De bain de sang en bains de sang, sous les yeux des « Humain Rights » et des pluies de rockets ou d’obus de mortiers, le régime du clan al-Assad sombrait dans une infâme sauvagerie. Prônant l’inconvertibilité des civilisations et soutenu par la Chine et la Russie, c’est au nom d’une barbare poltronnerie que les dirigeants Syriens faisant du Printemps Arabe un lugubre Hiver, aussi atroce que froid, échauffé le jour par une pâlotte naine jaune perdue au milieu des milliards d’étoiles de la Voie lactée, et éclairé la nuit par une lune gibbeuse à faire hurler les loups. Malgré tout, la raison vacillante mais faisant de l’infortune bon cœur, le 12 février, nous sommes venus assister, au Café des Phares®, à un débat animé par Antoine Spire, qui nous soumettait à la question : « Le suicide, acte de courage ou de lâcheté ? », à propos de la Journée Nationale de Prévention du Suicide, sur le fait de se flinguer, en somme.
Instruits de ça, nous nous sommes appuyés sur Camus (Le Mythe de Sisyphe) « pour qui le suicide, serait une prérogative de l’Homme et son seul problème philosophique », et « la courbe des suicides suivant statiquement celle du chômage », « la vie ne valait pas en effet la peine d’être vécue », d’où « les suicides collectifs à l’image de celui de Massada, où les occupants ont résisté aux Romains jusqu’à la mort, l’année 30 avant JC », ou de certaines sectes comme celle « Du Temple Solaire dans le Vercors », le tout se justifiant par « un mal de l’infini ou par le suicide égoïste que l’on trouve chez Durkheim » et illustré par « la lettre à son fils du film de Radu Mihaileanu , ‘Va, Vis, Deviens’ ». Une fois vanté « L’encadrement juridique de l’Euthanasie assistée, en Suisse, Belgique, Hollande », on apprit que « Hermès engendra Autolycos, grand père d’Ulysse et Eurytos, l’un des argonautes, etc., preuve que l’on peut, par ses propres moyens survivre à la mort ». On a vu « l’impossible lien entre ‘réparer’ et ‘irréparable’ ». On a biglé « l’Affiche Rouge », aperçu « la Résistance » et, « sans trouver de solution, alors qu’il suffisait d’un rien », ou certainement parce que « le désespoir pathologique relève de la psychanalyse » et des « rapports sociaux qui nous constituent », nous nous sommes aperçus que l’on « essayait de moraliser (soit par lâcheté soit par courage), attitudes, certes, spécifiquement humaines, dangereuses et néfastes, mais qui parlent pourtant de notre être », sans doute une façon de nous protéger et nous permettre de vivre tout simplement». Nous avons évoqué encore la « joie de vivre prônée par Spinoza » ainsi que « le suicide comme chose des pays froids, nordiques, alors que la lumière, le soleil et la joie de vivre seraient le propre des pays chauds, épris d’amour et de religieux ». « Il faut donner un sens à la vie, autrement on est en constat d’échec », a-t-on encore entendu, « le contraire du courage étant la lâcheté, qui peut aller jusqu’au règlement de comptes ». Bien sûr, « tous les suicides ne se valent pas, et il vaudrait mieux accepter la mort lorsqu’elle surgit ». « La survie est individuelle, pas collective », ainsi que « le Droit au suicide » ; « tout le monde a, à un moment ou à un autre, pensé à mourir ; d’aller au suicide ou de ne rien faire contre. « Courage ou lâcheté, ajouta Monsieur Spire, ce n’est pas le problème, si nous abordons philosophiquement ce sentiment, 100% déterminé mais entièrement libre, comme l’acte suicidaire l’est ». On n’en a pas le droit, mais il l’a en raison du Libre Arbitre, l’aspect le plus déterminé des choses. « Est-on libre si l’on est bourrés de drogues ?, demanda quelqu’un, alors qu’il s’agit là souvent « d’un Appel au Secours » et que la pire des choses, c’est de dire, « ça ne sert à rien », tout en s’intéressant à l’art, aux artistes et à leurs échecs, bien que l’espoir en l’avenir passe par les autres, leurs visages, leur port, leur grâce, l’objectif de la Philo étant de, entièrement déterminée et entièrement libre, nous faire penser. « La vie ne sert à rien, mais chacun sert la vie, le suicide étant le refus de la servir (de la servir et de s’en servir) », ajouta quelqu’un, en face de moi, et Gilles fit enfin entendre dans l’un de ses vers : « suicide vécu, suicide vaincu ; la plénitude attitude ».
