L’année 2012 touchait à sa fin, et le bilan semblait morose à tous points de vue mais, alors que visiblement les Hommes ne savaient toujours pas en quoi consistait la transcendance de leur projet, tendu ponctuellement par les volubiles autant qu’insipides « Regards croisés » inspirés de « Meetic », un singulier néo réseau social de célibataires, le dernier débat de l’année au Café des Phares®, celui du 30 Décembre 2012, s’intitulait : « Si libre, si seul ; Si seul, si libre », une assertion à deux-temps soutenue comme vraie du fait d’être énoncée, c’est-à-dire, un psychologisme de mauvais aloi traduit par une hypothèse vide de questionnement, proposé et animé par Gérard Tissier, qui se chargeait en même temps d’une mise en scène dont le rituel devait, en l’occurrence, sacrifier à une douteuse tartuferie, ou, pour l’exprimer autrement, à une ingénue égalité des sexes, matérialisée par l’alternance de la prise de parole entre les deux genres, le féminin et le masculin, ce qui objectivement en accentuait plutôt l’inacceptable différence, faisant du geste un simple effet de manches, aussi abstrait que vide de substance.
Comme s’il s’agissait de confettis, on a donc, à tour de rôle, Femmes, Hommes et Animateur, lancé en l’air des expressions tantôt de désespérance, tantôt de certitude et advienne que pourra. C’est ainsi que nous nous sommes pliés pour l’agrément du discours au jeu frivole de la « Régression », figure de style qui consiste à reproduire symétriquement les mêmes termes dans un stérile renversement d’idées, une affectation puérile qui cherche à éblouir par la confusion de ses étincelles, la dissociation étant ainsi programmée ab ovo, par la liaison de « Libre » à « Esseulé » et vice-versa.
D’où, la question qui s’impose : « N’est-on libre que lorsque l’on est seul ? », ou à partir du moment où « L’on est avec son prochain ? » Cela entraîne l’interrogation subsidiaire : « la liberté prend son sens auprès d’un entourage ou au moment où l’on se trouve séparé de tous ? » « Est-ce dès que l’autre prend des distances envers moi, que je me trouve en mesure de me considérer libre, libre de toute subordination ? » « Libre, parce que seul ? Seul, parce que libre ?
Libre, si seul, c’est-à-dire, dès que je me morfond dans la solitude de mon coin ? Ce serait rédhibitoire et le revers de la médaille se trouverait auprès de ma fâcheuse exigence de Liberté, correspondant à l’amère solitude, me morfondant tout seul dans mon coin, criant de désespoir : « La Liberté est une solitude » ; ce serait rédhibitoire. Ou alors, gueulant : « Non, Non ! Pas d’Egalité ! » ; le résultat serait un infâme rabotage ! Ou encore : « Non, non ! Pas de ‘Fraternité’ !» ; la conséquence serait la plus accablante des servitudes.
Mais enfin ; on en a vu d’autres ! Le café philo a cet extraordinaire et bien reconnu effet thérapeutique qui permet l’hypertrophie de l’Ego dans des proportions considérables, l’estime de soi, c’est-à-dire, la surévaluation de sa propre valeur, entraînant dès lors un réel mieux vivre que l’on impose allègrement à son prochain, sans nécessité de montrer les canines. « Etre soumis quoique délié » ou « Attaché et néanmoins autonome » irait donc à l’encontre du « Il vaut mieux être seul que mal accompagné », proclamé par un proverbe du XVème siècle, l’« autre » représentant une limitation réelle de ma liberté, ce qui reviendrait dès lors à la préférence de la solitude comme condition indispensable de mon indépendance, étant donné que « le Prochain » figure le détestable asservissement de ma propre personne.
Non ; orgueilleusement seul. Esseulé comme jamais, peut-être, mais fier de soi pour le meilleur et pour le pire, au point de faire appel au bistouri afin de se refaire les pommettes, les seins, les fesses, le nez, les bajoues dans le seul but de plaire à l’autre ? Objectivement, on a donc une réelle frousse de lui, la crainte de ses crocs forçant naturellement le respect, sinon la soumission. Le revers de la médaille serait de voir mon indépendance réduite à une amère solitude, qui me forcerait à me morfondre tout seul dans son coin, apostrophant les vieux idéaux comme la « Liberté » qui ne serait que solitude, dès lors que la vieillesse devient naufrage ; ce serait rédhibitoire. Ou, « Pas de ‘Fraternité’ !», mais alors la conséquence serait la plus accablante des promiscuités ! Ou encore, « Non, Non ! Non à l’‘Egalité’ ! » et la solution consisterait dans un légitime rabotage de mes droits ! D’où, la logique de la question : « Est-on libre lorsque l’on est seul ? » Alors que la confiance en soi vient des autres, cela entraîne l’interrogation subsidiaire : « la Liberté nous est-elle garantie par le fait d’être entouré de têtes d’angoisse ou de, usé comme des semelles, se trouver plutôt seul avec ses boutons? » « Est-ce dès que l’autre prend des distances envers moi, que je me trouve en mesure de me considérer libre, (libre de toute sujétion), ou « Vaut-il mieux se tromper avec tout le monde qu’avoir raison tout seul ? »
N’oubliant pas que le mois prochain, Janvier, est dédié à Janus, un dieu à deux visages, chacun portant sur une possibilité différente, je ne résiste pas à vous faire part de la chanson à l’encontre de « soi » (pas si libre que ça), oeuvre de Boris Vian et Michel le Grand, chantée par Henri Salvador :
« Tu vis chez moi, comme un salaud !
Va te faire cuire un œuf
Et surtout ne reviens pas,
Car tu repartiras les pieds devant ! »
Carlos