Dans la foulée des bouleversements politiques, en Tunisie, et géologiques en Australie et au Brésil, le 16 Janvier l’ampleur des phénomènes discontinus constituant ces remue-ménage a atteint le Café des Phares où se sont produites, pendant cent minutes, de violentes secousses cérébrales provoquées par une désinvolte question « La nature nous délivre-t-elle un message éthique ? », devant laquelle l’animatrice Sylvie Pétin a crû bon de faire la génuflexion et d’annoncer qu’il y avait trois bénitiers (trois micros) à la disposition des fidèles.
A partir de là, même le pieux geste de saisir un de ces objets sacrés, qui légitiment la participation de l’assemblée au débat, devenait une longue prière, alors que la dubitative sentence ne rentrait dans le crâne de personne de censé, malgré le fait que l’on peut s’adonner partout aux exercices les plus psychédéliques, ce qui n’est pas un motif suffisant pour nous embarquer tous dans un voyage le long d’indéterminés délires hallucinogènes. Néanmoins, sous prétexte que « la nature peut être très cruelle », la sacristine a eu le réflexe d’appeler à sa rescousse Descartes, Newton, Spinoza, Rousseau, Kant, Heidegger et même Wittgenstein. Mauvaises pioches car, en toute circonstance, chacun doit avoir présent à l’esprit qu’un Café Philo n’est pas un lieu approprié aux pléthoriques développements oratoires, soient-ils destinés à rattraper une ânerie (pas une allégorie) consentie au début comme thème de réflexion, et je saisis l’occasion pour inviter à la retenue tous les participants à nos débats. J’estime effectivement que c’est insensé, sinon preuve de muflerie, le fait contreproductif de s’expliquer au-delà de, disons, environ une ou deux minutes. Je ne dis pas que ces laborieuses éjaculations soient stériles ; ça nuit tout simplement à l’intelligence de l’acte d’amour et par conséquence à notre tendre coït avec la sagesse, collectif et hebdomadaire, une continuité de nous-mêmes suscitée au départ par un chuchotement qui tient lieu de sucre dans le café des uns et des autres, même s’il y en a qui n’aiment ni les glucides ni la saccharose.
Mais, revenant prosaïquement à nos moutons, il paraît que l’ensemble des signes d’un message ne peut pas être déchiffré sans l’existence d’un code commun à l’émetteur et au récepteur, bien que dans notre cas chacun fait ce qui lui plaît. Sachant que la Nature la plus proche de nous, appelée à rédiger ce putain de message, traîne derrière elle un poids lourd composé de cinq continents, sept mers ou océans, deux cent quatre pays et huit cent neuf îles, c’est une bouteille à la baille. Vraiment peu de chances pour que, plongé dans son univers disparate, notre Habitat nous fasse savoir ce qu’il comprend par éthique.
Etant entendu que les valeurs (éthiques ou pas) sont des projections de l’esprit humain afin de régler la vie en commun de tous les Hommes, et que la Nature ne fait que celer en elle un principe de croissance et développement, répétitif jusqu’à l’ennui, dont l’action s’organise entre deux lois contraires qui vont de la quiétude à l’effervescence, il est vain d’espérer un chimérique accord entre Elle et l’espèce Humaine. S’il est donc clair que la Terre (Lune comprise) nous ignore et n’a par conséquent une gnose de notre existence, comment pourrait-elle manifester des égards envers les Hommes, griffonnant sur les nuages des messages empathiques à leur adresse, éthiques de surcroît, à moins de connaître l’alphabet de toutes les démences de l’humain ? Tant de bienveillantes attentions nous permettraient alors d’espérer voir un jour le courant tropical, nommé « El niño », actionner son clignotant lorsqu’il veut se détourner de sa route habituelle dans la circulation atmosphérique, nous épargnant ainsi la noria de ses effroyables dévastations.
Carlos Gravito