Débat du 6 Novembre 2011 :  » A l’impossible nul n’est tenu ? », animé par Christian Cavaillé.

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Posted on 11th novembre 2011 by Carlos in Comptes-Rendus

 

À l’impossible nul n’est tenu ?

Je propose d’interroger la question et de la préciser en la reprenant et en la répercutant dans plusieurs questions.

1 – Est-ce que l’adage courant fait valoir un réalisme raisonnable ou bien est-ce qu’il favorise et justifie la résignation ?

On dit que personne n’est obligé de réaliser ce qui est au-dessus de ses forces.

Quelqu’un tombe à l’eau ; je ne suis pas un très bon nageur ; j’appelle les secours ; on ne peut m’accuser de non-assistance à personne en danger ; mais peut-être vais-je me reprocher de n’avoir pas tout tenté, de n’avoir pas pris autant de risques que j’en aurais pris pour un proche, de ne pas m’être préparé à affronter de telles situations. Ne dois-je pas me tenir pour moralement tenu de porter secours, de tenter ce qui semble impossible, de refuser de me résigner ?

Le baron de Münchhausen prétend s’être arraché d’un marécage dans lequel il s’était embourbé avec son cheval en s’enlevant par ses cheveux tressés en catogan et cela par la propre force de son bras, lui et son cheval serré fortement entre les genoux… C’est impossible et ridicule mais ne faut-il pas tenter essayer de se prendre en main pour s’arracher à la servitude ambiante ?

Faut-il éviter de « prendre ses désirs pour des réalités » ou bien se

réclamer du slogan de 68 : « Soyons réalistes, demandons l’impossible » ?

La question concerne-t-elle tout un chacun ? Y a-t-il seulement l’héroïsme spectaculaire des hommes exceptionnels ou aussi et d’abord l’héroïsme discret dont tout un chacun est capable ?

2 – La question initiale est-elle bien posée ou faut-il la reformuler ?

Faut-il en rester au registre juridique et moral ? L’impossibilité est une notion logique. La logique distingue les modalités, soit les manières diverses d’affirmer et de nier avec plus ou moins de force quelque chose : quelque chose est dit nécessaire ou possible ou contingent ou impossible.

Ces quatre modalités sont interdépendantes : le nécessaire est ce qui ne peut pas ne pas être ou ce qu’il est impossible de nier, l’impossible ce que l’on ne peut que nier, le possible est le non impossible, le contingent est le non nécessaire…

Cela reste formel et verbal ; pour aller vers le concret on peut faire correspondre à l’impossible ce qui est exclu, ce qui est interdit, ce qui est à la fois désirable et inaccessible ou bien fascinant et repoussant ; de toutes façons, il faut en venir aux nécessités, contingences, possibilités et impossibilités réelles. Mais de quoi le réel est-il fait ? Est-il constitué simplement de nécessités ? N’est-il pas constitué aussi de contingences (d’événements ou d’accidents qui auraient pu ne pas avoir lieu) et de possibilités, de choses non encore réalisées ou incomplètement réalisées ? Et ne faut-il pas inclure aussi dans le réel l’imaginaire, les désirs chimériques, puisque très réellement nous imaginons, nous avons des désirs chimériques ?

Faut-il opposer le réel et l’imaginaire ou bien aller jusqu’à dire que l’impossible est réel ? Est-ce que l’on ne risque pas d’être pris dans un tournoiement de vaines subtilités : nécessité de l’impossible, possibilité de l’impossible, réalité de l’irréel, etc. ?

Faut-il maintenir dans la question le terme d’impossibilité pour désigner ce qui est réellement irréalisable, inaccessible, intotalisable, intraitable ? Ou faut-il changer les termes de la question en considérant que le préfixe est négatif, qu’il faut parler plus positivement du réel et des réalisations, qu’il faut parler de l’irréalisable et de l’irréalisé plutôt que d’impossibilités ?

3 – Comment examiner de façon simple mais rigoureuse la question de l’impossible ou de ce qui est irréalisable ou très difficilement réalisable ?

Ici, les questions se multiplient.

3-1 – Comment parler positivement des réalisations et du réel en prenant en compte les possibilités extrêmes et mal connues ou méconnues et peut-on parler du réel « en soi » ou indépendant et pas seulement du réel « pour nous » ou tel qu’il nous apparaît ?

3-2 – Pour sortir du tourbillon des fausses subtilités, à quoi faut-il se référer ?

- Faut-il se référer à des expériences ordinaires et quotidiennes ? On s’exclame « pas possible ! » devant un événement inattendu et désespérant ou devant une rencontre inespérée et particulièrement heureuse. Pris par le travail et l’affairement quotidiens, il semble impossible de dégager beaucoup de temps pour autre chose, mais il aura suffi qu’un proche tombe malade et ait besoin de nous pour que l’on devienne capable de faire ce qui semblait très difficile.

- Faut-il se référer aux événements, aux actions et aux passions, aux déceptions et aux espoirs sociaux et politiques. On s’exclame « pas possible ! » devant la transformation rapide des apparatchiks du PCUS en affairistes et devant les soulèvements contre les dictatures au Maghreb et au Moyen-Orient. Dans l’espace-temps public se pose la question de la possibilité et de la difficulté de modifier l’emploi du temps en consacrant du temps à des activités citoyennes. On se pose aussi la question de la réalisation d’une démocratie réelle et radicale dans toute la société, bien au-delà des pratiques des mouvements politiques qui l’anticipent et l’ébauchent…

- Faut-il se référer à des problèmes et à des découvertes scientifiques, comme lorsque l’on se demande si l’on ne pourrait mesurer dans l’univers physique de vitesse supérieure à celle de la lumière ? Faut-il se référer semblablement à des inventions techniques, à des créations artistiques ?

- Faut-il se référer à l’expérience religieuse dans laquelle l’impossible est rapporté à Dieu (« Aux hommes, cela est impossible, mais à Dieu tout est possible » <Matthieu, 19.26>) ? L’interrogation initiale et la préoccupation de l’impossible seraient-elles implicitement religieuses ?

Tenter l’impossible, serait-ce tenter le diable ?

- Est-il possible de prendre en compte, unitairement, tous ces registres ou faut-il privilégier l’un d’entre eux ?

3-3 – Comment réalise-t-on aux deux sens du terme réaliser (reconnaître et accomplir) « toutes » les potentialités et « toutes » les capacités (« tout » ce dont on est capable) ? En s’engageant dans des démarches préalablement bien conçues ayant une forte probabilité de réussite, dont une bonne partie des conséquences peuvent être anticipées ?

En prenant le risque de s’engager dans des réalisations dont la réussite est incertaine car on ne peut distinguer qu’après coup ce qui reste absolument impossible (l’irréalisable) et ce qui ne l’était que relativement (l’irréalisé) ?

4 – Peut-on examiner ou ressaisir la question en allant directement à l’essentiel ou à ce qui importe sans multiplier excessivement les questions ?

Christian Cavaillé

6 novembre 2011