Débat du 8 Avril 2012: « Réflexions autour de Kandinsky », animé par Claire-Lise Boutinon-Dumas.

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Posted on 9th avril 2012 by Carlos in Comptes-Rendus

Ah, le débat du Café des Phares® ! Il tombait le 8, jour de Pâques. Ah, le Jour de Pâques ! Il s’agit d’une date festive, qui conditionne pratiquement la vie civile de tout un chacun dans nos contrées, et pourtant, son calcul n’est pas aisé ; il faut remonter à la pleine lune de Mars, date de l’équinoxe de Printemps ou immédiatement après, selon les Almanachs, pour que l’on sache quand est-ce que les adultes ont droit à la bénédiction « urbi et orbi » et les enfants à celui de chercher des œufs dans les pelouses ou le creux des arbres. Il se trouve qu’au vu du Règlement du Bataillon des Phares, le 8 correspondait par ailleurs à la case verte, destinée aux Variétés, dont font partie les œuvres d’art, et de ce fait nous avons été embarqués dans des « Réflexions autour de Kandinsky », que Claire-Lise Boutinon-Dumas (conférencier, chargée de relations publiques auprès des comités d’entreprise, chef de projets et historienne de l’art), s’était proposée de susciter.

C’est ainsi qu’arrivant au Phares, nous nous sommes trouvés devant un drap plissé accroché de guingois devant l’écran TV du fond de la salle, sur les plis duquel l’animatrice a projeté une série de toiles du maître, objet de notre recherche de sens et même d’une certaine spiritualité.  

Il s’agissait de « Bleu sur Bleu », mais ça pouvait très bien être « Blanc sur Blanc », ou « Noir sur Noir », si notre intérêt portait sur Malevitch ou Rodchenko… Enfin, toutes les couleurs du spectre, de la peinture pure (non objective), comme il fut expérimenté par le suprématisme russe dès 1915, ou, pourquoi pas « Draps de traviole sur télé éteinte », « Poubelle débordante, un jour d’hiver », « Plaie de mendiant sur le trottoir », etc. ; « Osez, osez, Joséphine… ».

Etant donné que l’activité dominicale à laquelle nous nous dédions fait davantage appel à notre insatiable logomachie appliquée au malaxage des concepts, je m’attendais plutôt à quelque chose comme une spéculation sur la « Musica callada » de Saint Jean de la Croix, par exemple, mais enfin, allons y donc les yeux ouverts et glosons autour de l’œuvre du russe, qui devint enseignant dès 1923 au Bauhaus (Allemagne), école fermée par les nazis en 1933 parce que considérée comme un « Forum de fous et de Charlatans », et fonda l’art abstrait inspiré des titres de musique, dont la première œuvre, « Composition IV » (1911) était influencée par l’essai « Abstraktion und Einfühlung » d’un jeune historien de l’art, Wilhelm Worringer (1907), se faisant dès lors remarquer par ses motifs simples faits de tâches bleues organisées à l’aide de lignes noires (ligne, point, ligne et point), pratique que le groupe des « Blauer Reiter » (Jawlinsky, Kandinsky, Klee et Feininger)  poursuivit, s’arrogeant le droit de tout oser dans le domaine de la création artistique, considérée comme une puissance dont le but serait de « développer et améliorer l’âme humaine », d’après la maxime « tous les procédés sont sacrés, si intérieurement nécessaires, sinon, ce sont des pêchés ». Ces initiatives ont été suivies de la « Composition V », qui a provoqué un véritable scandale, ce qui aurait pu nous amener à nous demander « Qu’est-ce que l’art ? », « Qu’est-ce que le beau ? », mais, hélas, on ne l’a pas fait, la discussion qui eut lieu ensuite s’étant déroulée donc sous le contrôle de notre émérite communicante, et prenant la tournure que l’on trouve ci-dessous :

« Hegel : ‘la philo abstraite, jamais !’ », « Par rapport à la science, il faut évoquer le concept de ‘Kairos’ (le moment), ‘nombre d’or’, etc. », « Il fallait en sortir de la boucherie de la première guerre mondiale », « Il s’agissait de représenter quelque chose de différent », « Son livre ‘La Perspective’, exprime un temps particulier de l’art abstrait », « Il a compris, regardant ses tableaux à l’envers », « Ça ressemble au ‘Test de Rorschach’, utilisé en psychanalyse », « Il s’agit d’une représentation d’un monde intérieur », « Quel rapport avec Michel Ange et la beauté ? », « On est toujours dans l’art, l’art thérapeutique ou l’art abscons », « Je ne peux pas accéder à un tel Art, si l’on ne m’explique pas », « Il s’agit d’une autre manière de regarder »,

