, envoûté peut-être par son propre esclavage, place « la liberté derrière les barreaux d’une prison » ou « l’occupation de son pays par l’étranger ».

Mais, on dirait que nous en savions plus sur la prostitution que sur la Liberté elle-même, ce que l’on crie et que l’on écrit pourtant sur les murs, lorsqu’il le faut. Alors, puisque l’occasion m’en est donnée, aujourd’hui, je veux écrire ici, ce petit hommage à une femme libre, d’une qualité rare. Il s’agit de Grisélidis Réal, travailleuse du sexe, peintre et femme de lettres que j’admire beaucoup, inhumée au cimetière des Rois, le « Panthéon genevois », à côté de Borges et Piaget, sachant que la Liberté est par nature bordélique.

 Carlos Gravito