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Le Contrescarpe – 57 rue Lacépède (5ème – métro Cardinal Lemoine).
L'actualité de la philosophie
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J’ai été déconnecté pendant une semaine, d’où mon silence obstiné…
C’est une très, très bonne idée de relire mon article « Le politique aux Phares » ; déjà à l’époque j’avais demandé à mes critiques de me signaler les passages injurieux, agressifs, etc. Aucune réponse.
Cette fois-ci, car les mêmes critiques reprennent, je propose une invitation à prendre un pot ensemble (nous pouvons être plusieurs) à tous ceux qui dénicheront ces passages….
En fait, il ne s’agissait pas du tout de cela mais d’autre chose : j’ai appris à l’époque – je n’avais participé à la création du site – que les animateurs ne devaient pas se critiquer entre eux.
Pour quelle raison ? Sont-ils d’une autre essence que les participants, quel serait l’inconvénient si la critique n’est pas personnelle mais porte sur des idées, des propos émis (y compris par l’animateur) ?
C’est une des raisons pour lesquelles nous avons crée un autre site (philo-paris.com). Les animateurs n’y occupent pas une place à part.
Nous nous critiquons entre nous (nous sommes quatre pour le moment à nous occuper du site), je ne suis pas toujours d’accord avec Carlos et je ne le suis pas non plus avec quelques formules excessives de Crémilde mises sur les deux sites ; mais qui peut être sûr de toujours passer sans difficultés du reflexe à la réflexion ?
Une autre raison de créer un deuxième site était de permettre à Carlos à continuer à écrire ses comptes-rendus, mais comme il retourne souvent dans son pays, ils ne sont pas systématiques. Nous accueillons toutes les bonnes volontés.
Une troisième raison : il n’y a aucun tri préalable, aucune censure autre que la loi française (pas d’apologie du racisme, du crime, pas de diffamation, etc.). Comment faire autrement ? Qui serait juge (neutre, objectif, savant), par exemple, de la pertinence philosophique d’une contribution ? Sommes-nous à l’école ou à l’Université ? Il ne faut pas confondre l’histoire de la philosophie, qui s’enseigne et qui est une expertise, et la philosophie vivante, en acte qui ne s’enseigne pas.
Une dernière raison : nous n’avons pas de ligne éditoriale ou rédactionnelle, c’est très informel, nous ne nous prenons pas tant au sérieux…
Autrement dit, les échanges sur notre site correspondent, à peu près, au « plan d’immanence » (G. Deleuze) ou exprimé par métaphore : nous sommes entrés dans une époque où ce n’est plus le verbe qui doit se faire chair (la vérité descend d’en haut, d’une autorité quelconque, qui peut-être un animateur, un webmaster, un modérateur du site, etc.) mais la chair doit se faire verbe, la vérité doit venir d’en bas (de toutes les contributions).
Il n’y aura que la lucidité, l’intelligence, l’honnêteté, la perspicacité, l’intuition éthique des internautes qui pourront faire le tri. C’est un pari : l’excessif, le vide, le tordu, le non-fondé, le non-pertinent, la décharge pulsionnelle, la crispation narcissique, la manip perverse, etc. s’élimineront d’eux-mêmes, sombreront grâce aux qualités nécessairement supposées des Internautes. Après tout, ce n’est que l’application des Lumières à Internet : chacun doit trier par lui-même – dans le cadre, bien sûr, de la loi française.
