Débat du 22 Avril 2012: « Peut-on se comprendre ? « , animé par Emmanuel Mousset.
Alors que dans le noir de la nuit de samedi il était impossible de s’offrir la nouvelle lune mais l’on pouvait bénéficier par contre, en raison de cette occurrence, du passage aussi éblouissant que spectaculaire des Lyrides, une théorie d’étoiles filantes dont la beauté féerique suppléait au silence Radio ainsi qu’à la cécité Télévisuelle destinés à laisser, depuis minuit, quelques heures de réflexion aux citoyens qui, au cours du premier tour des élections Présidentielles prévues pour le dimanche 22 Avril devaient sortir de leur réserve et aller rejoindre l’isoloir pour désigner leur candidat préféré, Emmanuel Mousset entreprit de proposer au public, assemblé dans le Café des Phares®, le sujet choisi ce même jour, « Peut-on se comprendre ? », pour qu’il en débatte.
Notre pensée se trouvant en permanence face à l’insaisissable, constitué par le mystère des origines et de notre raison d’être, comme habituellement, nous avons procédé par recours au « couper » et « copier » / « coller ». Considérant pourtant qu’il y a néanmoins de la raison dans chaque intervention, mettons la vérité sous le boisseau et voyons ce que chacun nous a approximativement dit. Comprendre c’est :
« ‘Piger’ ; ‘se mettre avec…’ ; ‘…moins difficile que se s’en expliquer soi-même’ ; ‘ce qui se conçoit bien (et) s’énonce clairement (Boileau)’ ; ‘un raccourci entre le mental et l’affect, car on comprend si l’on accepte, par politesse ou n’importe quelle autre raison, or, en a-t-on la capacité ?’ ; ‘De Gaulle qui affirme ‘je vous ai compris’ ; ‘partager avec l’autre’ ; ‘…si l’on se comprend soi-même’ ; ‘estimer quelles sont les clés de la compréhension, au-delà du connais-toi, toi-même, ou de la banalité du mal ’ ; ‘avoir l’intention d’être avec l’autre, totalement différent’ ; ‘une façon de se mettre d’accord avec l’autre, soit faisant appel à la raison, méthode Descartes, ou cherchant à le connaître’ ; ‘comprendre sans accepter forcément’ ; ‘la vie qui n’est pas qu’une rencontre’ ; ‘avoir quelque chose à partager’ ; ‘saisir quelque chose d’incompréhensible’ ; ‘avoir conscience de soi’ ; ‘éprouver de l’empathie’ ; ‘se porter sur l’altérité’ ; puisque ‘les hommes ne comprennent pas bien les femmes, alors que quelque chose les englobe et dépasse’ ; prendre conscience que, ‘basée sur la violence, la société est une guerre pacifique’. Comprendre serait ‘fusion, harmonie, etc.’, ‘accepter que des trains arrivent plus ou moins en retard’, et que ‘le langage puisse être un obstacle’ ; ‘ça renvoie à l’incommensurable problème du ‘soi’ qui se comprend ou ne se comprend pas’, un processus non fixé dans le temps’. La compréhension serait accessible au savoir et aux capacités sensorielles, à l’émetteur/récepteur, aux blocages, une ouverture à d’autres’, ainsi qu’à l’humilité et à la curiosité, ; un ‘retour au patriotique (pathos), à la compassion ou à la patience qui permet de faire un pont avec l’autre’, voire aux ‘difficultés liées à la langue maternelle’, ‘le différent se portant surtout sur l’économie’, ‘les codes qui, faisant partie de l’expérience, agissent sur la vie’, ‘ce qui se passe entre deux ‘ego’’, ‘les blocages terrorisants’ alors que ‘le voyage aide à sortir du sérail’, l’ ‘l’ONU devenant une autre tour de Babel’ ; Etc..
Gilles a ajouté que « ‘Je’ est un autre ; que le plus vrai c’est l’autre, solitaire/solidaire, pour se prendre en main et vivre ensemble ».
