Débat du 18 décembre 2011:  » Nos idées sont-elles nos amies? », animé par Claudine Enjalbert.

1 comment

Posted on 19th décembre 2011 by Carlos in Comptes-Rendus

A l’approche de la Nativité, les enfants de presque toute la planète surveillent attentivement chaque geste accompli aux abords de la cheminé et autour du pied du sapin de Noël, tandis que du côté du Café des Phares®, le 18 décembre, ce que l’on avait à l’œil c’est le « groupe de pilotage de l’activité philosophique » du lieu, c’est-à-dire, l’intelligentsia brevetée des autoproclamés héritiers d’un chimérique legs censée gérer les réactions méningées du néophyte, ainsi que le tabouret, où d’ordinaire prend place l’animateur du débat hebdomadaire, en l’occurrence Claudine Enjalbert, chargée de modérer le zèle excessif des participants au débat à trancher ce jour-là : « Nos idées sont-elles nos amies ? », ou de le relancer, si d’aventure il laisserait coi plus d’un, ce qui ne se vérifie quasiment jamais.

Pour ce qui est du « groupe de pilotage », on reviendra là-dessus le moment venu. Quant au sujet du jour, et à propos de la fine sensibilité des idées, je ne pus qu’épouser la rumeur qui conçoit l’amour comme un sentiment versatile. Ainsi, il me serait aisé, donc, par un simple désintérêt de ma part, de délaisser le souci de protéger les idées me concernant en entier dès que, ne faisant preuve d’aucune affection pour ma personne, je viendrais à m’apercevoir qu’elles me cherchent ou me fuient selon l’humeur du jour ou la façon dont je les accueille, c’est-à-dire, si je leur offre ou pas un verre à boire. C’est assez courant, en effet, que la dissolution des idées, toujours à la merci d’un coup de Trafalgar, se fasse au hasard des émotions ou des passions, de l’impression d’un parfum, du voleter d’une jupe, du frisson du sublime, d’une rage de dents ou des embarras d’une mauvaise digestion et, finalement, on ne sait plus, de l’idée ou de l’amitié, laquelle supporte l’autre ; selon qu’elles se stimulent ou se contrarient ? L’hypothèse restante serait le fait de l’envoûtement philosophique, enclin à attester exclusivement du Moi, et, dès lors, puis-je être aimé par la phrase que je viens de dire ou par les idées les plus chimériques dont je perds le fil ? N’étant que représentation abstraite et générale d’un Etre, c’est-à-dire, un instrument de la Pensée, les Idées n’existent qu’en fonction des déterminations que l’esprit impose aux choses, et dès lors insatisfait, je me suis demandé si l’Etre conscient, c’est-à-dire, « Enai » (l’entité qui désigne ce que nous ressentons) est instruit de ce qui n’est pas « Soi », au point de savoir y rattacher des sentiments ou autres minauderies, telles que des compromettantes Idées. Celles-ci, seraient-elles attachées à moi au point de m’aimer comme une mère aime son enfant et prodigueraient à mon endroit des attentions et autres égards plus attentifs encore ? Si tel n’était pas le cas, courrais-je le risque de me sentir mal aimé de mes propres pensées ? Ou serais-je amoureux de moi au point de m’attendre à des mamours ou autres phantasmes de la part de mes Idées, alors qu’elles sont ici un objet de la Logique, et nullement l’espoir de partir en vacances et d’y revoir mes copains ?

Prévenante, Claudine s’efforça de suivre le fil, récoltant les expériences et appartenances des participants, « le principe intelligible des choses, ainsi que leurs relations », et plusieurs idées se sont alors dégagées comme la référence au « Gorgias » de Platon, tandis que d’autres taxaient ces mêmes Idées de « putains du diable », « l’important étant ce que l’on en fait », « puisque souvent on est porté par elles ou leurs rapports intimes » et que « l’idée, étant personnelle », « demande une adhésion de la volonté » qui, « peut faire des ravages malgré tout ». « A propos de maths, les idées préexistent-elles à l’Homme ? » Cela « présuppose une adhésion », d’où la cocasse « l’idée de l’Allemagne nazie, alliée aux Japonais parce qu’ils seraient ‘des ariens jaunes’ ». « Ne pensez pas, consommez », proclament certains Politiciens, d’autres verraient dans l’Idée « un supplément d’âme » ou « un objet fabriqué par la pensée », Descartes étant dès lors mis à contribution à propos « d’idées adventices et factices, le sujet « s’opposant à la croyance, du fait de l’inutilité de Dieu, du moment que l’on a des amis », d’où un « appel à une convivialité à l’endroit des émigrants et passagers clandestins qui sont étrangers à eux-mêmes ». « Nous naissons dans un langage humain empreint d’une certaine culture, fut-il dit, auquel nous adhérons tout en prenant des distances », quelqu’un constatant pertinemment, que « nous relions deux termes (ami et idée) qui n’ont rien à voir l’un avec l’autre d’où ressort que ‘l’idée’ serait extérieure à soi et que, n’y ayant pas d’enjeu dans l’analyse, on se disperse », « excluant la violence », mais incluant « Freud et ses associations d’idées, basées sur des jeux de mots , tandis que Lacan s’intéressait aux jeux de sons», après quoi nous sommes passés à « Zeus, Prométhée, Dionysos ou Héra », et aux « les Idées qui s’incarnent en nous », telles que celles de « changer de vie, comme Bouvard et Pécuchet, décrits par Flaubert ».

