Peut-on désirer sans dominer ? (Marie-Noëlle Douin)

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Posted on 26th mars 2018 by Gunter in Uncategorized

Depuis le choc de l’affaire Weinstein, un article est paru dans Philosophie magazine de février sous le même thème que nous développons ce soir. Eva Illouz dresse en sociologue un portrait de l’individu contemporain et de son rapport à la sexualité. Elle y constate une souffrance dans l’expérience amoureuse et face à cela, elle met en perspective une quête d’un nouvel érotisme. Pour elle, la sexualité serait un mystère à réinventer. Elle ajoute plus loin : « Reste à ne pas oublier que le sexe est autant un mystère qu’un problème ».

Elle attire notre attention sur la nouveauté d’une situation qui remet en question le pouvoir sexuel : « pour la première fois sans doute dans l’histoire de l’humanité, nous vivons dans des sociétés où la sexualité, qui avait toujours été encadrée par des règles morales et religieuses, s’est trouvée dérégulée. Dorénavant, tout est ouvert : le choix et le nombre de partenaires, les types de relations et de pratiques, tout, pourvu que ceux qui s’y adonnent y consentent. Mais cette libéralisation sans précédent de la sexualité s’est opérée alors même que les hommes conservaient, par ailleurs, l’essentiel de leurs pouvoirs dans la vie sociale. Voilà la source du problème, social avant d’être sexuel. Tout tient au pouvoir social des hommes. Tant qu’ils ne lâcheront pas, les femmes resteront sous leur emprise, y compris sexuelle. »

La question que je me pose est : comment peut-on réinventer quelque chose que je ne comprends pas puisque c’est un mystère ? D’ailleurs, est-ce vraiment un mystère ? Comment peut-on parler de « mystère » alors que la relation sexuelle physique y est disséquée en long et en large, sous toutes les formes et même filmée dans un documentaire pour expliquer scientifiquement ce qui se passe dans le cerveau lors de l’acmé au cours d’un rapport sexuel ? Pourquoi y-a-t-il donc souffrance dans l’expérience amoureuse puisque nous en connaissons la jouissance ?

D’après E.Illouz, « la libéralisation sans précédent de la sexualité s’est opérée alors même que les hommes conservaient, par ailleurs, l’essentiel de leurs pouvoirs dans la vie sociale ».

Derrière ce constat, se cache encore l’idée de dominer, c’est-à-dire d’exercer sa suprématie sur l’autre sexe. Il me semble que le nœud se trouve là. Pourquoi cette idée de « supériorité » sur l’autre est-elle toujours là ?

E.Illouz propose une « éthique de la sexualité » : « Je crois plus dans la possibilité d’inventer une nouvelle culture de la séduction, fondée sur le jeu, l’égalité dans la différence. Cela présuppose que les femmes puissent emprunter les rôles dévolus aux hommes, et inversement. Prendre pleine possession de nos identités multiples, ne pas rester figés sur des rôles rigides. Si une nouvelle éthique sexuelle doit voir le jour, il faut donc qu’elle articule l’égalité de principe, la pluralité des positions et la plasticité des configurations. Cela libèrerait les femmes et les hommes du rôle que le pouvoir joue dans le désir et la sexualité. »

« Sortir du cadre de pensée courant est difficile, car le conditionnement social pèse lourdement sur nous. La société nous influence profondément et façonne notre pensée ; elle agit toujours de l’extérieur tant que nous n’avons pas brisé l’emprise de ce conditionnement. La société étant faite par les individus et leurs actions réciproques, sa transformation ne peut avoir lieu qu’à la condition que chacun intérieurement brise les chaînes le maintenant prisonnier, comme certaines croyances religieuses ou encore l’emprise éducative. La liberté se gagne d’abord dans les têtes avant que d’être un projet collectif. A défaut, le risque est grand que la révolution soit détournée au profit de certains et donc ne pas être l’expression d’une aspiration générale. La révolte de l’intelligence se présente ainsi comme une volonté libératrice animant la personne au plus profond de son être. Reste maintenant à distinguer ce qui permet d’engager cette démarche personnelle. La sagesse peut-être ? Soit, mais une sagesse révolutionnaire qui libère. »  

Il s’agit là d’une conversion intérieure, d’une transformation intérieure. Pour moi, la sexualité future n’est pas un mystère à réinventer, mais plutôt une découverte intérieure extraordinaire en voie de réalisation.

