Débat du 3 Avril 2011: « Quel est le poids de l’impondérable? », animé par Gunter Gorhan.

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Posted on 4th avril 2011 by Carlos in Comptes-Rendus

Comme il faisait beau, le samedi 2 Avril, je suis allé m’asseoir au Jardin du Luxembourg, lisant le magazine « Chronic’art » où il était question du « renversement du monde », ce qui ne fut pas sans me rappeler Archimède proposant de soulever l’univers, si jamais on lui prêtait un levier. Puis, la vie étant le lieu le plus parfait pour les vraies expériences, jetant un œil sur le public, j’ai pu observer le désespoir d’un enfant dont le ballon avait échappé à ses mains pour s’élever dans l’air jusqu’à disparaître au-dessus des platanes de la Fontaine Médicis, tandis qu’un autre malheureux perdait le sien qui, emporté par le vent, s’immobilisa à la surface de l’eau du bassin octogonal, coincé entre deux petits voiliers contre la fontaine centrale. Le lendemain, 3 Avril donc, laissant mes souvenirs remonter à la surface, je me suis laissé entraîner au Café des Phares, à la recherche d’une signification pour tant d’interrogations, et le sujet du jour, animé par Gunter Gohran, était justement : « Quel est le poids de l’impondérable ? »

Eureka !!! De toute évidence, tout bien pondéré, la clé de l’affaire se trouvait dans l’exploitation du génie de notre illustre mathématicien qui, du levier à la baignoire a tout chamboulé allant de « Pi » jusqu’aux grains de sable. Mais là, la matière philosophique en jeu étant assez délicate, il valait mieux faire appel au Trébuchet, la balance la plus sensible et juste, laissant de côté les poulies, les roues dentées et les vis sans fin de l’inspiré géomètre.

C’est ainsi que nous en sommes venus à « la clé USB qui, chargée de données ou pas, représente toujours le même poids » (de la même façon que moi, après avoir lu « Les Luziades » n’étais pas ce matin plus lourd qu’hier), mais on a remédié au cafouillage remplaçant « poids » par « capacité » et établissant la « différence entre l’esprit et le corps », ainsi que « la voix et le chant », jusqu’à ce que l’on découvre que le roi était nu, ou mieux, qu’il « s’agissait en l’occurrence d’un oxymore », vu que « l’on ne peux pas peser ce qui est dépourvu de poids », que « le poids d’un même objet n’a pas la même lourdeur sur terre et sur la lune », « rien ne se perd rien ne se crée », « la légèreté de l’être est insoutenable » et « l’effet papillon » n’aura bientôt plus d’ailes à déployer. Même « l’impondérable du regard », « la liberté écornée », « le souffle du mourant », « un livre inédit », « l’enfer constitué par les autres » ou « les suicides chez Télécom », seraient autant d’improbables qui nous revenaient sur la tronche comme « des pétards mouillés », « l’impensable n’étant pas l’impondérable mais l’imprévisible », « la langue pensant à notre place en raison des conditions de causalité ».

Néanmoins, j’ai entendu aussi que, « livré au hasard, déraisonnable et excessif, l’impondérable a du poids, dès lors qu’agissant, bien que difficile à saisir. C’est une inconnue celant un vouloir qui s’oppose à notre volonté de toute puissance, et ce n’est qu’après coup que l’on peut le mesurer ».

Voilà une bonne raison pour considérer que l’impondérable est hasardeux, aléatoire, problématique et incertain. « Quel est le poids de ce qui n’a pas de poids » ressemblant à une de ces questions que l’on trouve d’habitude à l’intérieur des Apéricubes au différentes saveurs de « La Vache qui rit », afin de chercher une approche simple et cohérente pour expliquer le niveau élémentaire de la doctrine d’Archimède à propos du lourd et du léger, j’ai pensé que, pour une fois, au lieu de bavasser, il aurait été judicieux de nous prêter en toute candeur à une expérimentation simple (comme à l’école maternelle), aidés d’une bassine d’eau, quelques pots de yogourt, ainsi que de la pâte à modeler, du riz et d’une cannette de coca-cola. Mettant les pots à flotter dans le bac, on les remplirait de pâte, riz ou de boisson gazeuse, nous arrêtant juste avant le naufrage des petits pots pour procéder ensuite au pesage des produits utilisés. Résultat : point de surprise ; poids identique du ballast de chacun des récipients et de la quantité d’eau déplacée.

En ce qui concerne les ballons qui tant impressionnent les enfant et les adultes, c’est clair que le ballon de baudruche ou de foire, dans lequel on insuffle l’air de nos poumons, va rester au raz des pâquerettes, tandis que celui qui est gonflé à l’hélium se maintiendra en l’air, la mesure de la pesanteur étant la force de pression d’un corps vers le bas, en rapport avec sa masse.

Moralité : tout objet matériel ou intellectuel peut devenir un fardeau en somme, étant donné que « Poids » vient du latin « pondus », lourdeur, même si pour remplir l’heure on a divagué à la légère sur tout. Tout sauf le « poids » comme unité d’évaluation sensée tenir compte de ce qui ne produit aucun effet sur le raisonnable, ou alors, si l’on veut ergoter, sur l’importance (poids) d’une action qui n’est pas vraiment admise bien que déterminante ; quelque chose qui s’avère nulle si elle n’est pas de nature à désaxer l’instrument de mesure ou pas assez pertinente pour le déséquilibrer, nous cantonnant dès lors au rôle de l’inattendu qui est toujours là où on l’attend le moins.

 

Carlos Gravito

Débat du 27 Mars 2011: « Y a-t-il des faits moraux? », animé par Sylvie Petin

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Posted on 28th mars 2011 by Carlos in Comptes-Rendus

Sans rien effacer des misères qui assolent le monde, un épouvantable changement d’heure nous avait surpris au cours de la nuit, et nous n’étions pas très frais le 27 Mars, lors qu’au Café des Phares Sylvie Petin choisit d’animer le sujet dont il fallait faire cas : « Y a-t-il des faits moraux ? »

Le point ne dispensant pas de la connaissance des causes et des effets avant de pouvoir se prononcer sur la question, il s’agissait là de toute évidence d’un faux problème qui ouvrait surtout une fenêtre de tir idéale pour arroser les participants de cautions morales allant de Pascal, Rousseau et Husserl à Hans Jonas, un cocktail d’équivoque et d’univoque pas facile à déjouer, raison pour laquelle il fallait stoïquement y faire face comme d’autres de par le monde essayent de parer aux caprices que le destin leur réserve.

C’est ainsi que l’on a considéré « la Morale comme partenaire des Faits » qui ne seraient « pas que des simples actes mais quelque chose de plus ». Quoi ? C’est là que nous nous sommes rendu compte qu’« un fait est un fait », mais il était trop tard pour roquer. On a bien appelé à la rescousse « le serment d’Hippocrate », « les litiges en Tribunal », « la conduite du chauffard », « la grille des valeurs », « le révisionnisme », « l’interprétation », « la neutralité du fait », la rituelle « pose d’un acte » mais rien n’y faisait ;  la fuite en avant était la seule sortie honorable.

Ceci dit, nous avions le choix : soit on comprenait l’énoncé à partir de « La Morale », soit on l’envisageait sous l’angle d’« Une Morale », convenant dans les deux cas qu’un « Fait » n’est pas une vision de l’esprit ; c’est l’image nette d’une réalité effective constatée « hic et nunc » et dégagée de toute transcendance. « La Morale » se définit, elle, comme un ensemble de règles universellement et inconditionnellement valables, tandis qu’« Une Morale » se restreint aux principes et usages adoptés par une certaine communauté à telle ou telle époque.