Et pourtant. L’aspirant philosophe a l’impertinence du bonimenteur, plutôt crever que de se taire et, même s’il va nulle part, il fonce, car le silence lui devient douloureux comme s’il était la fin de tous les possibles. Au risque du délabrement du discours, il voit dans chaque sujet proposé un moulin à vent auquel il se confronte, et dans sa parole un habit de lumières, ce qui revient à la question : « Puis-je être aimé pour ce que je vais dire ou par les chimériques idées dont je perds le fil ? »  Or, représentation abstraite d’un Etre, l’Idée n’est pas un Etre en soi. Elle est l’essence immatérielle et éternelle qui rend compréhensible le monde palpable.

Gilles, mit enfin un terme à la séance affirmant, dans sa poésie, que : « L’Idée, [est] un porte-manteau qui, comme une fleur nous affleure ».

 

Carlos

 

 

 

 

 

1 Comments
  1. Elke Mallem says:

    Merci, Carlos, pour cette introduction qui me permet, une fois de plus, de donner un support au floue des idées qui émergent par l’induction du sujet lors des débats du café philo, et d’essayer de les mettre en forme.
    La parole d’une vieille dame à démence débutante m’a marqué cette année. Je lui parlais distraitement de son chapeau sur la tête, et elle ne comprenait pas puisque le sens des mots lui échappe progressivement. L’effort nécessaire à la compréhension mutuelle a mené au constat qu’elle ne pouvait comprendre quand j’utilisais le mot « chapeau » pour un objet qu’on doit nommer « bonnet ». La vieille dame m’a sommé gravement, avec l’autorité de son âge, d’utiliser le mot juste. L’idée, ce mot désigne quoi au juste? En lien avec le débat, je dirais: Le « mot » permet d’extérioriser « l’idée » qui devient alors un objet de pensée. Mais combien de fois nous nous heurtons devant la difficulté d’attraper « l’idée ». Mal tenue, elle s’évapore. L’idée a besoin d’un carcan de mots pour exister. Et ce carcan de mots est tributaire du bain de culture qui met à notre disposition des mots pour dire. L’idée est tributaire d’un espace qui l’accueille, qui l’amplifie. Qui transforme, maltraite… Combien c’est difficile de traduire une idée en mots! Et d’assembler certaines idées dans un ensemble cohérent pour en faire une théorie qui permet d’agir de façon adaptée. Maintenant, considérer l’idée comme ami? La dichotomie ami extérieur/idée intérieur semble valider l’hypothèse d’un lien impossible. Mais du point de vue de la logique du vivant, sous le diktat de la relation nécessaire avec son environnement, chacun doit savoir « extérioriser » son idée pour en faire un outil de travail. C’est l’idée qu’on a pu dire, ou au moins formaliser dans ce discours intérieur qu’on appelle « penser », qui va pouvoir servir de support à l’action. Tant qu’elle reste à l’état « brut » à l’intérieur, elle risque de se muer progressivement en délire, en fantasme. On pourrait parler des « avatars » de certaines idées? L’idée devient notre ami quand nous osons l’exposer à l’épreuve du réel. Toute la difficulté de « s’exprimer » s’impose à moi en suivant le travail nécessaire pour transformer une idée en potentiel d’action. Pour pouvoir l’exposer, il y a à prendre le risque de se tromper, prendre le risque de la voir attaquée…. L’idée devient « ami » si j’ai conscience qu’elle est une production, une émanation de mon être, qu’elle peut se dissoudre, qu’elle est « critiquable », « opposable », qu‘elle parle autant de moi que du monde qui m‘entoure. L’idée devenu objet par l’intermédiaire des mots ou des images peut devenir « ami » si nous avons pu établir un lien de bienveillance aux productions de notre corps. L’idée, un outil de travail, ni plus ni moins. Pouvoir considérer l’idée comme « ami » , oui, à condition de focaliser sur la qualité de lien qui relie les amis qui savent respecter l’autonomie de chacun? Certaines idées finissent par acquérir un certain degré d’autonomie. Elles « s’imposent » ou « en imposent »… Ce qui renvoie à la question de la « production » des idées et une fois de plus j’observe l’effacement des limites intérieur/extérieur. Le bouillonnement d’idées, je le sens bien à l’intérieur. Alimenté par ce qu’on pourrait peut être appeler le feu de la vie (Prométhée semble avoir traversé le débat!), et par la « friction » avec le « réel » qu’on aimerait pouvoir mettre un peu à distance par moment pour trouver un moment d’apaisement. L’idée me vient de pouvoir forcer l’apaisement ce soir avec les moyens dionysiaque du jour! Temps de diriger mes énergies vers un champs d’activité plus concret que celui de la philosophie!

    19th décembre 2011 at 10 h 36 min

Laisser un commentaire