Finalement, voulant décider, au cours de notre digression philosophique, si le suicide est un choix courageux ou lâche, il me semble, quoi qu’il en soit, que l’acte en question n’est pas libre, même s’il peut se charger le cas échéant d’un certain cran, et même d’un réel lyrisme, sitôt qu’envisagé à l’image de l’Ouroboros, le serpent qui se mort la queue représentant ainsi le cycle perpétuel de la nature, une idée de mouvement autofécondateur, d’éternel retour et, dès lors, du paradoxe antinomique. En effet, le suicidaire va vers son acte, conduit par la douleur, et c’est toujours à regret qu’il s’agresse lui-même ou se passe au cou la cravate de chanvre. Et pourtant… son acte peut s’avérer fécond. D’après la légende concernant cette fatale option, en raison d’une érection post mortelle qui se produit chez le pendu, au pied du gibet va surgir une plante magique, la mandragore, à laquelle on attribue en général des vertus aphrodisiaques.
Tout prosaïquement, cette impasse interne peut en effet donner lieu à l’illusion d’une toute puissance capable de soulager ses propres souffrances ou humiliations, résultant du dopage généralisé dans un monde d’« haktivistes », de « mèmes Internet » obsédés par le triomphe facile, voire de cerveaux échangeables, attirés par les projecteurs de la renommé, au prix d’une inexorable déchéance à terme. Ne sont-ils pas des suicidés, « à l’insu de leur plein gré » ?
Quant à moi, j’ai noyé mes pulsions suicidaires dans l’alcool. Peine perdue ! Las, entre-temps, elles ont appris à nager.
Carlos
Carlos says:
Alors que pour Hégésias de Cyrène, « la mort est préférable à la vie », j’ai le sentiment que notre sujet, « Suicide, courage ou lâcheté ? » s’est transformé, lui, dans une « Foire aux Idées de Survie en Cas de Mauvais Temps ». Convaincu donc que le suicide n’est pas un choix, mais que l’on y est conduit par la douleur, j’ai entrepris de remémorer une liste des suicidés… Oï, oï, oï !!! Elle est bien longue, d’A à Z, d’Aristote (noyade) à Zweig (dose de véronal), en passant par Caton (ventre poignardé), Diogène (apnée), Guy Deborde (tir de révolver dans la tête), Gilles Deleuse (défénestré), Hemingway (décharge de carabine dans la bouche), Mishima (hara-kiri), Montherlant (cyanure), Primo Lévi (plongeon dans la cage d’escalier), Sénèque (sectionnement des veines), Socrate (la ciguë), Van Gogh (coup de feu sur la tempe), Nerval (strangulation). S’agit-il de courage ou de lâcheté tout prosaïquement ? Regardant la pomme entamée de mon ordinateur, je dirais que le suicide est plutôt un acte de « détresse », qui m’est suggéré aussi bien par l’expulsion du Paradis dans le récit biblique d’Eve et Adam, devenus mortels en raison de l’avidité de connaître, que par la fable de Blanche Neige, en quête de plénitude, face à la sorcière, ou l’histoire de ce génial Alain Turing auquel un choix de vie ou de mort s’est imposé, du fait d’être ce qu’il était.
13th février 2012 at 12 h 50 min
maxime fellion says:
Suicide.
Avant de se poser la question de savoir si le suicide est un acte de courage ou de liberté, ne faudrait-il pas se poser la question de savoir ce qu’est le suicide, les mots ont parfois plus qu’une définition, ils ont un sens, les mots pensent.
Le mot suicide est un mot récent, c’est un mot moderne, sa première occurence se trouve chez un journaliste, critique littéraire, qui eut quelques mots avec Voltaire, l’abbé Desfontaines dans un recueil «observations sur les écrits modernes», bien sûr on retrouve ce mot dans l’ouvrage de Voltaire publier en 1739 «Du Suicide ou de l’homicide de soi même». Les encyclopédistes acceptent le néologisme et le diffusent.
On le voit le mot suicide est fait sur le mot homicide. Les deux termes ont en commun le latin cidium, acte de tuer, qui a donné regicidium, uxoricidium, infanticidium, homicidium, tyrannicidium. Cidium dérive de caedere que l‘on peut traduire par «pour réduire».
Sui est aussi latin et veut dire soi.