Historiquement, il semble que c’est le tremblement de terre de Lisbonne, le 1 Novembre de 1755 qui, suivi d’un gigantesque raz de marée et d’un violent incendie, ravagea la capitale portugaise provoquant des milliers de victimes, le premier fait désastreux suffisamment funeste et bouleversant pour éveiller la conscience mondiale au point de susciter chez Voltaire et Rousseau une réflexion philosophique à propos du Mal et du Bien, sur terre, à l’Age des Lumières. Par la suite, Adorno et Hanna Arendt firent un rapprochement avec l’Holocauste, ce qui a définitivement transformé la culture et la philosophie, la sortant des concepts de sublime et d’innocence auparavant mis en valeur par Emmanuel Kant.

Quoiqu’il en soit, que nous reste-t-il à faire ? La présence de l’Etre se trouvant en toutes choses et chaque détermination supposant un « Fait », celui-ci est, en l’occurrence, un concept indéterminé qui ouvre la porte à toutes les formes de réalité avec les différences qui lui sont propres. Sachant que  « La Morale » prescrit ce qui doit être absolument, c’est clair qu’un événement singulier est réfractaire à un critère de vérité universelle et, au regard de la science qui interprète les faits en fonction de lois spécifiques à mettre en évidence, « La Morale » ne s’y s’impose pas. De même, dans le cas d’un « Fait commun » ou expérience immédiate dans un lieu quelconque, la sagesse commande de faire comme on voit faire et de se fondre dans la couleur locale, respectant là aussi « Une Morale », l’ensemble de règles admises dans une société à un moment déterminée ; celle des coutumes et traditions du lieu.

Contre les faits il n’y a pas d’arguments.

Carlos Gravito

Débat du 20 Mars 2011: « L’Europe existe-t-elle ? », animé par Ives Cusset.

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Posted on 21st mars 2011 by Carlos in Comptes-Rendus

Le vendredi 11 Mars un séisme, provoqué par le plissement de trois plaques tectoniques du Pacifique suivi d’un ravageur tsunami, dévastait au nord du Japon la ville de Sendai, puis emportait jusqu’à la mer, comme s’il s’agissait de simples brins de paille, un torrent de maisons, trains, bateaux et voitures, fracassant les réacteurs de la centrale nucléaire de Fukushima, dont l’explosion a contaminé les lieux déjà meurtris de substances radioactives, signe d’une catastrophe nucléaire majeure qui sema le deuil et la désolation dans le pays nippon tout entier, jusqu’à Tokyo. Si l’on y ajoute tous les massacres du peuple libyen perpétrés par son président Mohammar Khadafi, c’était le moment du repli sur soi ; de regarder notre nombril et de nous tâter, raison pour laquelle le sujet du dimanche suivant, 20 Mars au Café des Phares fut « L’Europe existe-t-elle ? », choisi et animé par Yves Cusset.

Une fois explicité l’avènement mythologique de l’Europe, une princesse phénicienne enlevée par Zeus qui l’amena en Crète déguisé en taureau, nous passâmes à nous interroger sur « l’Union Européenne », ses idéaux, sa diversité, sa mixité et sur la différence entre « être » ou « se sentir européen » ; étymologiquement, du moins, ça en jette : (Európê, de eurys=large, et ors=aspect). Puis, étant donné qu’au départ il y a de « l’amitié », ça promet, même si « inimitié » il y eut aussi, ce qui nous a donné l’opportunité de parler également de la Turquie (qui a un pied sur le vieux continent), et de certains quartiers de Paris, ainsi que des guerres livrées entre tous les pays membres et les respectives religions, pas uniquement chrétiennes. Question finances, on a évoqué encore l’Euro fort et l’Euro faible au sein d’un luxe d’institutions qui fonctionnent sur le mode de la gabegie, ce qui éveilla l’idée que tout système ne fait que progresser inéluctablement vers le plus grand désordre et l’incontournable question sur la destinée d’un tel espace de paix et démocratie, si chacun reste concentré sur sa propre histoire et divisé entre l’émotionnel et le volontaire.

Pour résumer le cheminement de ce colosse, qui, parti du Traité de Paris (1951), longea ceux de Rome (1958), Bruxelles (1965), Luxembourg (1987), Maastricht (1992), Amsterdam (1997), Nice (2001) et Lisbonne (2007), émaillés par des Référendums au résultat avalisé d’office, regardons un peu de plus près le phénomène, évitant de parler de l’Impôt de L’Union Européenne qui nous pend au nez.

La Commission de Bruxelles (qui se charge de tout, même de la courbure de la banane, de l’épaisseur de la cuisse du poulet ou des jeux de hasard), emploie plus de 23.000 fonctionnaires et croule sous un volume de paperasse qui force les responsables à interdire la production de textes de plus de 15 pages. De son côté, le Parlement Européen est une vraie tour de Babel qui occupe, au-delà des 736 députés, 6.000 salariés. Côté interprètes, il faut savoir qu’ils sont dirigés selon les méthodes du grand management et ce qui se passe dans toutes les cabines lors des séances plénières se résume à un festival d’interventions prononcées à la vitesse grand V qui, indépendamment de la qualité de la version donnée, s’avère techniquement éprouvant et politiquement douteux, étant entendu que chaque jour des milliers de mots sont interprétés en onze langues pour 27 états membres. Ayant seul l’anglais comme relais dans l’aller retour des traductions (disons adaptations), il est inévitable que l’on vérifie dès lors une fréquente incompréhension dans les rapports que l’on nomme « syndrome de Strasbourg ».

Qu’à cela ne tienne. Lu dans « L’Europe pour les Nuls » : « Deux paysans portugais étaient assis au bord d’une route, lorsqu’un touriste égaré arrêta sa voiture devant eux pour s’enquérir du meilleur chemin à suivre. Comme ils ne comprenaient pas un mot de sa langue, il demanda :

- Vous parlez français ?

Ils se regardèrent l’un l’autre, interloqués.

- Do you speek englisch ?

Même réaction.

- Sprechen Sie Deutsch ?

Ils ne comprenaient pas davantage ce qui fait que, furieux, l’automobiliste repartit en trombe.

Au bout d’un moment, un des paysans dit à l’autre :

- Finalement, on ferait bien d’apprendre une autre langue…

- Bof ! Il en connaît trois et ça ne lui sert à rien ! »

Carlos Gravito

Débat du 13 Mars 2011: « La liberté peut-elle se prostituer? », animé par Gérard Tissier.

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Posted on 14th mars 2011 by Carlos in Comptes-Rendus

Parcourant la Presse de ce dimanche, 13 Mars, je n’ai pu avoir que des échos imprécis du malheur qui s’était abattu l’avant veille sur la côte pacifique du Japon. Et pourtant, indifférente à tout ce qui se passait dans le monde, la revue « Hot Vidéo » dédiait sa couverture à « La petite révolution d’une jeune fille, belle comme le diable, mais bien plus dangereuse », et c’est pensant à ça que j’ai pris note de notre sujet philosophique au Café des Phares : « Les prostituées peuvent-elles se libérer ? »… Oh, pardon, autant pour moi. Notre thème de réflexion était l’inverse ; il s’agissait de répondre à la question : « La Liberté peut-elle se prostituer ? », débat dirigé par Gérard Tissier, qui l’a choisie.

