Débat du 5 février 2012: « Se sentir vivant… », animé par Alexandra Ahouandjinou.

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Posted on 7th février 2012 by Carlos in Comptes-Rendus

Les candidats de Mai à la Présidence de la République battaient la mesure, et l’actuel tenant du titre s’étant acquitté de son show de dimanche dernier avec une feinte sincérité alors que son challengeur se trouvait le bec enfariné au cours du meeting qu’il tenait, parce que « à la chandeleur l’hiver reprend de la vigueur », privée de sentiments, la mère nature nous picorait, elle, la chair de son bec corné et froid, enracinant parfois la mort dans les existences. Pourtant, le cœur léger ou peut-être en quête de sensations extrêmes, Alexandra Ahouandjinou se demanda le 5 février, au Café des Phares®, qu’est-ce que « Se sentir vivant… » et (dans des conditions sonores abominables qu’il faudrait régler), entreprit de nous guider dans cette quête, tel si elle retournait des crêpes ou prenait la tête d’un mouvement libérateur.

L’animatrice commença donc par faire un abrégé de la question envisagée, du genre « qui vit ?, quelle efficacité ?, qu’est-ce que ça implique ?, condition de possibilité, etc. » puis, la salle entra en scène cherchant la distinction entre « anima » et « bios » et exigeant une définition du « vivant » ou allant  jusqu’à « la libération des camps de concentration ou du Goulag », « la résistance à la mort », « la somme interagissante des parties », « le désir qui nous transporte », « l’insoutenable légèreté de l’être ( Kundera)», « le vide », « rendre la vie intense, intéressante », « à l’aide de l’art, la religion, la philo, l’amour, la politique », « sentir battre son cœur », « exister sans s’ennuyer », « vivre à 100/h », « s’arrêter un instant », « l’étincelle de démarrage », « le juste milieu », « l’être au monde », « le deuil, le trou noir, vécu près du brouhaha d’une cour d’école », « un rayon de soleil annonçant la sortie de l’hiver », « ‘bios’, le vivant et violence, c.a.d., se sentir vivant et mourant, la joie et la puissance ( sœur Emmanuelle opposée à Hitler) », « ce qui, de l’ordre de l’existentiel, nous transporte et nous transcende ». Pour finir, Gilles nous gratifia de sa poésie, exhortant l’assemblée à « Mettre un peu d’amour dans la vie ».     

« Amour dans la vie », voilà la considération qui m’a incité à examiner la chose dans un esprit zététique, et pour cause : « Rien de nouveau sous le soleil », proclame le Qohelet ou ’Ecclésiaste’ qui, évoquant le sens de la vie, claironne son corollaire, la mort de tout le monde. Puisque tel serait le lot de chaque vivant, face à cette cruelle absurdité, les Hommes n’ont imaginé, comme agrément de toute existence, que le plaisir de se sentir vivants (« carpe diem »). C’est certainement à la recherche d’autres alternatives encore que, comme il est de la connaissance de tous, la nécessité de l’« étant » a un jour forcé le pieux Descartes, fondée sur « son doute méthodologique », a remettre en selle l’« existere » de Saint Thomas et, en en déduisant de sa propre réflexion l’« existence » de celui qui pense, il a proclamé dans la foulée celle de Dieu et du monde aussi.

Tout ça, n’est pas tombé dans l’oreille d’un sourd et cette idée fut traduite plus tard par Heidegger en Da-sein (être là), concept qui est revenu comme un boomerang de nouveau en France, remplaçant chez les intellectuels le vieux mot d’« Existence ». « Se sentir vivant » va donc tellement de soi, que notre question du jour, peut-être parce qu’audacieuse, a du mal à s’asseoir. Il me semble donc absurde de problématiser se sentir sans envisager le vivant, puisque les deux termes se définissent l’un en fonction de l’autre, c’est-à-dire, que se sentir explique la condition de l’animal qui est en vie, car « l’étant se confondant avec ce qu’il est», a la transparence ontologique du « celui qui vit, vit », comme celui qui boit, a conscience de boire. 

Insistant donc sur l’assurance d’être en vie, « se sentir vivant » est en fait une assertion manifestement tautologique, exprimant finalement une émotion qui, insuffisante pour révéler l’Etre, s’empare néanmoins de lui, lors du retour d’une cérémonie funèbre, par exemple, l’être cessant alors de se raconter des histoires et prenant conscience d’Etre-là, « pour la mort ». Il a une durée psychologique qui doit sans cesse « être étée » par l’en-soi, parce que, comme le suggère Lévinas, « on n’est pas, on s’est » ; « on s’est son propre fardeau », ajoute Sartre ou, pour nous arrêter un instant chez Heidegeer, « ‘être dans le monde’ est la condition nécessaire de l’existence humaine » car, n’admettant pas le non-savoir, toute question suppose que l’on sache déjà, c’est-à-dire, puisque les deux termes se définissent, l’un en fonction de l’autre, « Se sentir vivant » ne peut pas susciter d’objection.

Finalement, est-ce la raison qui porte « l’être pour la mort » à « se sentir vivant » ? A l’aide de grands sursauts et autres remous extrêmes, ou avec le concours d’un débordement de soi ?

Dès lors, qu’est-ce que se sentir vivant ? Est-ce bouger ? Casser l’apathie ?

De quelle façon doit-on lire le sens de nous-mêmes, et où trouver les conditions de notre bien-être ? 

Dans l’essence ? Au Loto ? Dans le cannabis ? Dans l’ecstasy ? Dans le saut à l’élastique ?

Comment érailler l’inertie de la mort ? Grâce à l’euphorie ou à la liesse, lorsque l’on a fumé un joint ? L’« Etre pour la mort » aurait-il accès à l’Etant, à la faveur de l’adrénaline dégagée chez lui au moment de se lancer dans le vide à partir du premier viaduc, une action tendant à restituer les impressions éprouvées lors d’une chute libre à la manière du rite initiatique Vanuatu ? Vivre le grand frisson, des convulsions limite et des émotions en vrac, serait-ce « Se sentir vivant » ? Pour l’expérimenter, il nous faudrait sans doute consulter un Guide des folles sensations…

- Tiens, te voilà. Je te croyais mort !!!

- Tu vois, je suis bien vivant !

- Excuse-moi, mais je me fie plus volontiers à celui que me l’a dit.

Carlos