Le 23 janvier 2011: « La révolution » animé par Gunter Gorhan.

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Posted on 17th janvier 2011 by Cremilde in Comptes-Rendus

« La Révolution »

 Depuis quelques jours, sur le devant des kiosques la couverture du n° 46 de « Philosophie Magazine » titrait, en bas d’un gars bâillonné par une couronne renversée qui lui descendait jusqu’au cou : « Le peuple a-t-il perdu le pouvoir ? » Ailleurs, en Tunisie, les trompettes jaunes du jasmin d’Hiver annonçaient les premiers frémissements de la nature qui y ont allumé le feu d’enfer déclenché par l’immolation dans les flammes de Mohamed Bouazizi à Sidi Bouzid et tout le monde s’en empara, pour que l’action ne devienne pas une illusion. C’est ainsi que le 23 Janvier, au Café des Phares, afin d’introduire un peu de doute dans les apparences, nous avons voulu en causer aussi et l’animateur, Gunter Gohran, a choisi pour le faire, « La Révolution », un sujet qui dépassait des autres proposés, « malgré le désenchantement pour cet idéal », comme il a été dit, en raison « des incertitudes qui y sont liées », et nonobstant « la réussite de Gandhi ou de la chute du mur de Berlin », auxquelles, « sans oublier 1789 » ou « les dérives à la Pol Pot », s’ajouteraient « Mai 68 » et la non négligeable « la libération de toxines », des faits singuliers « qui ne tombent pas du ciel ».

Quelqu’un a évoqué alors « les Hommes poétiques et les dialogues en ligne plutôt qu’en cercle » et on est revenu sur « Philosophie Magazine » et sa problématique. « Y aurait-il péril en la démocratie ? » s’y demande l’éditorialiste, annonçant qu’un « français sur deux en est convaincu, les élites ayant confisqué au Peuple les manettes du Pouvoir ». Et pour cause. Dans l’Espace Public, où le Législateur élu délibère en vue de l’Intérêt Général (le Politique), la sauvegarde de l’intégrité de chacun est toujours menacée par les Intérêts Privés (le non-Politique), compromettant sans cesse la Chose Commune, ce qui transforme la Démocratie en un vain rêve pour ne pas dire une absurde construction de marionnettes de papier format A4 « qui vont prédire la pluie ou bien le beau temps, grâce au petit clown qui me fait rire », comme chante Christophe, dans le registre chansonnette, puisque le Peuple se défait de sa voix pliée et repliée, avant de l’enfouir pour cinq ans dans une urne, lors du Sacre Electoral.

Plus sérieusement, Pierre Rosanvallon s’exprime à ce sujet dans « Les métamorphoses de la Légitimité démocratique », où il est question de la privatisation du pouvoir, arbitré par les groupes de pression financière au moyen d’objets constitutionnels mal identifiés qui s’y ajoutent, nommément un quatrième pouvoir (la police), puis un cinquième (sans tête ou statut organisé), autant d’agences de régulation à l’américaine, qui ne rentrent dans aucune catégorie du Pouvoir Trinitaire (Législatif, Exécutif, Judiciaire), l’arrogance libérale d’une main invisible tombant à point nommé au cœur du Bien Commun pour en faire bénéficier le Particulier au mépris de l’Intérêt Général, tradition de la mise en ordre de l’inconnu selon les instincts de l’ordre tribal, sans ébranler le modèle dé-mo-cra-tique, l’égalité imaginaire d’un lieu vide de sens où l’essentiel est de, en accord avec l’opinion publique, éviter la question de fond : « d’où vient la défiance du peuple vis-à-vis de l’Etat ?», l’Impartialité étant d’accepter tous les points de vue concevables, même les plus démagogiques, une pensée élargie qui n’a qu’à attendre les cracks boursiers pour feindre refréner les craques du capital. Bref : ce sont les rapports entre les Hommes qui sont à reprendre si ce n’est pas déjà trop tard.

Ainsi donc, La Révolution, conséquence de l’antagonisme des volontés dans l’espace politique, l’endroit où s’affrontent les passions exacerbées par les différences sociales dès qu’il est corrompu par les intérêts particuliers, est bien quelque chose de plus qu’une tâche ponctuelle. C’est une réalité constante et impérieuse, ou mieux, une vertu qui, une fois abandonnée, sonne, à terme, le glas de toute recherche de dignité.

 Carlos Gravito