Il me semble que la Liberté est, en l’occurrence, le sujet grammatical de l’énoncé et par conséquent elle est l’auteur impuissant d’une action quelconque (se prostituer ou pas). Sauf à être balancé par son mac, une idée transcendante qui ne brille que lors de son absence, a-t-elle les moyens d’agir ? Du grec « Eleutheria » (le Bienfaiteur), surnom donné à Zeus lors de la victoire des Grecs sur les Perses, notre mot Liberté a diverses nuances, allant de la notion de Volonté (qui n’existe pas en grec) à l’autorité sur soi. Mais, préférant les gorges chaudes et le porno chic que l’on peut trouver sur facebook, l’analyse phrastique de l’animateur s’est laissée plutôt séduire par la lumière glauque des lupanars, 100% hard, et le monde interlope des proxénètes ou la soumission au chantage, c’est-à-dire à une loi qui n’en est pas une ; la règle est codifiée et dictée par les acteurs du milieux en collaboration avec la police. Fort heureusement, l’assemblée s’est départie de cet a priori car « être libre » est aussi la faculté de s’adonner à ses fantaisies, ce qui ne pose pas de problème philosophique, et, de ce point de vue, nous ne nous sommes pas censurés, notre liberté étant de pouvoir se prostituer, d’où les noms de rues de Paris telles celles du Poil-au-Cul (rue du Pélican), de Tire-Vit (rue Marie Stuart), de Trace-Putain (rue Beaubourg), ou Pute-y-Musse (rue du Petit-Musc). (cf. « Histoire de Paris », par Céline Excoffon).

Il a été donc dit, « qu’en raison du regrettable constat d’un bien commun, celui de la Liberté (et peut importe le contenu des constitutions) scandaleusement bousculé et compromis partout, on se trouve devant une contradiction majeure par rapport à elle, ce qui légitimerait la question, d’autant plus que la dite Liberté n’est pas une marchandise. Notre tâche serait donc de chercher à savoir ce que c’est ‘être libre’, travailler étant déjà une sorte de prostitution, si l’on exclut le caractère éphémère et paradoxal de celle-ci. Nous ne serions donc pas libres, mais pourrions le devenir, la Liberté, ainsi que son potentiel créatif, étant quelque chose à façonner, comme il fut observé encore, dans un processus de refus de l’aliénation, car il s’agit là de quelque chose qui ne se vend ni ne s’achète pas. Se sentir libre ne serait donc pas la liberté forcément, mais plutôt un véhément désir commun à tout le monde et pour Spinoza cela équivaudrait à un choix de sa propre nécessité. Quelqu’un ayant remarqué qu’au fur et à mesure que le débat avançait, la confusion augmentait aussi, nous nous sommes laissés finalement emballer par Rachel, la prostituée au grand cœur, celle de la nouvelle ‘Mademoiselle Fifi’, de Guy de Maupassant ».

  Toutefois, il est clair que la Liberté n’est pas une licence, ce à quoi ressemble le monde des Nations Unies, un lupanar à ciel ouvert, bien loin de la « Liberté chérie, ooohh !!! », chantée par les poètes qui ont peut-être une métrique bien différente de celle des philosophes, car, opposée à « servus » (esclave), une telle indépendance n’est pas quelque chose qui se négocie avec des salauds et autres malfrats aux couteaux à cran d’arrêt, dont le métier est de débaucher et prostituer sans autre gêne que les règles des hommes de main.

 La Liberté est donc la situation d’une personne singulière, indépendante, c’est-à-dire, délivrée de tout, fut-ce d’un déterminisme établi de façon absolue ou une obsession ressemblant à l’idée fixe de donner un sens intelligible à cette phrase qui nous a mobilisé. Elle n’est pas non plus un privilège ; c’est un acte de volition qui émane du Moi, et du Moi seulement, une réalité évanescente destinée à combler une contingence, le sens de la délivrance qui n’a d’autre moteur que le vouloir. « Ne me libérez pas, je m’en charge », s’est dit par trois fois Michel Vaujour, contredisant Sartre qui, envoûté peut-être par son propre esclavage, place « la liberté derrière les barreaux d’une prison » ou « l’occupation de son pays par l’étranger ».

Mais, on dirait que nous en savions plus sur la prostitution que sur la Liberté elle-même, ce que l’on crie et que l’on écrit pourtant sur les murs, lorsqu’il le faut. Alors, puisque l’occasion m’en est donnée, aujourd’hui, je veux écrire ici, ce petit hommage à une femme libre, d’une qualité rare. Il s’agit de Grisélidis Réal, travailleuse du sexe, peintre et femme de lettres que j’admire beaucoup, inhumée au cimetière des Rois, le « Panthéon genevois », à côté de Borges et Piaget, sachant que la Liberté est par nature bordélique.

 Carlos Gravito

Débat du 6 mars 2011: « Est-ce que toutes les admirations se valent », animé par Daniel Ramirez.

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Posted on 7th mars 2011 by Carlos in Comptes-Rendus

Le 6 Mars 2011, une bonne partie des parisiens sont allés admirer, autour de la place de la Bastille, les participants au demi Marathon de Paris (21,1 Km) qui, dossard sur le dos et puce électronique sur la chaussure, allaient tourner autour de la colonne de Juillet, tandis qu’au Café des Phares, une foultitude de consommateurs s’apprêtait à assister au débat philo animé par Daniel Ramirez, dont le sujet choisi fut « Est-ce que toutes les admirations se valent ? »

S’agissant, dans l’admiration, d’un état d’âme ou de sentiments et pas de choses, comme ça, à brûle-pourpoint, le sens donné au mot m’interpella et j’ai fait un rapide calcul : si une admiration saisit beaucoup de monde, deux admirations saisissent beaucoup plus et trois, encore davantage. Tout ça, pour ne parler que de la quantité, sachant que lorsque l’on admire on ne compte pas ; c’est un lieu commun. Mais, si l’on se penche sur la qualité, alors là, je crains que nous soyons obligés de conclure que, l’admiration étant la mesure aussi bien de l’ignorance que du savoir, le lot de la bêtise ou de la grandeur de l’âme risque bien de se modifier aussi, car c’est par des jugements simples sortis de l’indépendance de l’esprit que l’on s’insère souvent, en dépit du bon sens, dans des mouvances de type « groupie » autour d’un mentor, jusqu’à ce qu’un jour il vienne vous dire « mon admiration est plus grande que la tienne », ce qui en définitive signifie qu’il n’en a pas bésef. Il s’agit d’une superbe semblable à celle des « habits neufs de l’empereur », qui ne colle qu’aux sots et aux imbéciles, une surexposition de l’éphémère, l’émerveillement du « fan art » et autres niaiseries, plus une adulation qu’une admiration, propre au « people idolâtre », force badges et autocollants. Une vie tumultueuse dans la quête de « qui est qui », parmi les athlètes ou les saltimbanques des médias et du petit écran, autour desquels s’organise la société du spectacle.

Va trouver une logique dans tout ça ! Faisant un détour par Kant, on a cherché dès lors à aplanir le doute, puis à établir entre l’œuvre et l’auteur (tableau ou musique) lequel se présentait comme admirable, concluant finalement à la probable nécessité de créer une échelle de valeurs de toutes les admirations devant lesquelles on devrait s’incliner que ce soit dans des musées ou face à un prodige. A contrario, si elles ne se valent point, il serait utile de définir contre qui ou quoi conviendrait-il de se redresser, l’admiration ne prouvant pas le caractère admirable des choses, à réévaluer ou reconsidérer éventuellement selon les sensibilités et surtout en démocratie où il n’y a pas de place pour l’admiration, vu son caractère dangereux, et même suspect, dès que l’on peut admirer un ennemi pour son courage, un voleur pour son culot, un escroc pour son aplomb, un assassin pour son toupet.