Suicide veut dire que l’on tue soi. Ce qui est étrange dans l’évolution des langues c’est qu’aujourd’hui on dit que l’on se suicide, suicider se conjugue à la forme pronominale. Et ça, se suicider serait interdit par l’académie. L’académie interdit la redondance, c’est-à-dire que l’on dit deux fois la même chose, on tue soi (suicide) et on se tue se sui cide, on se tue soi, c’est un pléonasme, une surabondance, une profusion, un excès. On dit une fois de trop la même chose.
Ainsi deux remarques: que veut dire cide, comme on fait pour tuer cide; qu’est ce qui se passe avec ce mot de trop avec ce pléonasme avec ce redoublement, cet excès.
Cide qui vient de caedere est un mot très violent. Il appartient au vocabulaire rural et campagnard, au vocabulaire des bucherons, on abat un arbre, quelque chose caedere c’est faire tomber,c’est abattre, c’est le mouvement de la hache que l’on lève et qui s’abat.
Ecoute, Bûcheron, arrête un peu le bras!
Ce ne sont pas des bois que tu jettes à bas:
Ne vois-tu pas le sang, lequel dégoutte à force
Des Nymphes qui vivaient dessous la duré écorce?
Sacrilège meurtrier, si on pend un voleur
Pour piller un butin de bien peu de valeur,
Combien de feux, de fers, de morts et de détresses
Mérites-tu, méchant, pour tuer des Déesses?
Ronsard Contre les bûcherons de la forêt de Gastine.
Le sens a évolué ça veut dire aussi, fendre, châtrer, mais le substantif tiré de caedere, caedes c’est le massacre, le carnage, le sang versé.
Consul videt; hic tamen vivit. Vivit? immo vero etiam in senatum venit, fit publici consilii particeps, notat et designat oculis ad caedem unum quemque nostrum.(Première Catilinaire – Cicéron)
Donc c’est une manière très violente de tuer. Ce sens c’est la même racine que César, le né par césarienne, né par le ventre fendu de sa mère, c’est la première que l’on coupait ainsi. Donc on abat on coupe, on fend, on massacre. Ainsi cide c’est vraiment violent.
Le mot de trop que veut dire cette redondance, ce pléonasme interdit par l’académie? Pourquoi est-ce qu’on redouble ainsi?
Il semble que c’est plein de sens, c’est peut-être même le sens du mot suicide, peut-être de l’acte lui-même.
En anglais on ne se suicide pas, one commits suicide, on commet un suicide, en français on se suicide. Ca veut dire qu’on agit soi contre soi. On se suicide, on tue soi, et c’est soi qui tu soi. C’est un redoublement qui est important. On tue soi comme objet, ce soi objet et tué par le soi sujet. Soi comme sujet tue soi comme objet. On ne peut pas se suicider sans être double, ou se percevoir comme double. On ne peut pas se suicider sans que « je est un autre » Rimbaud. Il y a quelque chose dans l’objet que l’on est «soi» qui est intolérable au sujet que l’on est «Soi». C’est ce redoublement qui peut-être un fait d’accident, il y a un moment ou Se (sujet) et Soi (objet) se dédouble, ou cela peut-être un fait de structure. La c’est le grec qui vient à notre secours, on peut-être σχίζω «schizo», on peut-être fendu, la psychiatrie parle de «schize» du sujet, normal ou pathologique. Nous sommes tous plus ou moins «schize», fente supportable pour le sujet que l’on est. Quand on se suicide, qu’on s’abat, qu’on se fend, c’est quand l’objet qu’on est est devenu insupportable au sujet qu’on est.
Source: Dictionnaire historique de la langue française, Alain Rey; Dictionnaire Gaffiot, Dictionnaire Bailly.
13th février 2012 at 15 h 20 min
Gunter says:
A propos du suicide :
I) Le suicide dans l’histoire de la philosophie (un aperçu) :
Sur l’origine du mot « suicide », connaître l’origine des mots est toujours instructif :
Le mot « suicide » n’apparaît dans la langue française qu’en 1734. Jusqu’à cette date on utilisait le mot « homicide de soi-même », on trouve également l’expression : se défaire.
En 1769, Voltaire (1694 – 1778) publie un traité intitulé « Du suicide ou de l’homicide de soi-même ». Il éprouve donc le besoin de traduire le mot « suicide » parce que c’est encore, à cette époque, un néologisme incompris par beaucoup.