La méthode au café philo ! Qu’est-ce qui vaut mieux ? Une méthode fixée d’avance ou celle de Wittgenstein qui compare une question philosophique à la découverte d’une ville dont on ne possède pas le plan : on commence par errer et peu à peu des lignes de force se détachent, une structure émerge qu’il s’agit alors d’approfondir et de vérifier. La méthode en philosophie et en général, est un objet de prédilection de la philosophie. Tout le monde connaît le discours sur la méthode de Descartes ; nous trouvons en face, si on peut dire, Gadamer (père de l’herméneutique) qui a écrit « Vérité et (en réalité :ou) méthode, Feyerabend (très important philosophe des sciences, « Contre la méthode »), Barthes : « La stérilité menace tout travail qui ne cesse de proclamer sa volonté de méthode » et on pourrait continuer encore longtemps. L’essentiel est ailleurs : il y a deux façons légitimes de philosopher, l’une plutôt « scientifique » et l’autre plutôt « poétique ». Mais tout le monde veut avoir le beau rôle : les philosophes-« poètes » (la philosophie est avant tout une fête et une aventure) traitent les philosophes-« scientifiques » (rigoureux, précis, méthodiques, etc., la philosophie est avant tout un travail) ) de tâcherons et de laborieux et à l’inverse ces derniers traitent les philosophes plutôt d’artistes (la vérité n’est pas l’exactitude, elle est à faire, pas de méthode, même les associations sont bienvenues, ce qui est cherché ce sont des fulgurances plutôt que la construction collective, patiente, etc.) de saltimbanques, de fantaisistes, chaotiques, etc.
Les diagnostics plutôt pessimistes concernant « la philosophie dans la cité » (que j’ai pu lire sur les deux sites) ne sont guère justifiés. Des échanges philosophiques se développent partout (y compris dans les cafés en France et à l’étranger, mais aussi dans un grand nombre d’autres lieux), la réflexion théorique progresse : Un colloque dans le Sud-ouest sur les nouvelles pratiques philosophiques vient de se terminer, thème qui sera repris en novembre prochain lors des 11èmes rencontres à l’UNESCO.
Pour terminer, j’aurais, personnellement, depuis longtemps abandonné l’activité d’animateur d’échanges philo, s’il ne s’agissait que d’échanger des idées. Pour qu’un tel échange soit intéressant(pour moi !) il faut que je puisse écouter non pas les idées isolées du reste, à savoir des émotions, désirs, angoisses, gènes, expériences, « postures existentielles » singulières de chacun, bref, que je puisse entrer en contact avec tout un monde tout un univers ; les pensées coupées de leur sol existentiel me font en effet l’effet d’êtres faméliques, fantomatiques, blafardes, exsangues…
Compte-rendu du dimanche, 1er août 2010 : « Malgré notre ignorance, il faut juger ».
Georges, prophétique, avait posté son commentaire avant (!) ce compte-rendu, d’où le paradoxe apparent d’un compte-rendu qui commence par répondre à son premier commentateur.
C’est vrai, je prends position quand j’en ai une, sans trop, j’espère, censurer/étouffer celle des autres. Comme je n’ai jamais cru qu’il était possible de cacher sa propre position, d’être objectif, impartial, il me paraît le plus honnête d’adopter l’attitude consistant à exposer son propre « parti pris ».
Souvent, cependant, je ne sais pas moi-même, du moins au début de nos échanges, ma position, ou mon « jugement » pour reprendre le thème du dimanche dernier.
Dimanche dernier, je ne savais pas, jusqu’à la fin, comment je pourrais, je devrais répondre à la question posée : « Malgré notre ignorance, faut-il juger ? ». Et je la rumine depuis…
Voici quelques éléments, dans le désordre et dont la plupart a été évoqué hier matin, de mes ruminations post-« débat » :
- Peut-on ne pas juger ? Peut-on enregistrer la réalité à la façon de machines qui ne trient pas selon des valeurs forcément subjectives (appareils de photo, magnétophones, etc.) ? Pour le courant philosophique nommé « phénoménologie » c’est impossible, toute perception est soutenue par une intentionnalité (qui juge, d’une façon ou d’une autre). Freud dit la même chose de façon plus directe : » L’objet, avant d’être perçu, est investi [d’un désir, donc d’un jugement] ».
- Le fait de ne pas juger, ne revient-il pas à approuver la situation, l’état des choses tels qu’ils sont donnés dans leurs positivités respectives : « Qui ne dit mot, consent » (maxime du droit privé). Par exemple, celui qui ne vote pas, soutient (qu’il le veuille ou pas, qu’il le sache ou pas) le régime en place.