« Il ne faut pas se poser des questions sur l’intention du peintre, mais regarder tout simplement et se faire une opinion personnelle », « On est plus ou moins sensible au jaune, au rouge, etc. et à la beauté ; alors, qu’est-ce que l’art ? Abstrait ou figuratif », « Au café philo on s’explique ; l’art moderne n’est pas représentation, c’est une présence, présence du sacré sans se mettre à genoux ; il touche avant de se donner à comprendre », « L’Art abstrait est l’art de faire du fric ! », « Dans  l’art abstrait, le peintre est devenu lui-même son objet », « J’ai besoin de comprendre pour apprécier », « Il y a là un paradoxe. Pourquoi faut-il comprendre la beauté ? Faudrait-il me mettre en condition pour apprécier ? », « On est dans deux écoles différentes : suprématisme et interaction (présence de l’autre) ». Comment débroussailler l’art figuratif ; « L’art abstrait étant celui qui n’est pas figuratif, l’abstrait est du moderne, du XV/XVI siècles au XXème (art moderne), et le reste est de l’art contemporain ».

« Je préfère, ajouta quelqu’un, rester dans l’abstraction et pas dans l’extraction (l’absence) ; Art, Artiste, Artisan, Artificier, tout ça sont des représentations qui permettent d’ouvrir la fermeture au ‘perceveur’. Dans l’ouverture il y a présence de ce qui reste de l’artiste et c’est par là que l’on communique avec lui, à propos du monde imaginaire de celui qui perçoit, dans la veine de Parménide ; ‘ce qui est, est ; ce qui n’est pas, n’est pas’». « Avant 1789, fut-il ajouté, on était artiste ; depuis l’artiste contemporain est passé au ‘moi’, délaissant son côté universel », « Art et Philo, livrant le même combat, puisque chaque auteur devient Créateur, une posture existentielle ».

Puis, arriva la question pratique : « De quelle manière aborder une œuvre ? Je me fais une idée, ça me parle, ça s’adresse à moi, ça me donne des ouvertures, puis il y a sa musique, son esthétique, et ça induit une fulgurance; la façon d’aborder une œuvre n’est pas si éloignée de ça », en d’autres mots, « l’œuvre porte l’idée comme l’idée porte l’œuvre », de même que pour « les ‘rose-croix’, cercle ésotérique où il faut, soit être saisi, soit porter l’idée » ; « ou tout ça à la fois, plus une présence », puisque « le processus créateur de l’artiste, tel que l’entend Paul Klee,  ressemble à celui d’un démiurge, un ‘credo du créateur’, la genèse en tant que mouvement constituant l’essentiel de l’œuvre », car « nous cherchons tous la même chose ». C’est ainsi que, « procurant l’élément fondamental à mettre en avant, on a trouvé : 1) l’émotion qui nous secoue, devant le spectacle qui se déroule devant nos yeux, puis 2) elle nous invite à agir, mais perd son effet au profit de la photo-couleur, jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de peintre ». A ce moment, « la peinture abstraite nous a apporté un plus, car la couleur est un langage, comme dit Paolo Uccello ». Dans la crise de la représentation, nous sommes « revenus à la question de la présence, ‘parousia’ en théologie, un silence porteur de voix (ça nous parle), un vrai travail de ‘déconstatation’, ou la vérité de l’art porteur de voix », « une présence de l’œuvre, correspondance entre elle et moi, du fait d’en être saisi », et que « c’est poétiquement que l’Homme habite le monde, la vie étant elle-même une œuvre d’art ».

Là, il fut remarqué que « l’art a besoin de l’éducation de notre regard ; qu’il faut donc s’y confronter, afin de l’assimiler, avant de pouvoir juger d’une œuvre… car c’est le langage de l’artiste qui nous amène à la comprendre ».

Puis, Gilles mit fin à la mise en scène, clamant : « Et… toile, Kandinsky, sacré prince du présent… ; silence des voix, transcendance des voix ! », incantation qui, en guise de conclusion du débat, fut suivie de l’engagement à, sans s’attarder au tableau, faire vivre l’expérience esthétique, laissant tomber même les livres de philo.

    -Tiens, toi, qui te dis connaisseur en art. Dis-moi le nom d’un peintre Russe qui  commence       par K et finit par N…

    – Bah… Je ne vois pas.

    – Kandinsky, petit con !

 Carlos