« Suicide » qui est un mot latin signifie déjà le « meurtre de soi-même », mais les mots étrangers sont plus doux. En allemand, on dit toujours brutalement « Selbstmord » (littéralement : meurtre de soi-même) et depuis quelques années on trouve également le terme « Suizid » qui fait moins peur…
Si on remonte dans le temps jusqu’aux Grecs anciens, nous rencontrons Socrate, Platon, Aristote, la grande époque de la philosophie grecque (4ème siècle avant J.C.) et de la philosophie en général : le citoyen, pour ces penseurs, n’a pas le droit de se suicider, ce serait un manquement à la solidarité de quitter son poste de gardien des lois et du bon ordre dans la cité.
Les stoïciens et les épicuriens, deux écoles philosophiques fondées environ un siècle plus tard au moment de la décadence grecque (l’hellénisme), lorsque la cité se défait, se « suicide », valorisent, par contre, le suicide comme manifestation de la liberté et de la dignité humaines. Le suicide témoignerait de notre arrachement à notre animalité, à l’esclavage de l’instinct d’autoconservation. Les animaux ne se suicident pas, certains mammifères peuvent se laisser mourir – mais il ne s’agit pas de suicide proprement dit.
Ces deux écoles continuent à prospérer chez les Romains : la nuova stoa (Séneque qui s’est suicidé, Epictète, Marc Aurel, etc., entre le 1er et le 3ème siècle après J.C.).
Les épicuriens : Lucrèce (1er siècle après J.C.) et son fameux poème matérialiste « De la nature ».
Il faut également mentionner St. Augustin (354-430), père de l’église, qui a fondé la doctrine chrétienne de la condamnation absolue du suicide. St. Thomas la reprendra au 13ème siècle et on peut la résumer ainsi : Le suicide est un homicide car il viole le commandement divin du décalogue : »Tu ne tueras point. » C’est clair et net. L’Eglise refusait jusqu’à une date récente l’enterrement religieux aux suicidés qui étaient ensevelis hors des murs du cimetière, la face tourné vers le bas (vers l’enfer), parfois mutilés, leur héritage confisqué, etc.…Les assassins bénéficiaient, par contre, d’un enterrement religieux, se tuer soi-même était considéré comme moins naturel, plus pervers, plus diabolique que de tuer autrui.
Le philosophe Montaigne (16ème siècle) reprend la tradition stoïcienne et épicurienne. Il proteste contre l’idée d’un meurtre, d’un assassinat de soi-même. Je le cite (« Les essais », sorte d’autobiographie philosophique) : »Si je me vole la bourse ou mets le feu à ma maison, je ne suis pas condamné [si quelqu’un met le feu à sa maison il risque fort d’être interné à l’hôpital psychiatrique, G.G]. Pourquoi le serais-je si je m’en prends à ma propre vie ? La vie dépend de la volonté d’autrui, la mort dépend de la nôtre. Je m’appartiens. » Il me semble curieux de traiter la vie comme une chose parmi d’autres…
Nous avançons à grands pas pour arriver à David Hume, philosophe écossais du 18ème siècle et précurseur de l’utilitarisme : Le suicide est permis, voire recommandé, s’il contribue au bonheur du plus grand nombre (règle d’or de l’utilitarisme) ; je cite son essai »Le suicide et l’immortalité de l’âme » : Si je suis devenu un fardeau pour la société, me suicider est à ses yeux un acte innocent et même louable puisqu’elle [la société, G.G.] se portera mieux si je la quitte. » Cf. également le film japonais « La ballade de Narayma ». Aujourd’hui, c’est l’horreur utilitariste qui nous menace le plus…
Et pour finir, il est impossible de terminer un discours sur le suicide dans l’histoire de la philosophie sans citer A. Camus (« L’homme révolté ») : « Il n’y a qu’un problème philosophique vraiment sérieux : c’est le suicide. Juger que la vie vaut ou ne vaut pas la peine d’être vécue, c’est la question fondamentale de la philosophie. Le reste, si le monde a trois dimensions, si l’esprit a neuf ou douze catégories, vient ensuite. Ce sont des jeux, il faut d’abord répondre … »
II) Mes propres réflexions au sujet du suicide :
Ce que l’on pense, ce que l’on ressent au sujet du suicide dépend, entre autre, de notre perception de la mort. Aussi, la transmission aux enfants de notre attitude envers la mort fait-elle partie de la prévention dite primaire du suicide, la prévention secondaire s’adressant aux suicidaires et la prévention tertiaire à tous ceux qui ont déjà fait une tentative de suicide.