Voilà, voilà…
Peut-être parce que je suis un post-Babélien, personnellement, j’ai le sentiment que non. En effet, tout ce que la science laisse derrière la pensée, les intuitions et les sentiments, sans en maîtriser vraiment les tenants et aboutissants, tels que le doute sur les origines ainsi que la raison d’être et une réflexion sur les problématiques de l’imagination, signification, invention, sens ou finalité, s’avérant elles-mêmes peu fructueuses, parce que mettant notre pensée en permanence devant l’insaisissable, je suppose que l’on ne peut pas se comprendre et qu’il est à espérer que ce soit ainsi, tellement le déconcertant est bénéfique. L’existence étant inventée aussi bien par des tas de mots polysémiques, pas faciles à interpréter, qu’investie par une somme d’instants qui ne coïncident point, je crois que l’on ne peut pas se saisir aisément de l’autre, et que cela est souhaitable, malgré tous les efforts que l’on fait pour que ce ne soit pas comme ça. Par contre, à mon avis, on peut très bien éviter cette maladie du corps qu’est le malentendu, pour s’entendre, car l’existence est inventée par ces mêmes mots et que n’importe qui devient à terme ce qu’il est, une altérité que préconisait Pindare déjà (« deviens ce que tu es »), ou le « tout autre » suggéré par Emmanuel Lévinas.
Pour conclure, je ne résiste pas à vous raconter cette histoire d’émigrants dont l’un s’adresse au guichet de la Banque afin de toucher un chèque :
- Il vous faut l’endosser, dit l’employé.
- Non, on m’a dit que je n’avait rien à faire, juste à empocher l’argent.
- Pas de problème ; vous signez derrière et vous l’aurez.
- Non, non, non. Vous voulez…
- Ecoutez ! Allez voir ça avec mon chef dans le bureau à côté.
Le gars y va, essuie le même refus et, excédé, le chef le cogne avec un cendrier sur la tête, lui ordonnant :
- Mettez là votre nom et basta !!!
- Ok, Ok !!!
Il obtempère, reçoit son dû et, croisant à la sortie un compatriote qui allait encaisser aussi son chèque, lui dit :
- Tiens, un conseil ! Ne va pas au guichet. Va voir le chef directement ; il explique beaucoup mieux !
Carlos
Débat du 15 Avril 2012: « Qu’est-ce qu’un mariage ? », animé par Eric Zernick.
Sous le signe du Bélier, on se met en boule et tout tourne à la dispute. En effet, les caractères principaux de ce tronçon du Zodiaque sont l’excès de volonté, la provocation, le jusqu’auboutisme, le « Tout, tout de suite sinon je fais un malheur », c’est-à-dire, l’esprit d’incompréhension des casse-cou. C’est certainement le motif pour lequel, le 15 Avril, alors que plus de 400 chiens et chats débarquaient à Paris, dans un même espace (Champerret), pour le Salon des Animaux de Compagnie, le meeting électoral de Sarkozy avait lieu à la Concorde, tandis que celui de son adversaire, Hollande, se déroulait à quatorze stations de Métro plus loin, au Château de Vincennes, l’exemple des 40.000 coureurs qui partaient ensemble de l’arc du Triomphe pour couvrir le long des rues de la capitale les 42,195 km du 36ème Marathon de la ville n’insufflant dans leur esprit que la culture de la « gagne », inscrite dans l’ADN de chacun. D’après le calendrier Maison, au Café des Phares®, c’était Eric Zernick à qui, comme s’il s’agissait d’apaisantes hosties, revenait la charge de distribuer la parole pendant le débat, « Qu’est-ce qu’un mariage ? » et l’animer pendant le temps réglementaire.
Mélangeant ethnologie, anthropologie et sociologie, nous avons obtenu un pot-pourri aussi exotique que déshydraté, dénudé de surcroît de toute capacité d’émouvoir :
« A partir de la liaison amoureuse, bien différente du mariage, on a constaté la différence de traitement (Madame ou Mademoiselle) afin de respecter les normes sociétales qui auraient commencé avec la civilisation Mésopotamienne, faute de quoi on serait menacé d’enfer par les religieux soucieux de consolider une liaison ou engagement, alors que le mariage serait plus que ça et imposerait des obligations réciproques aux contractants, d’après Kant un usage exclusif des parties sexuelles en vue d’avoir des enfants. Puis, nous sommes partis sur le mariage d’intérêt, la prise de risque, l’engagement pour la vie, le fait juridique, le lien de sang entre deux générations successives équivalant à une blessure, comme le voyait Garcia Lorca, l’idée de ‘noce’ ayant disparu, à l’avantage d’autres dénominations, telles que le concubinage ou l’Union Libre (un oxymore), sur lesquels aussi bien Nietzsche que Sartre ont beaucoup écrit.
