Débat du 10 avril 2011 :  » Qu’est-ce que peut être la sagesse du citoyen, aujourd’hui, dans la cité ? », animé par Gérard Tissier.

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Posted on 11th avril 2011 by Carlos in Comptes-Rendus

Alors que l’essence même de l’Etre est de se reconstituer (et mon foie en sait quelque chose), ça faisait trois mois que les aficionados des débats philosophiques du Café des Phares attendaient le moment de s’attaquer à la redondance « Tout ce qui ne se régénère pas, dégénère », que le philosophe Edgar Morin s’apprêtait à décliner devant eux le 10 Avril, mais, en raison d’un empêchement de l’illustre invité, c’est « Qu’est-ce que peut être la sagesse du citoyen, aujourd’hui, dans la cité ? » qui leur a été finalement donné en pâture par l’animateur Gérard Tissier, à l’heure où les caissières de Carrefour se battent pour leur salaire.

Eh ben ! Faute de grives on mange des merles, « le but étant de bien vivre dans la cité (comme il a été dit), grâce au concours de l’idéal qui transcende le ‘citoyen’, épithète acquis en 1789 mais qui serait à redéfinir à l’époque d’Internet dont le rôle a été si déterminant dans les plus récentes rébellions ». Là, un coup de frein fut donné à la fougue initiale, « car, dès que rien ne va, nous passons vite de la sagesse à l’obéissance et des droits aux devoirs ». Puis, constatant que « la sagesse exige un préalable », ça repartit, jusqu’à ce que l’on s’aperçoive « que la conscience est une faculté tributaire du type de société (scandinave ou latine) » et que « ce modèle de citoyenneté était peut-être possible à Athènes (un petit village), mais s’avère plutôt difficile à mettre en œuvre dans un pays composé de 36.000 communes ». Sans oublier « le désastre Japonais », « nous gorgeant de mots, nous avons essayé de savoir si l’on est ‘consommateur’ ou ‘militant’ » et, « la question du ‘bonheur’ étant mise à l’ordre du jour dans la construction de l’avenir et du ‘vivre ensemble’», « on opposa ‘individu’, ‘citoyen’, et ‘exclu’ », finissant par estimer que « ‘la vertu’ proclamée par Robespierre », « la transmission du savoir, la démocratie participative, le ‘vote’, ainsi que la responsabilité, font partie d’un système qui commence à ‘claudiquer’», dénonçant au passage « le mélange de ‘l’existentiel’ et de ‘l’ontologique’ ». Bref, « les français auraient délaissé ‘La Démocratie en Amérique’ de Tocqueville (plus l’exemple de la constitution USA qui prône ‘la poursuite du bonheur’ »), pour « ramper dans le désordre », au point de « mettre 80 ans à implanter ‘La Démocratie en France’». Gardant néanmoins en tête « la problématique existentielle de Sartre, ‘Le deuxième sexe’ de Simone de Beauvoir et un inopérant ‘IVG’», le public a dénoncé « le droit aux ‘Droits’ sans travailler », pour s’interroger ensuite sur « la distinction entre ‘citoyen’ et ‘électeur’ », finissant par se poser la question « Où est-ce que l’on va ? », suivie de « Que faire ? » et « Où investir ses espoirs ? », en présence du « Choc des générations » face à la « Propagande électorale ». Fallait-il encore « s’en remettre aux experts », « aux Arcadies » et « faire le pèlerinage d’Ermenonville ? »

Avec la volonté de régénérer ce qui dégénère, les intervenants ont fait preuve de beaucoup de lucidité et de civisme durant tout le débat, certes. Le point néanmoins est que, malgré la rhétorique de Rousseau qui attribue les inégalités à l’avènement de l’agriculture et par conséquence de la propriété, il n’est question dans toute cette controverse ni de sagesse ni de propriété mais d’assujettissement. Comme la matière tend à la forme, la Société, œuvre de l’action de masses humaines, aspire à se constituer en Autorités Souveraines dont le Droit Public légitime le pouvoir. Par contre, bien que jaloux de leurs intérêts, les Hommes qui la composent, sujets du Droit Civil, ne sont pas d’ordinaire en mesure de se choisir un Etat ; si une option leur est laissée, c’est entre deux et si l’on perd l’un on tombe sous la coupe d’un autre qui ne s’encombrera pas de valeurs morales à la Platon, mais, par la ruse, la loi ou la force, selon les contingences de l’Histoire, comme le pensait Machiavel dès le XVIème siècle (Le Prince), il se fera l’organisateur de la contrainte, incompatible avec l’idée d’Homme. Sachant que la TV leur bourre le mou, la sagesse commande donc aux citoyens de déjouer l’équivocité du mot « Cité », aussi bien forme de vie communautaire que pouvoir coercitif. La crainte inspirée est le maître mot de tout Pouvoir, auquel le régime démocratique n’échappe pas. Celui-ci est une institution politique aussi légitime qu’une autre et, en tant que forme désincarnée de gouvernement, il aspire tout autant à la violence, au point d’obliger ses sujets à une coopération forcée qui subsiste justement en raison de la divergence de destinées, publique et privée, une crise de Pouvoir étant invariablement identifiée à une crise du civisme.

Faut pas rêver. « Ne vous demandez pas ce que la Nation peut faire pour vous, mais ce que vous pouvez faire pour la nation », avait apostrophé un jour John Kennedy ses concitoyens leur assenant son fait.

Carlos Gravito