Quelques remarques :
- Le même mot « mort » couvre des réalités très différentes : ma propre mort, la mort d’autrui, la mort d’un enfant, d’un jeune ou moins jeune, mais tous arrachés à la vie ; la mort en fin de vie, après une vie bien remplie (cf. Rilke sur la mort qui peut être un fruit vert ou un fruit mûr suspendu dans l’âme, elle peut aussi être comparée à une fleur ou un bourgeon, Leonardo : « J’aimerais mourir de la même façon que j’aime m’endormir après une journée bien remplie » et le film « Chaos » des frères Taviani : seuls véritables exemples d’une « euthanasie » (belle mort).
- L’existence de la mort, de notre finitude, rend-elle notre vie absurde, puisque « toute joie veut l’éternité, une profonde éternité » (Nietzsche) ou au contraire : c’est la mort qui rend la vie précieuse, qui rend chaque instant de la vie précieux ? C’est par la prise de conscience de notre être-pour-la-mort ou plutôt vers la mort (Heidegger) que nous faisons preuve de résolution et donc d’authenticité qui nous libère de la tyrannie du « on ».
Cf. aussi Simone de Beauvoir « Tous les hommes sont mortels » et le film de Wim Wenders « Les ailes du désir » : pour pouvoir aimer il faut devenir mortel.
-Une autre possibilité d’envisager la mort est proposée par Epicure pour qui la mort tout simplement n’existe pas. Sa fameuse phrase : »Quand je suis en vie, la mort n’est pas et quand la mort est là je ne suis plus en vie ». Sartre reprend cette formule-choc en rabattant la temporalité humaine au seul présent et, surtout, en passant sous silence la mort d’autrui.
- Les « deux fois nés » des sagesses orientales, tout comme certain rites d’initiation renvoient au sens symbolique de la mort : Il faut mourir à soi-même ou quelque chose en nous doit mourir pour accéder à la vraie vie.
En résumé : le même mot » mort » recouvre des réalités et suscite des réactions très différentes…
Le suicide, qui est une mort particulière, celle qui ne me surprend pas, celle que je provoque moi-même :
Je rappelle : les sciences étudient la réalité du suicide, ses causes, elles sont descriptives et explicatives, tandis que la philosophie se veut compréhensive, interprétative, normative, prescriptive.
- La philosophie s’interroge sur la légitimité du suicide, c.-a.-d. est-il justifiable, est-il éthique au sens de la visée de la « vie bonne » (l’eudaimonisme à distinguer de l’hédonisme) ?
B. Pascal : « Tous les hommes désirent être heureux, jusqu’à ceux qui vont se pendre ». On n’échappe pas au désir de bonheur, à la visée de la « vie bonne ».
En effet, si on ne désirait plus approcher le bonheur, on ne désirerait pas non plus être mieux, on ne chercherait pas à supprimer ses douleurs à l’arraché, dans l’impatience du repos.
A ce sujet il y a une anecdote sur le père du cynisme, Antisthène, le maître de Diogène, anecdote souvent tronquée pour en faire une apologie du suicide, comme par exemple Roger Minois dans son « L’histoire du suicide ». Antisthène qui souffre d’une grave maladie s’écrie « Ah ! Qui donc me délivrera de mes maux ? » – « Ceci », dit Diogène, en montrant son couteau – Antisthène de répondre : « J’ai dit de mes maux, je n’ai pas dit de ma vie ! »
Même le geste terminal du suicide n’échappe donc pas à l’éthique, celle-ci comprise comme visée d’une vie bonne. Le paradoxe réside dans la suppression, pour y arriver, du support même d’une vie bonne, c.-à.-d. de la vie biologique.
- Une autre justification du suicide : il serait la manifestation la plus haute, la plus noble de notre liberté, de notre dignité qui fait de nous des êtres distincts des animaux qui ne se suicident pas, ni, d’ailleurs les enfants avant leur entrée dans le langage (les in-fans, distinction entre le sujet de l’énonciation et le sujet de l’énoncé).
Seul l’être humain, et là réside sa dignité, peut dépasser l’instinct d’autoconservation. Lui seul peut ne pas se contenter de survivre comme un animal, il lui faut un Sens de la vie.
Le paradoxe réside dans le fait que pour être libre, je supprime la condition même de la liberté, le fait d’être vivant pour exercer, pour manifester cette liberté.