Ensuite, nous avons rebondi sur la ‘fusion’ assemblage de deux solitudes par Contrat, le contraire d’un Engagement, le mariage étant dès lors un acte commercial avec prise de risque sur une longue durée, du fait d’être établi entre deux êtres qui, ne se connaissant pas, assument une filiation, puis on a essayé de traduire le mot dans d’autres langues et même de faire le calcul du temps à passer ensemble en raison de l’accroissement de l’espérance de vie, enfin un tel mélange d’intérêts, qu’il paraît pure folie de se soumettre à un semblable saut dans l’inconnu, à moins qu’il ne s’agisse d’une protection en vue de la vieillesse, voire un contrat CDI transformé en CDD, Charles Péguy jugeant ‘qu’il faut plus de courage pour rentrer chez soi le soir que pour partir à la guerre’. L’animateur ayant conclut qu’une telle Institution tend à disparaître, en raison de son caractère irréversible et parce qu’elle se trouve au carrefour de différents aspects dont le fait que ‘l’Homme est nomade et la femme sédentaire’, n’est pas le moins négligeable’ ».
Gilles nous a alors gratifié de quelques vers tels que : « D’une liaison au lit,/ durable union d’Homme-Femme en société/ Noce, union qui doit tenir une passion qui ne tient pas/ Mâle a dit le docteur/ Mariage, acte de commerce, promesse femme et ‘marri’/ Projet de vie/ Passer de deux à trois/En fait confiance, en fait méfiance/Famille, je vous hais/ Mariage qui tue, amour qui beugle ».
A part ça, l’amitié étant sous-jacente à tout vivre ensemble, comme origine lexicale de l’union de deux êtres, un mâle et une femelle, à l’élaboration de laquelle ils ne prenaient aucune part, si l’on cherche bien, on trouve dans la mythologie grecque le Mariage, personnifié par Hyménée, chanteur de l’hymne nuptial et affublé d’un flambeau qui lui aurait servi d’arme pour libérer des jeunes vierges attaquées par des pirates. A partir de là, la tradition fait qu’un père marie sa fille à un homme, une action passive qui permet le transfert de la tutelle de lui vers le fiancé, l’amour n’entrant nullement en ligne de compte comme ciment d’une union qui peut être réalisée même « post-mortem ».
De « mas-maris » (le mâle) en latin, Mariage veux dire donc que la protection passe d’un géniteur au futur époux, et que « maritare » ayant le sens de « donner en épousailles », c’est-à-dire, pratiquer des « hyménée, accordailles, alliances », signifie une action passive certes, mais opérante, comme s’il s’agissait d’accorder deux couleurs, ou allier même la vigne avec l’ormeau. Fondant la spécificité hétérosexuelle du mariage, cadre inévitable de la société, c’est de famille donc qu’il s’agit lorsque l’on déblatère sur ce type d’alliance et dès lors, nos représentations puis nos propos à ce sujet deviennent de douteuses redondances, puisque hors mariage, ou toute autre institution primitive du même type, la lignée (ou lien de sang), c’est-à-dire, la famille, disparaîtrait et on jetterait objectivement le bébé avec l’eau du bain.
En effet, à la base d’un système de parenté basé sur la famille on trouve, par le biais du Mariage, une structure autonome composée d’un mari, d’une femme et de leurs enfants, puis des neveux, des cousins, des oncles, des tantes et des grands parents qui, tenant compte des relations entretenues les uns avec les autres, aboutissent à l’unité minimale de parenté ou lien fondamental dans la charpente du genre humain que l’on appelle civilisation, tandis que l’incohérence du « Mariage », dit « gay » (dont il est question dans la planète homo), apparaît, en raison de la moirure obtenue à force de gloser vainement, comme une singerie incongrue qui ruine ces structures, avant même d’être. Si l’on se reporte aux années post soixante-huitardes, c’est assez cocasse d’observer que le Fhar (Front homosexuel d’action révolutionnaire) contestait le pouvoir patriarcal consacré par le « Mariage hétéro », y voyant un Code Moral passablement suranné, la bête à abattre étant ce conformisme bourgeois anti-libertaire. Moralité : la société est un artifice et, ironie de l’Histoire, aujourd’hui ce sont ces mêmes « homos » qui revendiquent ce constant lien conjugal ; « lorsque l’on se repend on devient presque innocent », dit Sénèque.
Autre chose :
-…Et pourquoi voulez-vous divorcer ?, demandait un juge à une femme :
- Pour compatibilité d’intérêts !
- Comment ça, compatibilité ?
- Moi, j’aime la promenade, la lecture, le cinéma, les hommes…
- Et alors ?
- Mon mari aussi.
Carlos
Débat du 8 Avril 2012: « Réflexions autour de Kandinsky », animé par Claire-Lise Boutinon-Dumas.
