Le 6 février 2011, « Je fais cas d’un philosophe dans la mesure où il est capable de fournir un exemple », animé par Daniel Ramirez.

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Posted on 31st janvier 2011 by Gunter in Comptes-Rendus

7 Février 2011. En Chine l’Année du Lapin venait de démarrer. Au Caire, sur la place Al Tahir des milliers de manifestants continuaient d’exiger le départ de leur Président. Et au Café des Phares, cherchant de la matière à réflexion, l’animateur Daniel Ramirez a choisi un tunnel verbal pour le faire : « Je fais cas d’un philosophe dans la mesure où il est capable de fournir un exemple ». Point ! Nous étions prévenus que le laïus était de Nietzsche, donc de bonne trempe, car il n’y a pas d’absurdité qui n’ait été soutenue par quelque philosophe, comme le répétait Cicéron. Pourtant, avant de débriefer la colle qui nous était donnée, je précise pour mémoire que Nietzsche est ce philosophe à grosses moustaches et sourcils de père fouettard, solitaire et sujet à des crises de démence, qui se morfondait dans la Riviera Italienne, suite au départ de son égérie Lou Andréas-Salomé. Néanmoins, il était d’un fécond autant qu’envoûtant lyrisme astucieusement mis à profit dans sa critique de la culture occidentale ainsi que de ses valeurs morales (assimilées à un bestial mécanisme), essayant néanmoins de réévaluer ces forces vitales les insérant dans un « éternel retour » qui tendrait vers le bonheur bovin du « surhomme » et l’inéluctable « mort de Dieu » dans un monde dépourvu de sens ultime, dès que l’on part du principe que « toute valeur créée, c’est moi », autrement dit, la fatalité de son être fait partie de la fatalité de Tout.

En définitif, pour revenir à « l’exemple » de notre sujet, ou bien Nietzsche s’est appuyé sur une bévue ou il voulait parler d’autre chose. Il s’avère que devant la nécessité d’échafauder une réponse sans savoir d’où sortait la question ni de quel modèle il s’agissait, un tel rébus à déchiffrer, nous a rappelé le type classique de ces débats balourds bâtis sur des malentendus où chacun peut vider son sac sans se soucier de Saussure, c’est-à-dire, que le signe soit signifiant, la première urgence étant en l’occurrence d’éclaircir ce que c’est qu’« un exemple » ! Ah, ça, par exemple, pour un exemple c’était un exemple. Mais un exemple ne fait pas d’habitude un philosophe ; un mathématicien, peut-être, et c’est là que nous sommes passés allègrement de la philosophie à la science et aux suffisantes flâneries des philistins de la connaissance exacte. Tant pis ; on en a vu d’autres.

Sans exemple qui facilitât la compréhension de la démonstration pour en tirer une conclusion, l’animateur y a soupçonné en conséquence un chemin entre la métaphysique et l’éthique, insistant donc pour que le débat ait lieu malgré tout et il ne nous restait plus qu’à deviner ce que le fameux aphoriste a voulu dire ; alors, faute de grives, pour régler l’affaire, on improvisa des exemples savants, agencés sur des doctes quiproquo. C’est ainsi qu’à un certain moment quelqu’un m’a confié que l’on se croirait au Salon des Verdurin (truffant d’exemples « La Recherche du Temps Perdu » où Charles officiait comme « Maître du Logos »), autant de références à l’œuvre de Nietzsche d’où il ressort que la vie est limitée par notre propre contention, et j’ai compris donc que c’est dans la liberté de pouvoir choisir sa fin que la vie prend toute sa valeur, l’« exemple » en question étant sans doute l’immolation et qu’oscillant entre présence et absence, le singulier penseur éternellement insatisfait fit mourir Dieu, ce qui le dispensait de l’idée de supprimer sa propre vie. A vrai dire, les exemples se recoupant les uns les autres, la seule chance de pouvoir sortir de soi, de se décentrer, de s’arracher à soi-même est de se mettre à l’écoute de son existence ; l’imagination ne cesse pas de nous tromper car le désir s’accroît avec la difficulté des rencontres. Au bout du compte, la mauvaise foi de Nietzsche met le philosophe dont il fait cas, au défi de devenir autre chose que lui, si l’on suit Sartre lorsqu’il affirme que « l’Homme n’est pas ce qu’il est et est ce qu’il n’est pas »

Carlos Gravito

Le 30 janvier 2011 : « Vivons-nous sous l’emprise des objets ? animé par Sylvie Pétin.

