Débat du 4 décembre 2011: « A quoi reconnaît-on ses amis », animé par Gérard Tissier.

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Posted on 5th décembre 2011 by Carlos in Comptes-Rendus

Au lendemain de deux Marathons télévisuels, l’un dédié à l’exaltation du corps féminin en vue d’un titre de Miss France, l’autre à un Téléthon appelant à la solidarité dans la lutte contre la Myopathie, maladie qui affaiblit la masse neuromusculaire des enfants qui en pâtissent, le 4 décembre donc, au Café des Phares®, les sujets présents ont pu participer au débat « A quoi reconnaît-on ses amis ? », animé par Gérard Tissier.

« Ô mes amis, il n’y a pas d’amis », dirait Aristote utilisant une contradiction performative reprise par Montaigne, car en effet rien ne permet de confirmer ou infirmer la reconnaissance d’un ami, parce qu’il n’existe aucune recette propre à jauger son prochain de façon à justifier la confiance qui lui serait faite, l’amitié étant un parapluie qui peut très bien se retourner. Toutefois, l’évocation de ‘Facebook’ et ‘My Space’ a ouvert la discussion chez nous en tant que panacée quasi providentielle pour le commerce cosmopolite entre les Hommes et a répondu immédiatement à la nécessité mécanique de se faire des amis, alors que cela ne se fabrique pas ;  dès que je l’ai entendu donc, je me suis dit « c’est mal parti ». En effet, l’amitié, ça s’élabore, et ce que nous aimons en nos potes c’est le cas qu’ils font de nous, un moyen sûr pour les identifier. Comment ça se fait ? « Par le partage, la confidence », disaient les uns, « c’est la seule relation humaine » ajoutaient des autres, car « ça se construit dans le faire ensemble », même si « dans le B, ami de A, il faut voir qui est A », cet « ‘A’ auquel on accorde son assentiment nous fiant à ses jugements ». « C’est quoi un ami, pour moi ? », se demande-t-on. « Selon le Talmud, ce serait la relation à un maître qui mérite respect, un donnant-donnant ou réciprocité qui fait vibrer l’amitié », « une constance dans le temps », « l’assistance à un ami étant de l’ordre du devenir » puisque « retrouver un vieil ami est comme si on l’avait quitté la veille : acte gratuit, spontané », ou « abolition de la temporalité », le tout suivi d’une « digression dans les liens du sang aussi bien que de la solitude où se trouverait le ‘un’ », « l’amitié qui se fait à notre insu », et tout à l’avenant : « l’enfer c’est les autres », « le coup de foudre », « l’intégrité », « quelque chose de magique qui facilite la conversation » et « où l’on dit des choses pas répétées à tout le monde », « amitiés précieuses, au passage de deux à trois », « l’amour platonique », « l’‘intérêt’ qui, nécessitant un témoin, interdit l’amitié, rare et fragile car l’amour va et vient mais on a besoin de lui comme de l’eau fraîche ». Ensuite, vint la « question du processus : ‘à quoi reconnaît-on un ami’ ou l’on est reconnu par lui, en dépit du fait que l’on se ressemble déjà, et que l’on crée dès lors une relation durable » ; « quelle différence avec l’amour, la constance entre personnes singulières étant difficile à assurer, et la trahison signifiant un carnage, la guerre, c’est-à-dire, une libération collective », puis « les copains d’abord à la Brassens », « les faits d’armes », « la petite amie qui s’est éloignée ne laissant sur place que le malheur, en bref, l’essentiel » à quoi on a ajouté « les critères, les paramètres et la dimension spirituelle du sentiment, l’amitié se méritant et étant à la portée de tout le monde », ce qui serait « contredit par Pierre Drieu La Rochelle et autres écorchés vifs qui partagent leurs fragilités », suivis de la « différence entre singulier et pluriel, un ami, ou des amis de ‘Facebook’ (encore), le wagon étant différent de la locomotive (et de ses rails, tant que l’on y est), une identité plurielle et des points de vue qui ne sont pas de la philosophie au vrai sens du terme ; si pas de wagons et pas de paysage, il y a une énigme dans le débat collectif ». Nous avons encore eu droit à « l’amitié comme une pelure d’oignon où l’on se découvre soi-même et on grandit avec l’autre grâce à ‘Facebook’ (à nouveau), dans l’émotion et le partage », le tout terminant par la poésie de Gilles qui voit « dans l’amitié le sourire de l’autre », suivi de la question rapportée de Finkelkraut, à propos des café-philo : « Peut-on faire de la philo en commun ? » et de sa réponse : « On ne peut pas faire de la philo au café philo car pour philosopher en commun il faut être avec des amis ».

Voilà, voilà !

Essayant de convenir à la circonstance, j’ai tout essayé et, en désespoir de cause, me suis arrêté aux « Affinités électives », ouvrage au sein duquel, inspiré de la « Chimie du Temps » d’Etienne François Geoffroi, Goethe tente une approche de la passion amoureuse en tant que puissance naturelle. Cela consisterait dans une substance secrète chargée de signification mythique, c’est-à-dire, une loi conforme à l’ordre des choses à laquelle le poète de Weimar aurait adhéré, tout en la reniant, et qui produirait ses effets en conséquence de l’unité du cosmos dont les préceptes feraient sentir leur nécessité jusqu’au cœur des libres décisions rationnelles.

Résumons : Les meilleurs amis ne le resteront pas forcément, et « dans le conflit amitié/vérité, je donne la préférence à celle-ci » renchérit Jean Michel Carretero, suivant ainsi Aristote (‘Ethique à Nicomaque’) qui avouait, lui : « Amicus Plato, sed magis amica veritas » (Je suis l’ami de la vérité plutôt que de Platon), parce qu’il ne partageait pas les idées de son maître. En somme, appuyé à la schématisation des rapports empruntée par Roland Barthès à « Esther », la fameuse tragédie de Racine, c’est-à-dire, basé sur les relations entre Mardochée (A) et Esther (B), j’ose en déduire le paralogisme suivant : A aime B, alors que B aime C qui n’a, lui, personne à aimer.

« Les amis du présent

Ont le naturel du melon ;

Il faut en essayer cinquante

Pour rencontrer un de bon. »

Carlos