Ah, le débat du Café des Phares® ! Il tombait le 8, jour de Pâques. Ah, le Jour de Pâques ! Il s’agit d’une date festive, qui conditionne pratiquement la vie civile de tout un chacun dans nos contrées, et pourtant, son calcul n’est pas aisé ; il faut remonter à la pleine lune de Mars, date de l’équinoxe de Printemps ou immédiatement après, selon les Almanachs, pour que l’on sache quand est-ce que les adultes ont droit à la bénédiction « urbi et orbi » et les enfants à celui de chercher des œufs dans les pelouses ou le creux des arbres. Il se trouve qu’au vu du Règlement du Bataillon des Phares, le 8 correspondait par ailleurs à la case verte, destinée aux Variétés, dont font partie les œuvres d’art, et de ce fait nous avons été embarqués dans des « Réflexions autour de Kandinsky », que Claire-Lise Boutinon-Dumas (conférencier, chargée de relations publiques auprès des comités d’entreprise, chef de projets et historienne de l’art), s’était proposée de susciter.
C’est ainsi qu’arrivant au Phares, nous nous sommes trouvés devant un drap plissé accroché de guingois devant l’écran TV du fond de la salle, sur les plis duquel l’animatrice a projeté une série de toiles du maître, objet de notre recherche de sens et même d’une certaine spiritualité.
Il s’agissait de « Bleu sur Bleu », mais ça pouvait très bien être « Blanc sur Blanc », ou « Noir sur Noir », si notre intérêt portait sur Malevitch ou Rodchenko… Enfin, toutes les couleurs du spectre, de la peinture pure (non objective), comme il fut expérimenté par le suprématisme russe dès 1915, ou, pourquoi pas « Draps de traviole sur télé éteinte », « Poubelle débordante, un jour d’hiver », « Plaie de mendiant sur le trottoir », etc. ; « Osez, osez, Joséphine… ».
Etant donné que l’activité dominicale à laquelle nous nous dédions fait davantage appel à notre insatiable logomachie appliquée au malaxage des concepts, je m’attendais plutôt à quelque chose comme une spéculation sur la « Musica callada » de Saint Jean de la Croix, par exemple, mais enfin, allons y donc les yeux ouverts et glosons autour de l’œuvre du russe, qui devint enseignant dès 1923 au Bauhaus (Allemagne), école fermée par les nazis en 1933 parce que considérée comme un « Forum de fous et de Charlatans », et fonda l’art abstrait inspiré des titres de musique, dont la première œuvre, « Composition IV » (1911) était influencée par l’essai « Abstraktion und Einfühlung » d’un jeune historien de l’art, Wilhelm Worringer (1907), se faisant dès lors remarquer par ses motifs simples faits de tâches bleues organisées à l’aide de lignes noires (ligne, point, ligne et point), pratique que le groupe des « Blauer Reiter » (Jawlinsky, Kandinsky, Klee et Feininger) poursuivit, s’arrogeant le droit de tout oser dans le domaine de la création artistique, considérée comme une puissance dont le but serait de « développer et améliorer l’âme humaine », d’après la maxime « tous les procédés sont sacrés, si intérieurement nécessaires, sinon, ce sont des pêchés ». Ces initiatives ont été suivies de la « Composition V », qui a provoqué un véritable scandale, ce qui aurait pu nous amener à nous demander « Qu’est-ce que l’art ? », « Qu’est-ce que le beau ? », mais, hélas, on ne l’a pas fait, la discussion qui eut lieu ensuite s’étant déroulée donc sous le contrôle de notre émérite communicante, et prenant la tournure que l’on trouve ci-dessous :
« Hegel : ‘la philo abstraite, jamais !’ », « Par rapport à la science, il faut évoquer le concept de ‘Kairos’ (le moment), ‘nombre d’or’, etc. », « Il fallait en sortir de la boucherie de la première guerre mondiale », « Il s’agissait de représenter quelque chose de différent », « Son livre ‘La Perspective’, exprime un temps particulier de l’art abstrait », « Il a compris, regardant ses tableaux à l’envers », « Ça ressemble au ‘Test de Rorschach’, utilisé en psychanalyse », « Il s’agit d’une représentation d’un monde intérieur », « Quel rapport avec Michel Ange et la beauté ? », « On est toujours dans l’art, l’art thérapeutique ou l’art abscons », « Je ne peux pas accéder à un tel Art, si l’on ne m’explique pas », « Il s’agit d’une autre manière de regarder »,
« Il ne faut pas se poser des questions sur l’intention du peintre, mais regarder tout simplement et se faire une opinion personnelle », « On est plus ou moins sensible au jaune, au rouge, etc. et à la beauté ; alors, qu’est-ce que l’art ? Abstrait ou figuratif », « Au café philo on s’explique ; l’art moderne n’est pas représentation, c’est une présence, présence du sacré sans se mettre à genoux ; il touche avant de se donner à comprendre », « L’Art abstrait est l’art de faire du fric ! », « Dans l’art abstrait, le peintre est devenu lui-même son objet », « J’ai besoin de comprendre pour apprécier », « Il y a là un paradoxe. Pourquoi faut-il comprendre la beauté ? Faudrait-il me mettre en condition pour apprécier ? », « On est dans deux écoles différentes : suprématisme et interaction (présence de l’autre) ». Comment débroussailler l’art figuratif ; « L’art abstrait étant celui qui n’est pas figuratif, l’abstrait est du moderne, du XV/XVI siècles au XXème (art moderne), et le reste est de l’art contemporain ».