- Mais qu’est que la liberté ? Une substance, un état ou un processus ? Puis-je dire, moi ou un autre : « Voilà, enfin je suis libre », ou seulement : « Je suis engagé dans un processus de libération (infini) ? Un état de liberté définitive, achevé, me semble-t-il, n’existe pas. Cf. Kant et sa colombe qui, fendant l’air sent la résistance de l’éther, se dit : »Mais combien ne volerais-je pas mieux sans cette résistance ! »
D’autre part, est-ce légitime d’ériger la liberté en valeur suprême ou n’est-elle qu’un moyen, un instrument ? J’ai l’habitude de demander à celui qui met au sommet des valeurs la liberté : »Tu veux être libre, d’accord, mais pour quoi faire dans quel but, quelle finalité ?
Je pense donc que la liberté ne peut être qu’un moyen. Si elle devient une fin en soi, je soutiens qu’elle devient nihiliste, je dirais même qu’elle devient folle. Elle sera amenée à vouloir détruire tous les obstacles, c.-à.-d. en fin de compte la réalité elle-même, la réalité étant définie comme ce qui résiste à ma liberté. Cf. l’analyse par Hegel de la terreur révolutionnaire. La confusion est fréquente entre la liberté-autarcie (indépendance, en son fond : nihiliste) et la liberté-autonomie qui est toujours collective : je ne peux me donner une loi tout seul, la loi étant, par définition, une création commune.
- La pathologisation du suicide : Elle soulève le problème de l’opposition entre le déterminisme, la causalité scientifique et la liberté philosophique, éthique. Cette pathologisation croissante a de quoi inquiéter : n’exprime-t-elle pas un mépris encore plus grand de ceux qui recourent à ce geste que sa criminalisation d’autrefois ? Louis Althusser, ayant étranglé sa femme, a été déclaré irresponsable par la justice ; il en souffert le martyre jusqu’à la fin de sa vie, il aurait préféré d’être condamné. Cf. son livre autobiographique « L’avenir dure longtemps » et Hegel pour qui être puni est un droit : si je suis puni, c’est que je suis reconnu responsable et donc libre, en tant que Sujet non-determiné causalement.
- La pathologisation, qu’il s’agisse d’un assassinat d’autrui ou de soi-même (sens du mot « suicide ») revient à traiter l’autre, qui est une conscience et un sujet comme un objet, une chose, par définition irresponsable et analysable comme n’importe quel autre objet de la science ; l’homme, son cerveau, son âme (Freud, bien qu’athée, parle d’âme, les Français quelque peu coincés par une tradition laïque quasi-religieuse l’ont traduit par « psychisme ») sont certes aussi des objets de la science, mais ils ne sont pas que cela, ils ne peuvent pas y être réduits, contrairement à ce qui nous veut faire croire, entre autres un Jean-Pierre Changeux (« L’homme neuronal »).
Il s’agit d’une erreur à la fois épistémologique et ontologique (cf. Bergson et Olivier Rey) : « La nécessité se prouve, tandis que la liberté s’éprouve ».
- Le suicide et le politique (au-delà de la simple politique de la santé) :
Y a-t-il des sociétés suicidogènes ? Si oui, la cause est-elle principalement de nature matérielle et économique ou symbolique/ »spirituelle » ? Emile Durkheim, le fondateur de la sociologie française (« Le suicide », publié en 1897) et Christian Baudelot et Roger Establet qui viennent de publier « Le suicide (l’envers de notre monde) » sont d’accord pour dire que la foi religieuse est un barrage efficace contre le suicide.
Mais lorsque Baudelot et Establet analysent la baisse du taux du suicide pendant les « trente glorieuses » ils attribuent cette baisse au progrès économique, matérielle durant cette période. Est-ce si évident ? Ces deux sociologues réputés ne sont-ils pas victimes d’une définition bien trop étroite
de la « religion ». Régis Debray (« Le feu sacré », « Pour en finir avec la religion », etc.) après bien d’autres, a mis en évidence l’existence de « religions laïques », comme la République, le Progrès, le Socialisme, le Fascisme, le Communisme, etc. Les religions au sens habituel du terme et les « religions laïques » remplissent la même fonction : elles sont pourvoyeuses d’espoir, dans un au-delà ou un ici-bas meilleur.
Le recul du taux de suicide pendant les « trente glorieuses » n’est-il pas dû avant tout à cette ouverture politico-religieuse vers un avenir meilleur, incarnée par les partis politiques et syndicats révolutionnaires, et non pas au bien-être économique et matérielle ?