De « mirari », (s’étonner), l’admiration est finalement une attitude contemplative qui procure un sentiment de plaisir désintéressé à celui qui se laisse absorber dans la considération d’un objet donné, ce qui exclut d’emblée une quelconque idée de valeur et laisse plutôt supposer que toute autre personne est susceptible d’éprouver le même sentiment. C’est une agréable surprise de l’âme qui porte à examiner avec attention les oeuvres qui nous semblent rares ou extraordinaires, et nous avons déjà ressenti tous la sensation d’étonnement devant ce qui est ou semble nouveau, voire grand, ainsi que notre dédain ou mépris pour d’autres choses lorsqu’elles nous apparaissent mesquines ou méprisables.

 Il s’agit d’un état affectif stable mais assez sophistiqué, un mélange de stupéfaction et de bonheur devant ce qui nous apparaît comme beau ou merveilleux nous conduisant à nous sentir en secrète affinité avec ce qu’on admire et que l’on peut admirer d’autant plus longtemps que l’on ignore la vraie raison du ravissement. Ça ne se négocie pas.

A ce propos, il me revient une histoire racontée par le philosophe Christian Godin, ici même. « Prêt à conclure, l’acheteur d’une villa s’extasiait devant un grand lac attenant à sa future maison. ‘Que c’est beau !’, disait-il. Pensant ajouter une louche à cet argument, le vendeur s’exclama : ‘Et encore. Là, vous n’admirez que la surface !’ »

 Carlos Gravito

Le 27 février 2011: « L’ennemi est-il nécessaire? », animé par Sylvie Petin.

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Posted on 28th février 2011 by Carlos in Comptes-Rendus

Ça nous pendait au nez. La veille, contre toute attente, le XV de France s’était incliné à Twickenham dans le match l’opposant à l’Angleterre dont une vieille inimitié parait indispensable aux rapports entre les deux pays, tant est qu’elle perdure depuis plus de sept siècles. Le lendemain, 27 Février, on aurait pu s’attendre pour sujet de nos échanges  philosophiques au Café des Phares à quelque chose comme « A partir de quand est-il urgent de se taire ? », « Vaut-il mieux ignorer ou se tromper ? », « Faut-il patauger dans la merde ? », mais, parmi les sujets proposés, autres que ceux-là, c’est « L’ennemi est-il nécessaire ? » qui a eu la préférence de Sylvie Petin, l’animatrice du débat.

Ce n’est pas parce qu’une question est aberrante (sans ennemi la vie serait morose) qu’il faut conjecturer sur l’absurde, d’autant plus que de par l’étymologie, « ami »/« ennemi » sont déjà deux concepts antagonistes en conflit l’un envers l’autre, mais non nécessairement, et que, en général, l’ennemi est comme les mauvaises odeurs ; ça incommode, et nous n’avons pas toujours le cœur assez vaillant pour le supporter, même si un probable instinct de mort nous laisse admirer les ennemis publics que l’on place d’ordinaire en n°1, comme Mesrine en France et Raoul Moat au Royaume Uni, le n°2 étant Nick Simple, dit « Diamant ».

Numéro un ou deux, Pierre Desproges prétendait que « L’ennemi est bête ; il croit que c’est nous l’ennemi alors que c’est lui », et je suis conscient que beaucoup de gens, même des commis de l’Etat, jouissent devant les véhicules blindés, les fusils d’assaut, les tasers ou flashballs, offrant à l’occasion des primes aux agents qui les utilisent afin de développer leur imagination, vu « la nécessité d’avoir un ennemi » ; ne serait-ce qu’un tout petit ça peut faire l’affaire, du moment qu’il grince des dents, car ça met de l’ambiance dans le commissariat lorsque l’on s’y ennuie. Ce qui est extraordinaire est que, cette fois-ci, même les prêtresses de « l’amour à tous les étages » ont marché dans la diversion intellectuelle, d’après le principe « un ennemi n’est pas vraiment nécessaire mais on peut toujours boire un café avec lui », ce que ne ferait pas Guillaume d’Orange.

En revanche, que dire du frelon asiatique, qui s’attaque à nos abeilles ? Ça ne peut convenir qu’à ceux qui ne goûtent pas au miel, un plaisir trop délicat pour des mufles. Que dire de la menace nucléaire et de ces affreux jojos de talibans ? Juste nécessaires aux politiciens, toujours soucieux d’avoir en poche une réserve d’ennemis, car donner de la peur est la seule vertu des chefs. Avoir le trouillomètre à zéro est une condition exigée du peuple, de pair avec l’identité nationale. Il ne faut pas qu’il connaisse autre chose que l’effroi, un ennemi (ou un soupçon d’adversaire) étant dès lors indispensable pour qu’il se croie investi d’une héroïque mission, ce qui justifie en même temps la fonction première affichée par l’Etat, assurer la sécurité de tous en échange d’une obédience sans failles comme seule raison d’être des sujets, soient-ils « électeurs ». De ce point de vue, tel que le dit Guy Debord, l’« histoire du terrorisme est éducative », et affiche l’ennemi en continu.

A quoi assiste-t-on aujourd’hui dans les pays en ébullition, un régal pour les soi-disant Démocraties oublieuses du fait que, en guerre permanente contre le peuple traité comme le pire des ennemis, tous les Etats finissent par récolter l’insoumission ? On assiste à une leçon de morale : l’ennemi étant invisible et pas toujours là où l’on pense, il faut se battre sans trêve peu importe où et contre qui, jusqu’à ce que les événements le rendent visible. « Droits universels » et « ennemis légitimes », le discours est bien ficelé, mais son sens ne peut nous être donné que par l’Histoire. Sans aucune nécessité de le faire, chacun se fabrique l’ennemi qui lui convient, tout en oubliant la question du débat, car nous voulons surtout rester des Hommes.

« Braves gens, prenez garde aux choses que vous dites. Tout peut sortir d’un mot qu’en passant vous perdîtes [en le disant ou murmurant à l’oreille d’un ami, mais ce mot court, sort de l’ombre, marche, et rien ne l’arrête jusqu’à finir chez l’intéressé pour lui souffler] :

 ‘Me voilà ! Je sors de la bouche d’un tel’. Et c’est fait : vous avez un ennemi mortel ». (Victor Hugo, « Toute la Lyre »).

Carlos Gravito

Le 20 février 2011 : « En cas de nécessité, il n’y a pas de loi », animé par Gunter Gorhan.

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Posted on 21st février 2011 by Gunter in Comptes-Rendus

Face aux impétueuses émeutes, bourrasques ou soulèvements insurrectionnels des peuples en état de grâce, qui mettant en cause les pouvoirs établis ne cessent de secouer la côte sud de la Méditerranée depuis la révolution de jasmin de la fin de décembre passé et gagnant même la péninsule arabique, les autorités concernées ont successivement décrété des lois d’exception dérogeant momentanément à la loi constitutionnelle de ces Autocraties, suivies de lois martiales instituant par là un pouvoir judiciaire circonstanciel propre à suspendre toute liberté. Ce désinvolte commerce avec la règle impérative a inspiré quelqu’un, au Café des Phares, à proposer le 20 février le sujet suivant : « En cas de nécessité il n’y a plus de loi », que l’animateur, Gunter Gorhan a soumis à l’assemblée pour en débattre.

Pourtant, dès que motivé par « un cas de vol pour survenir à ses besoins », le caractère de notre « Nécessité » est du coup devenu « Indigence », ce qui n’appartient pas à la même catégorie de jugement et, notre débat s’avérant biaisé, je constate que nous nous sommes trouvés, sans nous en apercevoir, devant un paradoxe à deux termes. Un : « nécessité (indigence) défait la loi » ( « jugement de mode problématique » qui permettrait de se soustraire à la règle) au gré du vent qui attise le feu ou éteint la bougie ; deux : « nécessité fait loi » (« jugement de mode apodictique » suggérant que tout est réglé d’avance), selon le principe « en cas de panique, sauve qui peut ».