- En même temps, n’avons pas le droit de ne pas juger ? N’y-a-t-il pas une pression à laquelle il s’agit de résister (surtout en ville, contrairement à la campagne, a-t-il été soutenu) pour que nous nous prononcions, que nous ayons des opinions, des jugements sur tout ?
- Quel est le domaine qu’il faut laisser raisonnablement à l’expertise – je délègue mon jugement à plus compétent que moi, par exemple à un médecin – et quel est le domaine où tout un chacun (en démocratie, du moins) doit pouvoir juger lui-même pour prendre une décision adéquate ? Où commence l’expertocratie, le dépassement des compétences légitimement exclusives de l’expert ?
- Quelle est l’articulation juste entre « juger », « condamner », « décider », « choisir » et j’oublie certainement d’autres verbes du même champ sémantique ?
- Quelles sont les différences et les ressemblances entre deux types de jugement, celui prononcé par un tribunal et celui par le for (mot latin pour tribunal) intérieur ?
- Deux sensibilités se sont dégagées au fur et à mesure que le temps passait : pour juger, il faut pratiquement tout savoir, tout maîtriser, tout prévoir, il ne faut pas prendre de risque, ou plutôt le moins possible; en face : il faut juger même si on n’a pas » toutes les cartes en main », il faut prendre des risques, la vie est risquée, une aventure, etc. Heureusement, pour certains, malheureusement, pour d’autres, il n’y a pas de mode d’emploi (ou des recettes) concernant la vie…
- A un moment des échanges, renversement spectaculaire de perspective : Et si c’était le contraire, si pour pouvoir juger il faudrait être dans une certaine mesure ignorant ? Sous-entendu – le lien entre jugement et action n’a été qu’effleuré, mais c’est la nécessité d’agir qui donnait son poids existentiel au thème retenu : quelle dose de connaissance est présupposée, exigée pour que l’action soit juste/vraie ? – celui qui sait trop ne pourra plus juger et donc agir, la situation serait tellement complexe que la seule alternative serait une action totalement aveugle : Alexandre le Grand tranchant d’un seul geste le nœud gordien – le démêler aurait pris tant de temps que toute action serait devenue inutile…
- J’ai eu un trou à la fin de ma conclusion ; j’aurais voulu recommander le philosophe canadien Charles Taylor dont l’un des centres d’intérêt porte sur les valeurs qui déterminent nos jugements et nos actions. Chacun, selon Taylor, a sa propre hiérarchie de valeurs, bien au-delà du binarisme freudien : plaisir, déplaisir – telles que beauté, justice, courage, liberté, honnêteté, fidélité, vérité, constance, authenticité, sensibilité, etc., etc. Cette hiérarchie, en général inconsciente, exige d’être élucidé en cas de dilemme éthique où au moins deux de nos valeurs se contredisent.
- Finalement, peut-être l’ignorance la plus fondamentale ne concerne-t-elle pas les faits qu’il s’agit de juger mais celle qui porte sur notre hiérarchie des valeurs qui, pour Taylor, définit nos identités : « Dis-moi comment tu hiérarchise tes valeurs et je te dirai qui tu es. »
Nos échanges de réflexions aux Phares et ailleurs contribuent aussi à élucider nos subjectivités, nos identités – que l’on ne peut modifier, approfondir, élargir (c.-à.-d. nous amener à croître, autre mot pour vivre) que si on les connaît suffisamment….
Georges a raison, j’ai comme toujours trop parlé à mes propres yeux, mais sincèrement, un grand nombre de participants m’encourage pourtant dans cette voie. Il est vrai aussi que Marc parlait peu jusqu’ à la mi-temps où il prenait la parole assez longuement pour exposer son point de vue – si je me souviens bien.
Je ne crois pas, cependant, avoir orienté le débat cette fois-ci, j’étais moi-même désorienté et le je suis toujours en grand e partie concernant la question : « Malgré notre ignorance, faut-il juger ? ». Cette question a été formulée au départ par le « père du sujet » sous forme affirmative…
« C’est bon pour le moral » est le sujet choisi et animé par Gunter. Mon appétence n’allait pas forcément vers ce sujet. Mon penchant m’aurait plus poussé à vouloir explorer le sujet : « pourquoi les femmes sont belles ? » Mais je me plie à la règle et la réponse est peut être dans les échanges de ce dimanche.