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Posted on 31st janvier 2011 by Cremilde in Comptes-Rendus

Le sphinx de Gizeh, dans la Basse-Egypte, a certainement tremblé d’effroi voyant voler en rase-mottes au-dessus de sa tête des terrifiants objets belliqueux, destinés à protéger Abou al-Hôl, (le père de la terreur) de ses administrés qui voulaient du pain. Alors ? « Vivons-nous sous l’emprise des objets ? » En tous cas, tel était le sujet de notre débat, animé par Sylvie Petin le 30 Janvier, au Café des Phares, ce qui en clair présupposait que les objets seraient dominateurs au point de nous donner la chair de poule et nous affligeraient même à coups d’yatagan, bien que toutes les choses, en tant qu’outils, nous facilitent la vie, ce vers quoi tendent notre volonté ainsi que notre action, nos désirs et efforts. Peut-être que ce serait précisément le fait de tenir à eux qui serait malsain car, au fond, il n’y a que pour faire un enfant qu’un désir suffit, alors que pour perpétuer l’espèce humaine on ne peut se passer des objets appropriés qui deviendraient usurpateurs. Une guillotine par-ci, un fil à couper le beurre par là, puis la TV dans la chambre à coucher, (sinon l’ordinateur familial) ; en bref, comme on fait son lit on se couche et des tas de trucs viennent nous défier dans la nuit, moment propice à l’apparition de monstres.

Dans la fébrilité de la démonstration on a déduit que l’objet ne s’use que si l’on s’en sert, du portable à la serpillière en passant par la branche d’arbre, d’où un nécessaire rapport à la vérité sans quoi la chose se rebifferait. Mais, soyons clairs. Il semblerait que « Chose » désigne n’importe quel objet de pensée dont le sujet est conscient. Grande ou petite, superflue ou indispensable,  la « chose en soi » a une existence indépendante, tandis que nous nous montrons comme nous sommes par rapport à elle : tributaires. Elle est sujet de tout ce que l’on y perçoit. L’« Objet » (« objicere »,  jeter devant), c’est-à-dire, tout ce que se tient en face de nous, soit-il une idée ou quelque phénomène réel, est susceptible d’une connaissance intellectuelle ou sensible que la perception n’épuise pas. De là à affirmer que, même s’ils ne sont pas à leur place, un marteau, un réveil matin, un vélo, un livre, l’objet d’un désir ou l’heure d’un train me dominent comme un simple tamagotchi, il y a un pas que je n’oserais pas franchir. En tout état de cause, le concept d’objet s’oppose toujours à celui de sujet et, pour être objectivement sous leur emprise (quelque chose qui pourrait me nuire plus que servir), il faudrait qu’ils se logent dans mon entendement de la même manière qu’ils sont dans mon agenda ou ma boîte à outils et pas comme je les conçois.

Les objets de nos sens nous narguent, certes, mais n’existent que pour nous, raison pour laquelle, « lorsque je rentre tard le soir, j’introduis discrètement la clé dans la serrure de ma porte, afin de ne pas déranger tous ces êtres de la nuit, comme l’écrit Kurt Tucholsky (ou Karl Kraus ?) dans une de ses nouvelles, le grincement du plancher, le lent entassement de la poussière sur le tapis, le bruissement de souris, blattes et cafards dans les placards ou le bond du chat qui s’installe sur la table ». 

Aussi, « si j’enlève mes bracelets, ôte le chouchou qui noue mes cheveux, détache mes pieds de leurs chaussures, pour résumer de mémoire Yannis Ritsos, je crois que je me volatiliserais et je ne le voudrais pas. C’est sans doute pour cela que je les porte, car à leur façon ils me retiennent » dans cette pérennité de l’ombre où toute chose vient se fondre pour se conformer à la loi du silence… lieu des grandes idées ou des provisoires oublis, de concert avec le trottinement des objets que nous croyons exister et n’existent pas, que nous croyons pouvoir emprunter alors que l’autre ne consent pas à le faire.

Il y a de ça. Un jour, j’ai demandé à mon voisin de me prêter sa corde à linge pour y étendre le mien. Il me dit :

- Je ne peux pas, j’ai de la farine à faire sécher.

- Mais, la farine ne tient pas sur un fil…

- D’accord. Mais, que veux-tu que l’on réponde lorsque l’on n’a pas envie de prêter un objet?

Carlos Gravito