Si l’accès à un au-delà meilleur est, chez nous, de plus en plus verrouillé depuis la »mort de Dieu », c’est l’ici-bas qui, en effet, doit rester ouvert à un avenir meilleur, qui doit rester ouvert à un espoir pour que la société ne devienne pas suicidogène.
Or, depuis une trentaine d’années, avec la chute du mur de Berlin, avec l’écroulement des « idéologies » (en fait des religions civiles) en général, c’est la fermeture de tout espoir qui l’emporte : « no future », « TINA » (« there is no alternative » de Mme Thatcher), les jeunes qui appellent la réalité sociale le « mammouth » (aussi invincible et massive que le pachyderme), le terrorisme de l’adaptation, « la fin de l’histoire » (Fukuyama), l’histoire vue comme un « processus sans sujet » (Althusser), l’ingénierie sociale, etc… Et le suicide des jeunes d’augmenter à nouveau…
Pour finir, quelques citations illustrant le rapport entre le suicide et le politique :
«L’énergie du désespoir, il nous appartient de la faire évoluer en énergie de révolte, réflexe de survie, en élan vital. »(Meunier/Tixier « Le grand blues »)
« Aussi longtemps qu’on peut attribuer la cause de ses propres malheurs à la société, on ne se suicide pas. » (Stanislas Tomkiewicz, in Agora 1990 n°14-15
« En tant que cet événement [le suicide, G.G.] nous arrive, nous sommes sommés d’y répondre. Nous nous trouvons en quelque sorte dans la position de Caïn interpellé par Dieu après qu’il a tué son frère Abel : « Caïn, qu’as-tu fait de ton frère ? » [cf. la trinité républicaine : »Liberté, Egalité, Fraternité », G.G.] Telle est la question qui nous assaille à la survenue d’un suicide : qu’avons-nous fait de lui, d’elle, plus généralement du monde humain que nous partageons pour que cet être fasse « le choix » de s’en aller définitivement et brutalement ? Car nous savons bien, par devers nous, que le suicidé, par son geste, nous adresse un message, quelque chose comme : »Ce monde est trop dur et trop sourd ».
En clair : le lieu de la pathologie n’est pas tant l’individu que la forme du commerce entre les hommes. C’est d’ailleurs bien ce que suggère Watzlawick lorsqu’il soutient dan son ouvrage « Une logique de la communication » que le souffre-douleur [d’une famille, d’une « cité », mondialisation, aujourd’hui, G.G.] ne l’est pas en raison de caractéristiques intrinsèques, mais bien en raison du système relationnel mis en place, lequel appelle en quelque sorte cette place et cette fonction. » (Hugues Poltier, « Penser la responsabilité collective à partir d’un point de vue éthique » in « Suicide (La fin d’un tabou ?) ».
Personnellement, j’ai bien souvent l’impression que ce sont les plus sensibles, les moins robotisés, les moins carapacés, les moins résignés et pour cela même les plus désespérés qui « disjonctent » en se réfugiant dans une « maladie mentale » pour se protéger ou en décidant de partir avant terme…Le robot ni se suicide ni devient fou, il tombe en panne et on le répare…(cf. le DSM IV, psychiatrie biologisante, Rhynatol, etc.)
13th février 2012 at 15 h 34 min
Gabriel says:
A une semaine d’intervalle il faut s’immerger dans deux sources de réflexion : »Qu’est- ce que se sentir vivant ? » puis » Qu’est-ce que le suicide ? » . Pour le profane qui a réussi , à partir de la séance d’ Alexandra , à cerner quelques idées lui permettant d’affirmer qu’il se sent vivant, il faut qu’il se mette en condition pour dire , et maintenant » qu’est -ce que ne plus vouloir se sentir vivant? « . En une semaine c’est une tâche inhumaine !
Quand la question de Mr Antoine Spire est arrivée j’étais dans la lecture de la biographie par Valérie Rouzeau de la biographie de la poétesse Sylvia Plath, suicide à 30 ans et tentative à 20 ans….Un blog renseigne aussi sur elle ( faire « eclats de verre/sylvia plath) . On ressent les tiraillements de cette femme entre des pôles extrêmes sur plusieurs plans…..Mais l’expression » totalement déterminé, totalement libre » utlisée par A. Spire pour parler du suicide demande ,pour être comprise, quelques approfondissements , car c’est la seule idée philosophique à retenir a-t-il ajouté . Je creuse, je creuse…….
