Débat du 9 janvier 2011 : « Celui qui aime l’Humanité n’aime pas les Hommes » animé par Gérard Tissier.

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Posted on 6th janvier 2011 by Cremilde in Comptes-Rendus

Janvier. Une fois éteinte l’étoile Spica, partis les Rois Mages et l’enfant de Marie venant d’être circoncis, quoi de 9 ? Le 9, il nous restaient des débris de la galette et qui dit galette dit fève. Et bien, au Café des Phares la légumineuse potagère était assez indigeste ; elle remonterait au XIXème siècle sous forme d’une impérieuse invective : « Celui qui aime l’Humanité n’aime pas les Hommes », indûment attribuée à Dostoïevski, mais l’animateur, Gérard Tissier, l’a prise sous son bonnet pour en faire le sujet de notre débat.

Ce n’était pas crédible, en raison de l’incohérence, l’humanité n’étant rien d’autre que l’ensemble des Hommes, des êtres humains qu’entre autres, il est vrai, le rire caractérise. Ainsi, les rois, qui n’étaient pas encore bien loin, se sont retournés sur la bosse de leur chameaux, puis, frappant avec l’index sur la tempe, ont poursuivi leur voyage rigolant et se disant qu’il devait s’agir d’une dispute oiseuse, basée sur la parricide lubie des « Frères Karamazov » portant à croire que le Divin se serait trompé sur la nature humaine, rendant du coup abominables les Hommes qui auraient la velléité d’aimer l’humanité, ainsi que la liberté, et jouiraient même d’un plus grand bonheur sans elle, alors que le russe insistait sur un espoir de rédemption pour eux.

Enfin. Dostoïevski ayant réellement avoué : « Plus j’aime l’humanité en général, moins j’aime les gens en particulier, comme individus », ce qui est bien différent de l’objet sur lequel nous nous sommes attardés, je suis porté à croire que le but de l’opération était de parler de la marotte de quelques-uns, l’AMOUR, fut-il maternel, tout le monde chantant qu’il en « a deux », et « avec lequel on ne badine pas », puisque l’on a évoqué d’entrée de jeu « le contact charnel par rapport à un lien abstrait » et même « la haine qui nous excite elle aussi, l’Homme n’étant qu’un prédateur parmi d’autres ».

Or, l’intéressant aurait été plutôt le décorticage, comme fait, idéal et idée, du concept d’Humanité (en opposition à celui d’animalité ainsi que d’inhumanité), dans ses dimensions biologiques, morales et métaphysiques allant du « sapiens-sapiens » jusqu’aux humains encore à venir, en conformité avec le plan pré déterminé de la nature et de l’espèce accomplie, voire parfaite, « non bis in idem » (pas deux fois la même chose).

Mais point du tout. Et nous voilà donc partis sur l’Amour. Lequel ? « Eros » ? La concupiscence ? Non. Celui-là est celui dont Socrate se disait être grand connaisseur. « Agapè » ? L’amour oblatif ? Non. Celui-là est celui du Christ pour son Père. « Philia » ?  Apprendre aux parvenus comment se tenir dans la vie » (Cioran), alors que « le souverain bien » est l’expression du désir de l’ensemble des humains, abstraction faite de toute appartenance religieuse, politique ou idéologique ? Va savoir, si l’on part du principe que « l’amour est déterminé par un certain choix » et que « l’Humanité est un risque » en acte pour les Hommes…

Et pourtant, il semblerait d’après des gens sensés que, comme il se passe avec un arbre tout simplement, l’avenir de l’Humanité repose sur l’intelligence collective qui s’accroît de façon exponentielle au profit du QI des individus. Or, le côté tragique du verdict en exergue attribué à Dostoïevski inverserait la problématique, négligeant une réflexion sur « les gens en général ou en particulier » au bénéfice d’une prosaïque question d’aaaamour qui a finalement transformé notre débat en un saugrenu remue-méninges.

Un arbre, pris pour juge dans la fable de La Fontaine « L’homme et la couleuvre », s’en sort avec la remarque suivante : « Si quelqu’un desserre les dents, c’est un sot, j’en conviens mais, que faut-il faire ? Parler de loin ou bien se taire. »

Carlos Gravito