Le premier Avril fut, cette année de 2012, le jour de tous les anachronismes : Dimanche des rameaux, parce que, chevauchant un simple âne lors de sa rentrée à Jérusalem, le Christ fut reçu comme un roi, des branches de palmes jonchant le sol, et Dimanche des fous, c’est-à-dire, de ceux qui n’acceptent pas la réalité ou la voient autrement, en raison des farces, boutades, menteries et jeux frivoles auxquels le peuple se livre, le Poisson d’Avril en étant une des représentations emblématiques depuis 1564, date à laquelle Charles IX a décidé, par décret, de faire débuter l’année le premier Janvier au lieu de ce jour-là, que la tradition voulait accompagné de bombance et de ripailles. Quoiqu’il en soit, Irène Herpe-Litvin n’a pas hésité à faire de l’éphéméride ce dont elle était chargée, c’est-à-dire, diriger au Café des Phares® le sujet du jour, qui n’était rien d’autre que « Quel sens donner au silence ? », poiscaille dont fut aleviné donc l’étang des Phares.
Très vite, il est devenu clair qu’il ne s’agissait pas du silence des pêcheurs à la ligne, auquel cas il serait nécessaire de prendre un fil correspondant à la grosseur du poisson, un bouchon, des plombs et des hameçons. Non. Le silence à aiguiller devait s’entendre par le calme absolu, dont le paradigme pourrait être, par exemple, « Des pas sur la neige », de Debussy, composition où l’on trouve quelques durées muettes mêlées à ses mesures ou, mieux encore, un morceau de John Cage, intitulé « 4’33’’», une sonate composée de quatre minutes et trente trois secondes de silence, créée par le musicien en 1952, afin de démontrer que le temps constitue une continuelle mélodie et que seule l’absence de sons est intentionnelle, signifiante donc, plus qu’acoustique, les notes ou silences d’une séquence musicale ayant des temps réguliers et constants, exprimés par la notation à l’aide de symboles qui en représentent le moment temporel dans la partition.
Nous sommes ainsi contraints d’admettre que, brisant le silence, dans l’art d’organiser la durée des bruits et d’en combiner les sons pour qu’il y ait de la musique (un sens donc), s’introduit nécessairement un instant muet entre les signes qui les évoquent, et par conséquent pourrait-on peut-être conclure que c’est la néantisation qui permet la création. Dans la portée, ou découpage temporel d’une séquence musicale, entre une note et une autre (un do et un ré, par exemple), il y a effectivement un intervalle, mais pas rien, puisque même un silence musical n’est pas le vide, et plutôt un plein, explicitement marqué par le soupir, un signe de pause de différentes durées.
Ou alors, il n’était pas du tout question de musique et nous nous trouvions plutôt enveloppés dans ce dont nous voulions nous recouvrir, c’est-à-dire, des rideaux de fumée comme dans la scène de théâtre, séquence du film « Mulholland Drive », de David Lynch, où Rebekah del Rio chante « Llorando » et s’évanouit carrément sur scène dans le club « Silencio », alors que la chanson se poursuit. Le plaisir, en effet, ne dure qu’un instant. Or, au Café des Phares, ce sont presque deux heures chaque dimanche à s’échanger des propos plus ou moins pertinents, voire approximatifs. Ça paye, par conséquent.
En avant donc la musique, sans changer la partition, l’important étant plus de connaître la chanson que d’avoir l’oreille musicale.
Il a été alors dit que « le sujet justifiait le dicton ‘ la parole est d’argent, le silence est d’or’», et qu’il « fallait pouvoir parler pour être silencieux », un prof faisant état de « son admiration pour le silence de ses élèves, et ‘à contrario’ pour celui des gens devant la ‘shoah’ », « un silence facile, ajouta quelqu’un d’autre, face à celui d’un arbre qui bruit de ses feuilles », « les cas de conscience », « l’hommage du corps à l’esprit », « une énergie zéro lorsqu’il s’agit du silence face aux horreurs du Rwanda, par exemple », alors que « l’on peut l’utiliser pour faire mal ou pas », « être positif au cours de la campagne contre le bruit, et négatif lorsque l’on sème la mort », car « qui ne dit mot consent », « le silence ayant toutefois quelque chose d’autre, d’assourdissant, le ‘taire’ nous disant les mots qui n’arrivent pas, parce que secrètement contenus dans la parole, ou exprimés par la musique, ‘temporalité pure’ », « le silence violent dans les relations familiales », en même temps que « quête de liberté », « de responsabilité », « d’hommage dans ‘la minute de silence’ », « silence glacial devant la mort », « les techniques tibétaines pour faire le silence autour de soi », « le yoga », « le silence cosmique qui demande une oreille avertie pour remettre tout à sa juste valeur », un illusionniste étant aussi de la partie, pour « donner deux règles permettant d’arriver à ses fins : 1) garder le silence, 2) se taire lorsqu’il faut le rompre », et « il est à se demander si le silence existe vraiment », si ce n’est que « dans les Musées, comme ce fut le cas d’une femme qui, extasiée devant ‘l’Annonciation à Marie’, de Fra Angelico, a laissé tomber son bébé », puis on revint « à la burqa, qui empêche les femmes de parler », un autre ajoutant « si elles parlaient ce serait pire », « le mot recueillement n’ayant jamais été prononcé », comme il fut remarqué.
Gilles, notre poète, a fait entendre la musicalité de ses vers : « … nature, culture, attitudes s’opposant au bruit social, silence assourdissant, silence de mort : ‘silence, on tourne, moteur, action’ ».
- Dis donc, « quel sens peut-on donner au silence ? »
– Le sens des aiguilles d’une montre, par exemple.
– Bah !! Pourquoi faire ?
– Pour savoir à quelle heure on peut ouvrir sa gueule.
Carlos