13th février 2012 at 8 h 03 min
Elke says:
Ce qui me reste du dimanche: l’insistance d’A. Spire sur le fait que le suicide est entièrement libre et 100% déterminé. Là ou je n’ai pas pu le suivre, c’est sur la notion de « droit » aux suicide qui aurait pu faire évoquer les cas de suicide assisté, pratique possible dans certains pays d’Europe. Le concept du « droit » est difficile à cerner et peut devenir un outil de la perversion. Le droit au logement, par exemple, est déposé dans notre constitution, mais l’accès au logement est toujours aussi difficile. Nommer le droit, cela ne veut rien dire sur une réalité. Je fais ou je ne fais pas, c’est l’acte qui fait la différence. Et « ce » qui entoure « l’acte » prend acte, regarde, réagit, ne fait rien ou emêche l’acte d’aller jusqu’au bout …. La question du suicide interroge finalement le regard que nous posons sur l’autre, notre voisin. Un regard indifférent, concerné, intrusif, attentif…. Mais aussi le regard que nous portons sur nous-même. Ce dialogue sujet/objet évoqué plus haut est fort intéressant à considérer. Pouvoir « se voir » et « être vu » se confond quelque part. Et ne plus pouvoir se voir, cela pousse vers l’acte fatal…. avec, peut-être, l’ultime espoir de se (re)trouver dans un regard qui sauve. Un témoignage a bien mis en relief cet aspect là.
13th février 2012 at 8 h 41 min
Gilles Roca says:
Le suicide, Le droit Au suicide, ____Antoine Spire,
La représentation, issue, d’un monde’ Absent, dans La question du sens’, du temps, passé, présent, de L’existence, futur(e)’, À-Venir, redouté(e), Appréhendé(e),
négative … Voire, dépréciée … une Vision, d’Altération, déterminée,
du « froid » … de L’existence’ … insupporté(e),
La rupture … du Lien, social, de La courroie, de transmission,
défaut / excès d’intégration, Voire, de régulation, de nature … culture … mortelle … pulsion, Lâcheté / courage … manque de courage … mettre fin À une souffrance …
quand Lâche … La résistance’,
se resserre … L’étau, et se referme La … porte’ouverte … du temps,
et de quelque bonheur, et dont’ il n’est plus temps …
Appel À L’Aide’, ou Au secours, ou pas’, Acte … de désespoir,
c’est’ un’ Acte … de Libre … détermination, Voire …
même’ un droit qui deviendrait’ un devoir,
pour qui réfléchit … dans Le miroir …
de La question, sa réflexion, impasse … réfléchie, défaillance … de Vie, d’intensité, de Vie …
dernier Levier’ … en main(s), effaçant Le … demain … Le suicide … Vécu,
Le suicide … Vaincu …
Lors, À sa mère’, Assassinée, par Les nazis, qui Lui écrit : Vassili, Vis ! Vis ! Vis !,
Vassili Grossmann répond : « Je ne crains rien, parce que ton’ Amour est’ Avec moi,
et parce que mon’ Amour est’ Avec toi,
pour L’éternité », rapporté par Tzvetan’ Todorov’, Mémoire du mal, Tentation du bien … mal, ou bien …
Le suicide … Lucide’, À-Vide … plénitude’-
Attitude, … ______Gilles Roca,
Cas-fée-Philo des Nés-Nus-Phares, 12-2-2012’, en ces-jours de Pluviôse’,
et du droit Au suicide … Libre … déterminé … phare’,
et qu’on’ en découse’, … ose !, G R
13th février 2012 at 15 h 25 min
sylvain says:
En faisant des recherches, je tombe sur votre discussion. Et il me prend l’envie d’orienter ceux qui le veulent vers mon blog dédié à Hamlet (http://horatio.hautetfort.com) car j’y développe la thèse du suicide du héros et comme ressort de l’action la volonté matricide du personnage – suicide et matricide dans ce cas précis sont deux choses extrêmement liées l’une à l’autre. J’essaie, en ce moment, de formaliser ma pensée sous forme d’un essai: Hamlet ou le meurtre de la mère. Ce n’est pas simple de synthétiser, de ne pas m’éparpiller, et de faire le tri dans les bêtises que je peux moi-même écrire… On s’y retrouve quand même. Amicalement. Sylvain
P.S. Je suis déjà l’auteur d’une pièce de théâtre: Chez Yaughan (une ré-écriture du Hamlet auto-éditée) et je viens d’écrire Horatio (une suite au Hamlet qui cherche son éditeur)
13th février 2012 at 17 h 04 min