Etant donné que, par définition, la Nécessité se résume à ce qui ne peut pas être autrement et ne s’ouvre pas sur d’autres hypothèses, tandis que la Loi est « une règle ad hoc établie par l’autorité souveraine et sanctionnée par la force publique », il en ressort qu’une contrainte Contingente s’exerce donc sur l’Homme et, le bon sens étant « la chose au monde la mieux partagée », nos observations ne pouvaient pas diverger de beaucoup, à moins de ne pas prendre la même en considération. C’est ainsi que dans le sud on ferme les fenêtres en été à cause des mouches, tandis que dans le nord on les ouvre pour l’entrée d’un peu d’air frais ; s’il n’y avait pas des exceptions il n’y aurait pas de règle, c’est-à-dire, que nous adopterions tous une constante ligne de conduite en toute situation, la liberté étant de le faire, tout simplement, et la volonté serait dès lors plus un assentiment qu’un choix. Or, les cas ne sont pas tous identiques et de ce fait les pénibles entraves se révèlent en plus grand nombre que le laisser faire, le corset de la loi ayant pour but de ne pas permettre l’effondrement du droit sur lequel se fonde toute souveraineté et de loger en permanence un sentiment de culpabilité chez chaque être qui naît sans importance. 

Revenant donc à nos moutons, il était question, ce dimanche, de s’étendre plus précisément sur l’assertion « En cas de précarité il n’y a pas de loi », puisque le ton essentiel des prises de parole avait comme objet le soulagement des souffrances en faveur duquel, mis à part le préau réservé à « l’impératif catégorique », il y aurait une notoire carence. C’est ainsi que l’on a fait aussitôt une distinction entre « légitimité, validation, nécessité et autres vides juridiques », une porte restant entrouverte pour « toute désobéissance civique » et autres contingences « comme celle d’Antigone ou des Pythies, arbitres du destin des Humains».

Quoi qu’il en soit, on constate que la Loi recouvre tous les domaines de l’activité des Hommes, ne leur laissant aucune liberté ni leur prêtant aucune force ce qui, dans des circonstances graves, ouvre un large champs d’action demandant un effort de générosité de la part de chacun et suscitant une levée de bons sentiments chez tous les partageux, Robin des Bois, Zorro, Batman et autres objecteurs de conscience prêts à passer outre, afin de faire le déplorable constat de la faillite sociale, assorti d’un appel au législateur pour qu’il se ressaisisse.

Ce n’est pas toujours facile et c’est ainsi que chargé d’arrêter Mlle. Clairon à l’occasion d’une mutinerie théâtrale, l’officier de police d’Henri III se vit opposer de sa part, un : « Sa majesté peut tout sur mes biens et ma liberté, mais il ne peut rien sur mon honneur », auquel le chargé d’affaires répliqua : « Là où il n’y a rien, le roi perd effectivement ses droits ».

Carlos Gravito

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Rarement, j’ai eu tant l’impression de rencontrer un sujet dont j’avais l’impression d’avoir déjà fait le tour et je me souciais à son annonce de « perdre mon temps », de m’ennuyer un peu.  Lectrice attentive de l’Esprit des lois (Montesquieu), et de l’exode de Moise, j’avais l’impression que « tout » avait été dit sur le sujet. Mais une fois de plus je fais l’expérience café philo : «Tout » a beau d’être dit : nous avons besoin de l’entendre à nouveau. Et je rentre à la maison avec quelques pépites mais aussi avec quelques regrets que je veux  considérer pour leur donner un peu de durée dans l’espoir de susciter une prolongation d’un débat qui « mérite ».

L’exemple d’une femme réduite à voler pour nourrir son enfant a  introduit ce débat et  oppose d’emblée le «  droit naturel » à la loi positive.   Deux logiques s’y affrontent: celle du « besoin », la « nécessité », et celle de défendre la « possession ».  Le mouvement révolutionnaire  maghrébin frappe timidement à la porte, mais il y a quelque chose de l’ordre de la rétraction frileuse dans le mouvement groupale. Qui dit « possession » dit « pouvoir ». Le drame de la loi, c’est celui-ci: comment concilier notre « droit à la propriété » et notre « droit à la vie »? Antigone est convoquée. Classiquement, il est admis qu’elle brave la loi de la Cité au bénéfice d’une loi universelle. Je note le nom de Castoriadis qui aurait revisité le drame différemment.  Le vrai drame, ce serait le dialogue de sourd  entre Créon et Antigone, un rapport de force stérile dans lequel chacun reste buté. Plutôt que de voler, la mère citée en exemple d’introduction, avait-elle  pu formuler une demande?  L’élaboration de la loi « positive », de la loi « humaine », elle nécessite le conflit, la négociation. Nous vivons en démocratie. Et pourtant : les personnes en présence, ont-ils tous eu la perception de la distinction nécessaire  entre une loi figée, bureaucratique et  la charge vitale de cette « force » qui structure la vie en société ? Elle a été convoquée, abordée à plusieurs reprises, mais le groupe s’est enflammé très timidement. Suis-je la seule d’avoir été gênée par moment par la tiédeur du débat qui pourtant  traite des fondements de l’humanité ?  Ai-je besoin excessif d’agitation? Nous avons été très forts en théorie, ce dimanche. De très belles choses se sont dites.  Nous avons entendu par exemple une belle définition de la « nécessité » : quelque chose qui ne peut pas être autrement.  Nous citons le « maître à penser » Montesquieu : « Les lois, dans la signification la plus étendue, sont les rapports nécessaires qui dérivent de la nature, des choses ». Et une expression plus radicale encore : C’est la nécessité qui fait loi. Une loi ancrée dans la nature du vivant qui est « nécessiteux », en lien avec la loi propre, « l’autonomie » : est-il nécessaire de le rappeler ?  Lacan fait son entrée. Nous évoquons la loi séparatrice, symbolique.  Nous convoquons le désir. La nécessité, le besoin fait loi. Et le désir? Gunter évoquera mieux que moi la controverse Lacan/Kant, mais je retiens de son intervention l’idée du désir ancrée dans  la pulsion. Voilà que je mets enfin un mot sur la frustration légère avec laquelle je quitte le café philo.  J’aurais aimé  vivre ce mouvement groupale qui  permet d’ancrer la pulsion dans le désir. Vivant dans une société qui donne en principe place à l’expression de chacun, il me semble que nous avons, collectivement parlant, perdu le « contact » avec la force de la loi. Pour moi,  une fois de plus nous avons réfléchi sur l’articulation de l’individuel avec le collectif, et c’est cette jointure qui me semble difficile à penser. C’est comme si nous pouvions penser ni « je » ni « nous » sans culpabilité. C’est comme si on  devait se ranger d’un côté ou de l’autre. Comme si un rapport de force irréductible s’installait entre le besoin de « je » et le besoin de « nous ».  Comme si l’autonomie (loi propre) pouvait  mettre en danger permanent la sécurité, la stabilité de l’institué ou l’inverse : l’institué menace l’individu. Et pourtant : l’un flirte avec l’autre. Pourquoi  est-ce  si difficile de considérer nos besoins grégaires comme une simple nécessité?  

