Une fois terminée la saga des fraîches fleurs déposées dans les cimetières ainsi qu’éteint le feu des bougies placées également le premier du mois, pour prendre effet le deux, puis rangés tous les horripilants ou comiques déguisements et consommées toutes les friandises qui faisaient l’objet de la fête celtique Halloween, mettant en vedette les citrouilles découpées de manière à éclairer les alentours d’un grimaçant sourire, passant enfin aux choses sérieuses au Café des Phares®, le 4 Novembre 2012, sous l’œil des caméras d’une Télévision nord coréenne, a eu lieu le traditionnel débat dominical où fut posée la question « Philosopher est-ce penser par soi-même ? », que Michel Turrini était chargé d’animer.
L’interrogation paraissait oiseuse, à partir du moment où l’on admet que philosopher c’est « cogiter », « une activité psychique qui a pour but la connaissance » au bénéfice de la sagesse donc, et naturellement peu importe qui s’adonne à une telle activité : soi-même, si on l’affirme à la première personne du présent, ou autrui selon les cas, passant d’une idée à toute autre qui s’y oppose, au besoin. Autrement dit : « Philosopher est penser » (c’est sûr), la raison étant la faculté de connaître, juger et agir en vertu de l’aptitude de l’entendement à le faire, peu importe qui le fait. Point.
Verbe intransitif dont le sens porte donc sur l’application de son esprit aux éléments fournis par la connaissance, « Penser » n’exige par conséquent aucun complément d’objet et peut constituer avec le sujet une phrase minimale achevée : « Cogito » ! (Je pense). Basta. Descartes pensait… Il se trouve qu’il en déduisit la réalité de son existence, et pas l’absconse redite : « Je philosophe, donc je pense moi-même, ce qui prouve que j’existe ».
En effet, on pourrait éventuellement envisager que « Philosopher » soit quelque chose d’autre que « Penser » (personnellement ou pas), comme par exemple accepter les choses comme elles sont, c’est-à-dire, avec philosophie, ou chercher à savoir pourquoi elles sont là, plutôt que rien, quitte à la raison de le confirmer ou infirmer. Enfin, philosopher c’est connaître l’univers, un univers composé de deux mondes, le monde physique et le monde moral, et être éventuellement en désaccord à propos de tout avec ses congénères, afin de ne pas épuiser le plaisir de discuter, auquel on donne le nom de dialectique ou logique de l’apparence selon Kant, qui le nommait aussi de « diallèle », « cercle vicieux » pour les intimes.
Mais, étant là pour s’exprimer, les candidats à la manifestation de leur pensée signalaient leur envie de le faire, qui pour « prôner l’innovation » (qui n’était pas du goût de l’animateur), qui pour confesser « qu’il en a qui sont plus malins que les autres », qui encore pour « admettre le recours à des références tels que Heidegger, Kant, Aristote, Ricoeur, pour apprendre à dire ‘je’ » ou « pas d’accord » avec « l’académisme et la démagogie », voire à « n’être pas d’accord » ou à sympathiser plutôt avec les « pataphysiciens », « la musique étant elle aussi de la pensée », ainsi que « la haine de la philo », tandis que « philosopher ce n’est pas penser par soi-même, mais contre soi-même, parce que l’on est asservis par la famille, l’école, etc., et que les philosophes pensent pour soi-même et contre nous », alors que « personne ne peut m’empêcher de lire » ; « Philosopher ? Mon cul ! », « C’est un abîme ! ». Une fois qu’un autre intervenant ait fait « l’éloge de son téléphone mobil », « les termes philosophiques furent considérés difficiles à déchiffrer », et que « les philosophes se contredisent », une jeune fille « se plaignit de ne savoir que faire de toutes ces théories, ignorant ce que c’est ‘penser ce qu’on dit’ et ‘dire ce que l’on pense’ », une autre « qu’en ce moment il y a trop de questions à se poser », et dès lors, ajoute une troisième, « à quoi ça sert la pensée de Descartes si elle ne peut pas s’appliquer tout le temps ? » Il lui a été répondu que « philosopher c’est simple : c’est apprendre à voir ; on est à l’atelier de peinture. Chacun sa vérité ! », puis, l’un, « que la philo est une grosse salade », l’autre que « c’est une passoire », un autre encore « qu’il s’agit de trier ». Un coutumier du zinc voulut donner la parole à son petit enfant qui dit : « je veux apprendre à penser, mais pas à obéir », alors que l’intervenant suivant faisait référence comme étant « un grand ordinateur qui marche en dehors de nous », et un autre à la « culture qui n’est pas accessible à tout le monde et qu’il faut procéder à la ‘doxification’ des idées, car on n’est pas des ordinateurs »
Finalement, Gilles a eu raison de tout ça, déclamant : « Pensée, s’y frotter, approfondir ce que l’on dit… Experts, expertises, penser par soi-même… vivre sa pensée… chercher ce que tu es. » … et nous voilà dehors, où un participant au débat dit à son ami:
- Tu sais, il parait que « philosopher » c’est penser soi-même…
- Il faut pas trop tirer sur la ficelle.
- C’est ce que je pensais !
Carlos
Addenda
Au lieu d’un Ciné-Philo, Daniel Ramirez nous a invité ensuite à participer à un Théâtre-Philo, et une partie d’entre nous s’est dirigée vers la magnifique salle de spectacles du Ranelagh, afin d’y assister à la représentation de Macbeth, ou le drame du Pouvoir, tragédie bien connue de Shakespeare où il est question de l’assassinat de Duncan, roi d’Ecosse. En scène jusqu’au 11 Novembre, elle a été suivie d’un excellent débat sur le tenaillement du remords et autres questions annexes.
CG