Tout d’abord, je fais la distinction entre « instinct sexuel » qui ne sert que la reproduction et « force sexuelle » qui supplante l’instinct et qui a une fonction plus élevée. Mais on n’a pas compris le sens de celle-ci. La force sexuelle est une pulsion de vie qui permet à l’individu de s’affermir dans son propre genre. Cette force se scinde en 2 activités l’une « active », représentée par l’homme, l’autre « passive » représentée par la femme. En fait, c’est la notion de passivité qui a été complètement déformée (d’où la souffrance féminine). Les hommes y ont vu inertie, absence de mouvement, faiblesse, infériorité, inintelligence (d’où l’émergence réactionnelle du mouvement féministe). En se comparant à l’homme et pour être reconnue par lui, la femme a voulu devenir comme lui (d’où une uniformisation de genre, le masculin excluant le féminin, ouvrant la voie au transhumanisme). En réalité, ces 2 activités, chacune de force égale, asymétriques dans leur fonction ne sont pas opposables, mais complémentaires. C’est pourquoi elles s’attirent pour coopérer et établir un projet en commun au service de la VIE. Il importe de distinguer effectivité et affectivité. Les deux coexistent. « Les notions d’effectivité, de compétitivité, d’efficacité correspondraient aux valeurs portées par le monde masculin, tandis que l’ouverture, l’accueil, l’intériorité, la vie seraient des notions valorisées par le monde féminin ». (Marie de Hennezel). Il y a aussi une analogie intéressante pour illustrer cette différenciation : l’image de l’ampoule électrique : « L’ampoule électrique n’éclaire que parce qu’il y a du courant plus et moins. S’il n’y avait que du positif ou que du négatif, rien ne se passerait ». (André van Lysebeth). Il en va de même chez l’espèce humaine. Il se passe quelque chose entre le genre féminin et le genre masculin lorsque leur force respective – différente dans leur fonction mais de valeur égale dans leur activité – circule harmonieusement. Dans ce cas, la conscience s’éclaire. La force sexuelle n’est plus un mystère mais un processus de conscientisation, un processus de responsabilité éclairée.

Nous sommes en train de vivre une mutation extraordinaire. Mais de quelle mutation s’agit-il ? Proposons-nous un nouvel horizon en sortant du schéma de cette dialectique du maître et de l’esclave : l’esclave qui fait la révolution et qui devient maître à son tour en asservissant celui qui fût son maître ou bien désirons-nous une révolution de maître à maître, c’est-à-dire de sortir du pouvoir sur l’autre afin de permettre à l’autre de devenir ce qu’il est dans son unicité et dans son propre genre ? Ainsi s’exprime notre propre élan vital. Dominer, c’est assumer sa propre vie avec l’autre et non contre l’autre.

Ce que je retiens d’Alain Badiou et que je partage : « l’amour, c’est une relation à l’autre qui n’est pas une relation de possession ou de propriété. C’est un élan vers l’autre avec sa différence pour viser l’unité. Que les DEUX deviennent UN sans perdre leur singularité ».

VA VERS TOI-MEME, JE SUIS AVEC TOI : « S’il nous arrive d’aimer quelqu’un dans notre vie, nous découvrons que, s’il est impossible de faire le bien de l’autre à notre place, on peut tout de même être « avec » lui… »  (Jean-Yves Leloup)

« Combien d’entre nous se sont-ils éveillés à leur destin en passant de victimes de leur sort à l’état de disciples de leur destin ? Combien sont-ils devenus les serviteurs d’un destin qui les dépasse car il concerne l’humanité entière ? C’’est le sens de l’humanité que nous avons à transmettre à nos enfants. Nous pouvons leur dire que ce ne sont pas eux que nous sommes en train d’élever mais nos petits-enfants… Car nous sommes serviteurs du destin si nous servons une histoire qui dépasse notre naissance et notre mort… Etre serviteur du destin, c’est d’abord redécouvrir par le corps cette relation simple et naturelle de la marche… la marche du monde. Avec le temps, tout enseignement devient simple. Il ne s’agit pas d’offrir de grandes techniques, mais de transmettre ce qui est profondément ressenti, c’est-à-dire des choses très simples qui donnent un sens à chaque acte quotidien… Nous devons trouver les clés de ces grands passages afin qu’au terme de notre vie, arrivés au seuil de la dernière porte, nous puissions répondre à cette question : comment as-tu aimé ? » (« L’Effort et la Grâce », Yvan Amar, éd. Albin Michel, coll. Espaces libres).

Cet élan vital rejoint ce flux énergétique de vie qui nous traverse (donc extérieure) que nous utilisons en permanence pour notre propre réalisation (donc intérieure) en vue d’une construction (ou de destruction pour certains, hélas ! C’est le prix de la liberté de choix et de la responsabilité personnelle).  La VIE (Réalité ultime) engendre la vie générant la joie d’être et d’agir en interaction avec tout ce qui existe. A la question : Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? Je répondrais il y a la VIE qui EST tout simplement.  Elle était avant, pendant notre développement personnel ; elle continuera, sera avec ou sans nous. 

«QU’EST CE QUI FAIT QU’UNE SOCIETE EST JUSTE OU NON ? QU’UNE VIE A DU SENS OU N’EN A PAS ? C’est la présence de la dimension spirituelle. C’est cette expérience personnelle qui relie l’être humain à la source de vie lui donnant lumière, énergie et pensée juste. Une société qui l’ignore ne peut être qu’en perdition ». (Alain Chevillat)
La force sexuelle, connaissable et non mystérieuse, nous permet d’accéder au plan spirituel qui nous appartient.
Mais la VIE, quelle en est son origine ? Mystère. Personne ne peut y répondre.  Nous devons reconnaître avec humilité l’existence de sa Force qui s’exprime par des lois naturelles qui permettent à l’esprit humain de maintenir son existence.  Aussi, doit-il l’honorer, lui témoigner de la reconnaissance en devenant les porteurs et les passeurs de cette petite étincelle intérieure qui nous pulse vers l’avant et vers le haut en participant à l’unité du Tout existant.  La Création entière vibre dans deux dimensions : horizontale et verticale.  Nous sommes inscrits dans ce processus que nous devons respecter.

( Philo Ivry 16 mars 2018)

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