 Il m’a manqué la provocation, là, ce dimanche matin. Appuyer plus par exemple sur  l’évidence lacanienne.  La loi séparatrice ? J’y entends la loi du père, et j’ai envie de dire  « Non ». La loi n’appartient ni au père, ni à la mère. La loi émergeante du conflit, organisatrice, celle-ci, oui. N’est-ce pas le conflit qui structure le lien qui va s’établir entre les humains ? Et  devant la  multitude de liens possibles (nécessairement différents selon les protagonistes impliqués),  je m’étonne de moins en moins de la variation des codes législatifs possibles. Il manquait au lien « le contexte » pour tomber dans le vertige philosophique. Oui, Montesquieu a parlé de l’incidence du climat sur les codes comportementaux.  Furtivement, une interrogation effleure le débat : la démocratie, un code possible pour tous? Déclenché par la nécessité, la révolution à l’œuvre dans le berceau de notre civilisation, dans un climat propice à la « passion », vers quelle loi mènera-t-elle?  Espérons qu’elle amènera celle qui permettra de vivre « le mieux possible » aux habitants de leur jurisprudence. Un atout de cette révolution : rarement, le niveau d’éducation d’un peuple a été aussi élevé.  Aux prémices de la révolution du 18ième siècle, la lecture n’était pas encore acquise à la majorité du peuple française. Sauf erreur de ma part, elle l’est au Maghreb. Donc : nous pouvons espérer que l’histoire ne se répétera pas « bêtement ». J’ai besoin d’espérer,  c’est plus fort que moi ! Loi de la nature ?

Elke Mallem

Le 13 février 2011 au café des Phares, « Une idée peut-elle guérir ? », animé par Gérard Tissier.

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Posted on 13th février 2011 by Cremilde in Comptes-Rendus

Par curiosité, au cours de mon trajet dans le métro lorsque je me dirigeais le 13 Février vers la Bastille, j’ai entamé la lecture de « Plato Not Prosac » (Platon oui, Prosac non), l’oeuvre d’un fameux philosophe canadien, Lou Marinoff, qui se disant technicien des pratiques philosophiques dans le domaine de l’éthique, enseigne cette spécialité au City College de New York et explicite dans son ouvrage le « point de vue intérieur » de sa profession c’est-à-dire, la pratique de la « thérapie de l’esprit », une sorte de « philosophie-pop » qui se frotte à la psychologie et à la psychiatrie cliniques, proposant aux patients de réelles alternatives philosophiques, d’autant plus abusives que cette discipline ne s’occupe pas du bien être mental ou physique des gens et que la superbe effervescence socratique se révéla plutôt comme une entrave à la bonne santé publique. Il promet une sagesse éternelle à ceux qui opteraient pour la solution à travers Platon de leurs problèmes de tous les jours, là où Augustin conseille « crede ut intelligas », (crois si tu veux comprendre), et ils s’enferment finalement dans leurs idées fixes ou se trouvent collés à des Troubles Obsessionnels Compulsifs, pour finir en définitive à l’asile des aliénés.

Hélas, c’est comme si je m’étais trouvé au Café des Phares avant l’heure. En effet, à la manière de quelqu’un posté au chevet d’un moribond, l’animateur Gérard Tissier a choisi pour sujet de notre débat la doloriste question thérapeutique : « Une idée peut-elle guérir ? », d’où la compassion pour les idées au bec de perroquet qui effleura les esprits dans un premier temps, et par la suite l’éventualité d’une attitude thérapeutique que la philo accréditerait, enfin, une initiative psy indigne de gens qui exercent des responsabilités au sein de nos propres pratiques philosophiques.

Mais, on n’en a pas fait une maladie ; on a avalé l’hostie, bien qu’il nous restait à déterminer si l’on entendait l’idée en question comme une infection ou plutôt comme une panacée ; si on y allait à doses homéopathiques ou façon remède de cheval. Il y avait de quoi tourner en rond dans ce manège, ce que l’on a fait allègrement, passant de l’intérêt de laboratoires en Suisse à l’idée de pêché, d’antidote, virus, placebo, poudre de perlimpinpin, science fiction ou pourcentage de guérison assurée, ce qui a paru flatter l’ego de l’animateur qui s’exclama, avec autosatisfaction, « vous voyez que c’est beau comme sujet », ajoutant plus tard que « le projet d’existence n’a pas pour but le bonheur mais celui de guérir de quelque chose ».

Or, malgré le sophistique appel au « Normal et le Pathologique » de Georges Canguilhelm dont la doctrine porte sur le vivant, tout le monde sait qu’il n’y a « rien de plus dangereux qu’une idée, quand on n’en a qu’une » (et de toute évidence tel était le cas). Toutefois, alors que la force des idées est de s’appuyer les unes sur les autres, nous nous sommes appesantis sur une seule comme suffisante et dès lors, plus besoin pour les parisiens d’aller à Lourdes en quête d’une quelconque guérison. Même en phase avancée de la maladie, cent minutes devant un petit noir, ses petites gouttes et sa carte Vitale dans la poche, l’affaire est dans le sac, ne nous restant qu’à savoir s’il y a une idée efficace contre la bêtise. Certainement, puisque pour les grecs « eidos » équivaut à « voir » ce que l’on a quelque part, ce qui parfois met du temps à germer, empêchant le développement harmonieux du bouillon de culture dans des conditions adéquates ; même les longs discours n’y peuvent rien comme curatif, car ils semblent fixer une réalité qui périrait d’exister à moins d’être continuellement pansée, et dans ces cas on a toujours l’impression que les aiguilles de l’horloge traînent, tandis que les idées se meurent sans espoir de guérison ou perspective d’extraversion en faveur du malaise immanent qui sans cesse nous assaille.

Moralité, il vaut mieux prévenir que guérir, car les idées peuvent être trop farfelues dès qu’elles ne trouvent pas une raison de s’épanouir ou s’obstinent allègrement à « jouer au docteur ».

Carlos Gravito

Le 6 février 2011, « Je fais cas d’un philosophe dans la mesure où il est capable de fournir un exemple », animé par Daniel Ramirez.

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Posted on 31st janvier 2011 by Gunter in Comptes-Rendus

7 Février 2011. En Chine l’Année du Lapin venait de démarrer. Au Caire, sur la place Al Tahir des milliers de manifestants continuaient d’exiger le départ de leur Président. Et au Café des Phares, cherchant de la matière à réflexion, l’animateur Daniel Ramirez a choisi un tunnel verbal pour le faire : « Je fais cas d’un philosophe dans la mesure où il est capable de fournir un exemple ». Point ! Nous étions prévenus que le laïus était de Nietzsche, donc de bonne trempe, car il n’y a pas d’absurdité qui n’ait été soutenue par quelque philosophe, comme le répétait Cicéron. Pourtant, avant de débriefer la colle qui nous était donnée, je précise pour mémoire que Nietzsche est ce philosophe à grosses moustaches et sourcils de père fouettard, solitaire et sujet à des crises de démence, qui se morfondait dans la Riviera Italienne, suite au départ de son égérie Lou Andréas-Salomé. Néanmoins, il était d’un fécond autant qu’envoûtant lyrisme astucieusement mis à profit dans sa critique de la culture occidentale ainsi que de ses valeurs morales (assimilées à un bestial mécanisme), essayant néanmoins de réévaluer ces forces vitales les insérant dans un « éternel retour » qui tendrait vers le bonheur bovin du « surhomme » et l’inéluctable « mort de Dieu » dans un monde dépourvu de sens ultime, dès que l’on part du principe que « toute valeur créée, c’est moi », autrement dit, la fatalité de son être fait partie de la fatalité de Tout.

