Débat du 27 novembre 2011: « Peut-on choisir entre l’ordre et la justice? », animé par Daniel Ramirez.

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Posted on 28th novembre 2011 by Carlos in Comptes-Rendus

Traversant le Marché de la Bastille, dimanche 27 novembre, parce que c’était jour de sainte Cécile, j’ai failli rester près du jet d’eau à écouter un non voyant qui jouait du violon avec une telle sensibilité que tous les fruits et légumes, poissons fromages et viandes paraissaient se réjouir, toutefois, après avoir mis mon obole dans le chapeau de l’artiste, comme d’ordinaire, je me suis dirigé la tête en l’air vers le Café des Phares®, où Daniel Ramirez allait animer une discussion autour de l’embarras du jour : « Peut-on choisir entre l’ordre et la justice ? » , posé tel une de ces étendues desquelles on est sensé douter afin de conforter son sentiment d’exister.

Penchés sur le zinc, les habitués y posaient la petite musique de leurs habituels « Petits ‘Peut-on ?’ », tandis que d’autres les fredonnaient à partir des différentes tables réparties dans l’établissement.

C’est ainsi que, comme par hasard, c’est « Billy Budd, marin », le malheureux héros de la nouvelle d’Hermann Melville, la figure qui paraissait être à même de nous sortir du dilemme du jour, le colportant, à la manière d’un incontournable « must » ; un révolté, en somme, ce qui n’est pas vraiment notre cas. Pourtant, je venais fortuitement de croiser moi-même le matelot dans la « News Letter » du TGV le 4/11, puis dans l’émission « Répliques » d’Alain Finkielkraut le 5/11 « Penser le bien et le Mal avec la Littérature », ce qui laisse croire qu’en ce moment le bonhomme est servi à tout propos.

Et patatras. L’espace d’une heure nous avons eu droit à la devise des dictateurs sud-américains très enclins à : « l’ordre », à la « justice » et au « progrès ». Il a été rappelée « la raison d’Etat », « l’aide en matière de sécurité » à apporter à la Tunisie en ébullition, on s’empara du film « L’ordre moral » parce qu’il faut toujours faire cas des nouveautés qui passent dans les salles obscures, puis de la « grotte d’Ouvéa » en Nouvelle Calédonie où sont morts 19 kanaks et 4 gendarmes le 5 mai 1988, ainsi que de « la justice en tant que concept » ou « condition de l’ordre ». Il s’ensuivirent des divers et pertinents ajouts, dans le domaine de la « thermodynamique », de l’« Hall de gare », de la « Loi martiale », ou sur la « Lobotomie », les « travaux de Foucault » et de « Rawls », « les motifs qui nous mènent à agir étant finalement de la sphère de l’étique plutôt que de la morale »,

Du moment que « Peut-on choisir entre l’ordre et la justice ? » est une question suivie d’un discours qui n’élucide pas, forcément, les sentiments, et plutôt les émousse en raison d’une absence de contenu d’où résulte une pénible langue de bois, il n’est pas aisé de manifester sa préférence entre les différentes catégories du jugement : « l’ordre » ou « la justice ».

Il y aurait là donc, à distinguer d’abord entre légitimité et légalité. La justice requiert pour le moins une conformité au droit naturel et un sentiment d’équité ou impartiale application des règles dans une institution de fait, ce qui est légal n’étant pas forcément légitime. Dès lors, puisque je peux régir de façon injuste, il y a à distinguer l’équitable et le bien fondé, vertu civique susceptible de modifier la règle générale y substituant un décret légal, discours et raison se validant mutuellement, ce qui fait admettre leur appartenance  à une certaine catégorie de pensée.

Mais, voyons ! « L’ordre » ! Quel « ordre » ? L’organisation sociale ? « La justice » ! Quelle justice ? La vertu, dite cardinale ? Bien qu’apparentées, ces deux représentations ne font pas partie des mêmes  catégories de jugement, tant est si bien que l’on peut parfaitement minimiser l’ordre tout en magnifiant la justice ou vice-versa, être laxiste à propos de la justice et intransigeant en ce qui concerne l’ordre.

