Nonobstant le massacre de vingt enfants et leurs profs perpétré dans une école primaire de Sandy Hook, à Newtown, USA, le monde ne s’étant pas effondré le 12/12/12, à 12h12 comme la menace qui pesait sur lui le laissait croire, on a remis l’échéance au 21 et chacun à repris du goût à la vie, s’offrant une « semaine d’éveil des sens » grâce au « Salon de l’Alimentation Salutaire et des Comportements Nutritifs », destiné à promouvoir le goût pour les plats festifs, source en même temps de plaisir, de santé et bien être, au moment de célébrer les bringues qui se profilaient, dont un avant goût nous était donné avec « L’écriture, comme chemin, mène-t-elle à la philosophie ?», le plat que, à cuisiner le 16 décembre 2012 dans le chaudron magique du Café des Phares®, mettant les petits plats dans les grands, Sylvie Pétin était chargée de servir.
A table ! Il faut manger tant que c’est chaud. Or, notre plat semblait assez froid et pas vraiment affriolant. Il s’agissait en somme d’accepter (ou pas) qu’une habilité calligraphique nous serve de voie qui conduirait à « l’amour de la sagesse ».
Il se trouve que « l’écriture », (dont l’étymologie renvoie à « ‘sker’ = gratter, graver ») est illustrée par le « scribe accroupi » et constitue la mémoire des Hommes, ce qui lui assigne une fin plus qu’un itinéraire ; en fait, bien qu’âgés d’un million d’années, les humains ne pratiquent l’écrit que depuis environ six mille ans, et c’est remuant l’alphabet qui leur a été légué par les Phéniciens d’il y a trois millénaires qu’ils arrivèrent, entre enluminures et incunables, à publier la « Bible de 641 feuillets », imprimée par Gutenberg à Strasbourg en 1452. A vrai dire, donc, le texte n’a pas d’ailleurs où se ressourcer ; c’est lettre morte qui, couchée sur des pierres, papyrus, parchemins ou rouleaux ne mène nulle part quoique, comme Monsieur Jourdain, qui faisait de la prose sans le savoir, certains se demandent si elle ne conduit pas à la philosophie.
En effet, dans l’écriture on trouve une façon de progresser ouverte à l’interprétation et possédant aussi bien une grammaire qu’une syntaxe qui permettent la renversante invention nécessaire à l’expression, si l’on veut ; de son côté, la philosophie dont les saints patrons paraissent être Anaximandre et Thalès, suppose elle, une démarche qui, passant par Héraclite en revient à la « koinôi », autrement dit, une mise en commun des principes rhétoriques de l’argumentation que véhicule la parole. Une façon de voir ou d’interpréter le monde pour des Hommes empreints de curiosité, dont la figure emblématique fut Socrate, même s’il n’a pas écrit une seule ligne, se contentant de bavarder pertinemment.
Ainsi donc, « écrire » pouvait s’entendre au Phares comme une ivresse furibarde qui, par un magique sortilège, aboutirait à la faculté de philosopher pour tout le monde, alors qu’une telle démarche spéculative fut motivée autrefois par l’étonnement devant les différentes facettes de l’infini (« apéïron », ou principe original, « arkhé », ou la nécessité d’un dieu), enfin, tous les phénomènes auxquels les premiers philosophes, aussi bien Héraclite que Thalès ont été sensibles, ce dernier étant même tombé dans un puits parce qu’il interrogeait la lune, en chemin.
En tous cas, ‘considérant l’écriture comme une préoccupation d’artiste’ qui, ‘travaillant par tâtonnement’ creuse jusqu’à ‘trouver une forme’, ‘l’écriture tient de l’ineffable’ pour les uns, de ‘l’on dit’ pour d’autres, tous ‘sensibles au monde de par la réflexion sur soi’ et sur lui, ‘un exercice sur la vérité’ et ‘d’engagement à travers l’art’ qui serait ‘la philosophie en tant que poésie’ par ‘la mise à distance de soi’, autrement qu’au travers d’une ‘liste de courses’, alors que ‘l’on n’a jamais autant écrit’, malgré ‘les efforts à accomplir’, ce qui rejoignait ‘les états d’âme’ et même ‘la quête du moi’ ou ‘fondement de notre pensée’ qui mènerait à la philo par ‘la mise à distance de soi-même’, ‘passant de l’expérience au récit’ par ‘le détour de l’écriture’ qui serait ‘un chemin ou un sommet à atteindre’, même si ‘ça représente un travail’ et ‘exige parfois un retour aux sources’, si ‘‘l’on peut associer parfois les mots ‘juste’, ‘justesse’, ‘justice’ et ‘meurtre’, ‘assassinat’ ou ‘crime’’’. ‘Pourquoi parle-t-on sinon pour se libérer ?’, se demandait un participant, un autre y voyant ‘trois axes, selon Badiou : passage de l’immanent au transcendant, étonnement et mise à distance’, puis à ‘l’échange avec soi-même’, au ‘choix des mots’, à ‘l’engagement’, à ‘l’authenticité’, à la ‘maïeutique’, aux ‘briques qui permettent de nous construire’, à ‘la sacralisation du futur’, n’oubliant pas ‘l’importance de l’imprimerie dans la diffusion de textes importants’, alors que d’autres entendaient que ‘trop d’écrit tue l’écrit’, qu’il ‘faut se trouver soi-même’ et ‘ne pas attendre autrui’, tenant au ‘journal intime’, à ‘l’engagement’ et à ‘l’acte de foi’, ‘condamnant l’acte de délation’, appuyant ‘le fait de s’inscrire dans le monde’, les ‘questions qui nous permettent de nous comprendre’, les ‘trois questions de Kant : qui suis-je ?, où suis-je ?, que puis-je savoir ?’, ‘délier sa pensée qui fausse le sens et le monde’, car ‘témoigner de notre passé’, ça ne suffit pas pour faire un philosophe. Tout y passe : ‘distinguer pensée et philo’ ; ‘la disparition de l’écriture Maya’ ; ‘le sens du texte philo’ qui ‘n’est pas du vent’, même si ‘parfois on s’aperçoit que c’est confus ce que l’on croyait clair’.
Puis, parce que c’était l’heure de terminer, on est passé aux « premières prises de parole », et l’on a découvert que « pour se transformer soi-même, il vaut mieux rester soi ».
Finalement Gilles mit un terme à la divagation, pointant « l’écriture comme un acte maïeutique/ un jaillissement, une empreinte, une impression : un monde d’autrefois/ être soi/ a-tension hors de soi/ cheminement/ reconstruction/ aboutissement…/ écriture… »
Dehors :
- On mange là ?
- Oui ! Qu’est-ce qu tu prends ?
- Moi, j’ai commandé un Sandwich ! Ça nourrit et est plus facile à manger qu’à écrire.
Carlos