En définitif, pour revenir à « l’exemple » de notre sujet, ou bien Nietzsche s’est appuyé sur une bévue ou il voulait parler d’autre chose. Il s’avère que devant la nécessité d’échafauder une réponse sans savoir d’où sortait la question ni de quel modèle il s’agissait, un tel rébus à déchiffrer, nous a rappelé le type classique de ces débats balourds bâtis sur des malentendus où chacun peut vider son sac sans se soucier de Saussure, c’est-à-dire, que le signe soit signifiant, la première urgence étant en l’occurrence d’éclaircir ce que c’est qu’« un exemple » ! Ah, ça, par exemple, pour un exemple c’était un exemple. Mais un exemple ne fait pas d’habitude un philosophe ; un mathématicien, peut-être, et c’est là que nous sommes passés allègrement de la philosophie à la science et aux suffisantes flâneries des philistins de la connaissance exacte. Tant pis ; on en a vu d’autres.

Sans exemple qui facilitât la compréhension de la démonstration pour en tirer une conclusion, l’animateur y a soupçonné en conséquence un chemin entre la métaphysique et l’éthique, insistant donc pour que le débat ait lieu malgré tout et il ne nous restait plus qu’à deviner ce que le fameux aphoriste a voulu dire ; alors, faute de grives, pour régler l’affaire, on improvisa des exemples savants, agencés sur des doctes quiproquo. C’est ainsi qu’à un certain moment quelqu’un m’a confié que l’on se croirait au Salon des Verdurin (truffant d’exemples « La Recherche du Temps Perdu » où Charles officiait comme « Maître du Logos »), autant de références à l’œuvre de Nietzsche d’où il ressort que la vie est limitée par notre propre contention, et j’ai compris donc que c’est dans la liberté de pouvoir choisir sa fin que la vie prend toute sa valeur, l’« exemple » en question étant sans doute l’immolation et qu’oscillant entre présence et absence, le singulier penseur éternellement insatisfait fit mourir Dieu, ce qui le dispensait de l’idée de supprimer sa propre vie. A vrai dire, les exemples se recoupant les uns les autres, la seule chance de pouvoir sortir de soi, de se décentrer, de s’arracher à soi-même est de se mettre à l’écoute de son existence ; l’imagination ne cesse pas de nous tromper car le désir s’accroît avec la difficulté des rencontres. Au bout du compte, la mauvaise foi de Nietzsche met le philosophe dont il fait cas, au défi de devenir autre chose que lui, si l’on suit Sartre lorsqu’il affirme que « l’Homme n’est pas ce qu’il est et est ce qu’il n’est pas »

Carlos Gravito

Le 30 janvier 2011 : « Vivons-nous sous l’emprise des objets ? animé par Sylvie Pétin.

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Posted on 31st janvier 2011 by Cremilde in Comptes-Rendus

Le sphinx de Gizeh, dans la Basse-Egypte, a certainement tremblé d’effroi voyant voler en rase-mottes au-dessus de sa tête des terrifiants objets belliqueux, destinés à protéger Abou al-Hôl, (le père de la terreur) de ses administrés qui voulaient du pain. Alors ? « Vivons-nous sous l’emprise des objets ? » En tous cas, tel était le sujet de notre débat, animé par Sylvie Petin le 30 Janvier, au Café des Phares, ce qui en clair présupposait que les objets seraient dominateurs au point de nous donner la chair de poule et nous affligeraient même à coups d’yatagan, bien que toutes les choses, en tant qu’outils, nous facilitent la vie, ce vers quoi tendent notre volonté ainsi que notre action, nos désirs et efforts. Peut-être que ce serait précisément le fait de tenir à eux qui serait malsain car, au fond, il n’y a que pour faire un enfant qu’un désir suffit, alors que pour perpétuer l’espèce humaine on ne peut se passer des objets appropriés qui deviendraient usurpateurs. Une guillotine par-ci, un fil à couper le beurre par là, puis la TV dans la chambre à coucher, (sinon l’ordinateur familial) ; en bref, comme on fait son lit on se couche et des tas de trucs viennent nous défier dans la nuit, moment propice à l’apparition de monstres.

Dans la fébrilité de la démonstration on a déduit que l’objet ne s’use que si l’on s’en sert, du portable à la serpillière en passant par la branche d’arbre, d’où un nécessaire rapport à la vérité sans quoi la chose se rebifferait. Mais, soyons clairs. Il semblerait que « Chose » désigne n’importe quel objet de pensée dont le sujet est conscient. Grande ou petite, superflue ou indispensable,  la « chose en soi » a une existence indépendante, tandis que nous nous montrons comme nous sommes par rapport à elle : tributaires. Elle est sujet de tout ce que l’on y perçoit. L’« Objet » (« objicere »,  jeter devant), c’est-à-dire, tout ce que se tient en face de nous, soit-il une idée ou quelque phénomène réel, est susceptible d’une connaissance intellectuelle ou sensible que la perception n’épuise pas. De là à affirmer que, même s’ils ne sont pas à leur place, un marteau, un réveil matin, un vélo, un livre, l’objet d’un désir ou l’heure d’un train me dominent comme un simple tamagotchi, il y a un pas que je n’oserais pas franchir. En tout état de cause, le concept d’objet s’oppose toujours à celui de sujet et, pour être objectivement sous leur emprise (quelque chose qui pourrait me nuire plus que servir), il faudrait qu’ils se logent dans mon entendement de la même manière qu’ils sont dans mon agenda ou ma boîte à outils et pas comme je les conçois.

Les objets de nos sens nous narguent, certes, mais n’existent que pour nous, raison pour laquelle, « lorsque je rentre tard le soir, j’introduis discrètement la clé dans la serrure de ma porte, afin de ne pas déranger tous ces êtres de la nuit, comme l’écrit Kurt Tucholsky (ou Karl Kraus ?) dans une de ses nouvelles, le grincement du plancher, le lent entassement de la poussière sur le tapis, le bruissement de souris, blattes et cafards dans les placards ou le bond du chat qui s’installe sur la table ». 

Aussi, « si j’enlève mes bracelets, ôte le chouchou qui noue mes cheveux, détache mes pieds de leurs chaussures, pour résumer de mémoire Yannis Ritsos, je crois que je me volatiliserais et je ne le voudrais pas. C’est sans doute pour cela que je les porte, car à leur façon ils me retiennent » dans cette pérennité de l’ombre où toute chose vient se fondre pour se conformer à la loi du silence… lieu des grandes idées ou des provisoires oublis, de concert avec le trottinement des objets que nous croyons exister et n’existent pas, que nous croyons pouvoir emprunter alors que l’autre ne consent pas à le faire.

Il y a de ça. Un jour, j’ai demandé à mon voisin de me prêter sa corde à linge pour y étendre le mien. Il me dit :

- Je ne peux pas, j’ai de la farine à faire sécher.

- Mais, la farine ne tient pas sur un fil…

- D’accord. Mais, que veux-tu que l’on réponde lorsque l’on n’a pas envie de prêter un objet?

Carlos Gravito

Le 23 janvier 2011: « La révolution » animé par Gunter Gorhan.