Il y en a, par contre, qui, près de l’anomie, refusent toute cause première ; « Il y a un pour cent, et pourtant ils existent, chante Léo Ferré, l’âme toute rongée par des foutues idées… l’amour au point, bras dessus bras dessous… », les Anarchistes, purifiés volontairement, par une révolution intérieure, de toute pensée de domination. Le A dans le O.

Enfin. Toujours la tête ailleurs, je suis resté un moment accoudé au bar où Hannah Arendt évoquait son essai sur la Révolution française ajoutant qu’« aucune philosophie ne peut se comparer à une histoire bien racontée », tandis que, offert aux corbeaux, le corps ballant de Billy Budd pendait odieusement de la grande vergue du « The Bellipotent ».

Carlos

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  1. Elke Mallem says:

    Pour moi, le mot « ordre » a provoqué l’association d’idée « l’ordre des choses » : il est dans l’ordre des choses que les parents meurent avant les enfants. C’est un évènement acceptable, prévisible. Quand les enfants meurent avant les parents, c’est un évènement inacceptable, ressenti comme injustice suprême. Et pourtant, c’est dans l’ordre des choses qu’un enfant puisse mourir… J’ai pensé aussi à l’ordre religieux qui est étroitement lié à la règle qui donne cohésion à l’ordre. Un ordre universel, qui ordonne le monde dans un mouvement perpétuel, un ordre artificiel qui structure le monde des humains. Avons-nous débattu de « l’organisation sociale » ou de « l’ordre » ? Evidemment, le « maintien de l’ordre » dans toute organisation sociale induit la confusion. Quand l’organisation sociale s’éloigne trop de « l’ordre de choses », l’énergie nécessaire à déployer par les « forces de l’ordre » pour maintenir l’ordre augmente de façon inquiétante. Ne faudrait-il pas changer l’organisation pour rendre plus facile l’ordre? On finit par s’attacher aux organisations au point de les prendre pour représentatif de l’ordre des choses. Recherche excessive d’un déroulement immuable, d’une ritualisation à l’identique. Pour les uns, c’est angoissant quand l’organisation prend le dessus sur la dynamique de la vie. Pour les autres, c’est angoissant quand la dynamique de la vie prend le dessus sur l’organisation. Le débat m’a fait réfléchir sur l’affrontement de deux représentations du monde : l’un sur un modèle mécanique ou chaque élément s’emboite dans l’autre. Le maître et son esclave, le noir avec le blanc. Le haut et le bas, le bien et le mal. Un monde parfaitement binaire, dans un fonctionnement linéaire. Prévisible et maîtrisable. Le maître serait toujours le maître, l’esclave toujours l’esclave. De l’autre côté : une représentation dynamique du monde. L’ordre ne serait pas de nature mécanique, mais dynamique. Animé par des forces multiples, le monde bouge par l’opposition de ses forces. Répulsion, attraction, croissance, décroissance. Construction, destruction. Tenu dans la soupe originaire, le chaos, l’ordre des choses émergerait d’une dance interactionnelle incessante. La justesse, c’est peut être un espace de mouvement harmonique trouvé ? Ah, j’ai écrit « justesse » en ayant eu l’intention d’écrire « justice ». Je préfère la justesse. Elle se réfère plus à l’ordre des choses qu’à l’organisation. La justesse a un son. L’injustice est sourde au son de la justesse. Et certaines justices font du bruit au point d’occulter le son de la justesse. Pourtant, elle devrait être indissociable de l’ordre, comme cela a été dit dans le débat. Ce qui rejoint ce que Carlos évoque de la distinction de la loi naturelle etc. Nous en avions débattu il y a quelque temps.

    28th novembre 2011 at 6 h 04 min

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