Celle qui l’a proposé explique son choix en lien avec un autre suggéré, celui qui proposait de se poser la question : le superflu, est-il nécessaire ? Assez rapidement s’est introduite une motivation latente ; chercher objectivement ce qui est bon pour le moral pour ne plus avoir à se tracasser avec sa subjectivité. Et deux mouvements s’affrontent : les il faut et les flous…
Si j’ai finalement décidé de me prendre du temps pour donner un peu d’épaisseur, c’est-à-dire un peu de permanence à ce dimanche par l’écriture de ce compte-rendu, c’est parce que je voudrais m’attarder aux mouvements induits par la distribution de la parole.
La circularité entre le groupe et l’animateur n’est pas un secret pour personne. Selon la qualité de l’animateur (qualité bien entendu dans le sens de « façon d’être » et non dans le sens d’un jugement de valeur !), le problème est traité d’une manière ou d’une autre. L’émergence de la parole a besoin de facilitateur. Une pensée enfermée dans une tête d’homme est une pensée perdue pour l’humanité. La parole est sensée refléter une pensée. Mais bien souvent elle n’est qu’une ébauche de « quelque chose » qui cherche à s’exprimer. La parole est médiatrice du travail de l’homme à se mettre en rapport avec le Monde, et tout particulièrement avec le Monde des Hommes. Pensée, penser, panser….
Ce qui me reste de ce dimanche, c’est le soin que Gunter a mis à protéger la parole de chacun dans le débat. Il a redéfini l’objet du débat philosophique par la citation de je ne sais plus qui : « Je philosophe pour sauver ma peau et mon âme ».
La pensée de l’autre peut heurter mon activité de penser puisqu’elle ne s’intègre pas dans « mon système » de pensée. Cela me « bouleverse ». Un jeune homme le dit en fin de séance : « Cela me bouleverse d’entendre que tu parles d’une loi propre, puisque pour moi, j’aime obéir, c’est bon pour mon moral…. » Il parle du plaisir de la consigne.
Bien souvent, la réaction au bouleversement, c’est d’interdire la parole qui fait cet effet. Ainsi, la parole d’un participant qui évoque le problème de la pédophilie et, dans l’opposition apparemment difficile à concilier entre le moral et la morale provoque un discours dur : « Arrête de tout ramener à la pédophilie ».
Interdire un discours, c’est interdire de penser. Il y a des discours difficiles à entendre. La pédophilie heurte notre sens de l’esthétique, mais nous savons que cela existe. Se rappeler la morale morbide du pédophile n’est pas bon pour le moral de certains participants au café philosophique, mais il est bon pour le moral de savoir qu’il y a un lieu ou la règle de vie pendant deux heures est de se donner le devoir de tout entendre et d’avoir le droit de tout dire. Gunter a beaucoup pris la parole pour rappeler ce cadre, et je pense que, personnellement, il a bien fait.
J’ai vu dans ce débat s’affronter deux façons d’avoir le moral : d’un côté la recherche d’un certain confort dans la négation momentanée des vicissitudes de la vie (dans le sens « boire un petit coup c’est agréable… ») ou alors l’attitude, la posture du vivant à ne jamais se contenter avec le « définitif », à explorer ce qui pourrait advenir en cherchant à dépasser les limites personnelles ou imposées dans un processus de croissance qu’on appelle vivre. On a là, si j’ai bien suivi la proposition de Gunter, l’éternel dialogue féminin/masculin : se battre pour une noble cause, profiter de la pure joie d’exister. L’un n’empêche, heureusement, pas l’autre ! La meilleure façon de vivre, c’est de savoir intégrer les deux ! Il me semble…
Parfois, on a l’impression que ces échanges nous apportent tant de richesses, qu’on a envie qu’elles perdurent et qu’elles laissent des traces plus durables.
Qu’en est-il de ce dimanche ?
Elke Mallem
14 juillet 2010