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Posted on 17th janvier 2011 by Cremilde in Comptes-Rendus

« La Révolution »

 Depuis quelques jours, sur le devant des kiosques la couverture du n° 46 de « Philosophie Magazine » titrait, en bas d’un gars bâillonné par une couronne renversée qui lui descendait jusqu’au cou : « Le peuple a-t-il perdu le pouvoir ? » Ailleurs, en Tunisie, les trompettes jaunes du jasmin d’Hiver annonçaient les premiers frémissements de la nature qui y ont allumé le feu d’enfer déclenché par l’immolation dans les flammes de Mohamed Bouazizi à Sidi Bouzid et tout le monde s’en empara, pour que l’action ne devienne pas une illusion. C’est ainsi que le 23 Janvier, au Café des Phares, afin d’introduire un peu de doute dans les apparences, nous avons voulu en causer aussi et l’animateur, Gunter Gohran, a choisi pour le faire, « La Révolution », un sujet qui dépassait des autres proposés, « malgré le désenchantement pour cet idéal », comme il a été dit, en raison « des incertitudes qui y sont liées », et nonobstant « la réussite de Gandhi ou de la chute du mur de Berlin », auxquelles, « sans oublier 1789 » ou « les dérives à la Pol Pot », s’ajouteraient « Mai 68 » et la non négligeable « la libération de toxines », des faits singuliers « qui ne tombent pas du ciel ».

Quelqu’un a évoqué alors « les Hommes poétiques et les dialogues en ligne plutôt qu’en cercle » et on est revenu sur « Philosophie Magazine » et sa problématique. « Y aurait-il péril en la démocratie ? » s’y demande l’éditorialiste, annonçant qu’un « français sur deux en est convaincu, les élites ayant confisqué au Peuple les manettes du Pouvoir ». Et pour cause. Dans l’Espace Public, où le Législateur élu délibère en vue de l’Intérêt Général (le Politique), la sauvegarde de l’intégrité de chacun est toujours menacée par les Intérêts Privés (le non-Politique), compromettant sans cesse la Chose Commune, ce qui transforme la Démocratie en un vain rêve pour ne pas dire une absurde construction de marionnettes de papier format A4 « qui vont prédire la pluie ou bien le beau temps, grâce au petit clown qui me fait rire », comme chante Christophe, dans le registre chansonnette, puisque le Peuple se défait de sa voix pliée et repliée, avant de l’enfouir pour cinq ans dans une urne, lors du Sacre Electoral.

Plus sérieusement, Pierre Rosanvallon s’exprime à ce sujet dans « Les métamorphoses de la Légitimité démocratique », où il est question de la privatisation du pouvoir, arbitré par les groupes de pression financière au moyen d’objets constitutionnels mal identifiés qui s’y ajoutent, nommément un quatrième pouvoir (la police), puis un cinquième (sans tête ou statut organisé), autant d’agences de régulation à l’américaine, qui ne rentrent dans aucune catégorie du Pouvoir Trinitaire (Législatif, Exécutif, Judiciaire), l’arrogance libérale d’une main invisible tombant à point nommé au cœur du Bien Commun pour en faire bénéficier le Particulier au mépris de l’Intérêt Général, tradition de la mise en ordre de l’inconnu selon les instincts de l’ordre tribal, sans ébranler le modèle dé-mo-cra-tique, l’égalité imaginaire d’un lieu vide de sens où l’essentiel est de, en accord avec l’opinion publique, éviter la question de fond : « d’où vient la défiance du peuple vis-à-vis de l’Etat ?», l’Impartialité étant d’accepter tous les points de vue concevables, même les plus démagogiques, une pensée élargie qui n’a qu’à attendre les cracks boursiers pour feindre refréner les craques du capital. Bref : ce sont les rapports entre les Hommes qui sont à reprendre si ce n’est pas déjà trop tard.

Ainsi donc, La Révolution, conséquence de l’antagonisme des volontés dans l’espace politique, l’endroit où s’affrontent les passions exacerbées par les différences sociales dès qu’il est corrompu par les intérêts particuliers, est bien quelque chose de plus qu’une tâche ponctuelle. C’est une réalité constante et impérieuse, ou mieux, une vertu qui, une fois abandonnée, sonne, à terme, le glas de toute recherche de dignité.

 Carlos Gravito

Débat du 16 janvier 2011 : « La Nature nous délivre-t-elle un message éthique ? » animé par Sylvie PETIN.

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Posted on 12th janvier 2011 by Cremilde in Comptes-Rendus

Dans la foulée des bouleversements politiques, en Tunisie, et géologiques en Australie et au Brésil, le 16 Janvier l’ampleur des phénomènes discontinus constituant ces remue-ménage a atteint le Café des Phares où se sont produites, pendant cent minutes, de violentes secousses cérébrales provoquées par une désinvolte question « La nature nous délivre-t-elle un message éthique ? », devant laquelle l’animatrice Sylvie Pétin a crû bon de faire la génuflexion et d’annoncer qu’il y avait trois bénitiers (trois micros) à la disposition des fidèles.

A partir de là, même le pieux geste de saisir un de ces objets sacrés, qui légitiment la participation de l’assemblée au débat, devenait une longue prière, alors que la dubitative sentence ne rentrait dans le crâne de personne de censé, malgré le fait que l’on peut s’adonner partout aux exercices les plus psychédéliques, ce qui n’est pas un motif suffisant pour nous embarquer tous dans un voyage le long d’indéterminés délires hallucinogènes. Néanmoins, sous prétexte que « la nature peut être très cruelle », la sacristine a eu le réflexe d’appeler à sa rescousse Descartes, Newton, Spinoza, Rousseau, Kant, Heidegger et même Wittgenstein. Mauvaises pioches car, en toute circonstance, chacun doit avoir présent à l’esprit qu’un Café Philo n’est pas un lieu approprié aux pléthoriques développements oratoires, soient-ils destinés à rattraper une ânerie (pas une allégorie) consentie au début comme thème de réflexion, et je saisis l’occasion pour inviter à la retenue tous les participants à nos débats. J’estime effectivement que c’est insensé, sinon preuve de muflerie, le fait contreproductif de s’expliquer au-delà de, disons, environ une ou deux minutes. Je ne dis pas que ces laborieuses éjaculations soient stériles ; ça nuit tout simplement à l’intelligence de l’acte d’amour et par conséquence à notre tendre coït avec la sagesse, collectif et hebdomadaire, une continuité de nous-mêmes suscitée au départ par un chuchotement qui tient lieu de sucre dans le café des uns et des autres, même s’il y en a qui n’aiment ni les glucides ni la saccharose.

Mais, revenant prosaïquement à nos moutons, il paraît que l’ensemble des signes d’un message ne peut pas être déchiffré sans l’existence d’un code commun à l’émetteur et au récepteur, bien que dans notre cas chacun fait ce qui lui plaît. Sachant que la Nature la plus proche de nous, appelée à rédiger ce putain de message, traîne derrière elle un poids lourd composé de cinq continents, sept mers ou océans, deux cent quatre pays et huit cent neuf îles,  c’est une bouteille à la baille. Vraiment peu de chances pour que, plongé dans son univers disparate, notre Habitat nous fasse savoir ce qu’il comprend par éthique.

Etant entendu que les valeurs (éthiques ou pas) sont des projections de l’esprit humain afin de régler la vie en commun de tous les Hommes, et que la Nature ne fait que celer en elle un principe de croissance et développement, répétitif jusqu’à l’ennui, dont l’action s’organise entre deux lois contraires qui vont de la quiétude à l’effervescence, il est vain d’espérer un chimérique accord entre Elle et l’espèce Humaine. S’il est donc clair que la Terre (Lune comprise) nous ignore et n’a par conséquent une gnose de notre existence, comment pourrait-elle manifester des égards envers les Hommes, griffonnant sur les nuages des messages empathiques à leur adresse, éthiques de surcroît, à moins de connaître l’alphabet de toutes les démences de l’humain ? Tant de bienveillantes attentions nous permettraient alors d’espérer voir un jour le courant tropical, nommé « El niño », actionner son clignotant lorsqu’il veut se détourner de sa route habituelle dans la circulation atmosphérique, nous épargnant ainsi la noria de ses effroyables dévastations.

Carlos Gravito