« Je préfère, ajouta quelqu’un, rester dans l’abstraction et pas dans l’extraction (l’absence) ; Art, Artiste, Artisan, Artificier, tout ça sont des représentations qui permettent d’ouvrir la fermeture au ‘perceveur’. Dans l’ouverture il y a présence de ce qui reste de l’artiste et c’est par là que l’on communique avec lui, à propos du monde imaginaire de celui qui perçoit, dans la veine de Parménide ; ‘ce qui est, est ; ce qui n’est pas, n’est pas’». « Avant 1789, fut-il ajouté, on était artiste ; depuis l’artiste contemporain est passé au ‘moi’, délaissant son côté universel », « Art et Philo, livrant le même combat, puisque chaque auteur devient Créateur, une posture existentielle ».
Puis, arriva la question pratique : « De quelle manière aborder une œuvre ? Je me fais une idée, ça me parle, ça s’adresse à moi, ça me donne des ouvertures, puis il y a sa musique, son esthétique, et ça induit une fulgurance; la façon d’aborder une œuvre n’est pas si éloignée de ça », en d’autres mots, « l’œuvre porte l’idée comme l’idée porte l’œuvre », de même que pour « les ‘rose-croix’, cercle ésotérique où il faut, soit être saisi, soit porter l’idée » ; « ou tout ça à la fois, plus une présence », puisque « le processus créateur de l’artiste, tel que l’entend Paul Klee, ressemble à celui d’un démiurge, un ‘credo du créateur’, la genèse en tant que mouvement constituant l’essentiel de l’œuvre », car « nous cherchons tous la même chose ». C’est ainsi que, « procurant l’élément fondamental à mettre en avant, on a trouvé : 1) l’émotion qui nous secoue, devant le spectacle qui se déroule devant nos yeux, puis 2) elle nous invite à agir, mais perd son effet au profit de la photo-couleur, jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de peintre ». A ce moment, « la peinture abstraite nous a apporté un plus, car la couleur est un langage, comme dit Paolo Uccello ». Dans la crise de la représentation, nous sommes « revenus à la question de la présence, ‘parousia’ en théologie, un silence porteur de voix (ça nous parle), un vrai travail de ‘déconstatation’, ou la vérité de l’art porteur de voix », « une présence de l’œuvre, correspondance entre elle et moi, du fait d’en être saisi », et que « c’est poétiquement que l’Homme habite le monde, la vie étant elle-même une œuvre d’art ».
Là, il fut remarqué que « l’art a besoin de l’éducation de notre regard ; qu’il faut donc s’y confronter, afin de l’assimiler, avant de pouvoir juger d’une œuvre… car c’est le langage de l’artiste qui nous amène à la comprendre ».
Puis, Gilles mit fin à la mise en scène, clamant : « Et… toile, Kandinsky, sacré prince du présent… ; silence des voix, transcendance des voix ! », incantation qui, en guise de conclusion du débat, fut suivie de l’engagement à, sans s’attarder au tableau, faire vivre l’expérience esthétique, laissant tomber même les livres de philo.
-Tiens, toi, qui te dis connaisseur en art. Dis-moi le nom d’un peintre Russe qui commence par K et finit par N…
– Bah… Je ne vois pas.
– Kandinsky, petit con !
Carlos
Débat du premier Avril 2012 : « Quel sens donner au silence ? », animé par Irène Herpe-Litvin.
Le premier Avril fut, cette année de 2012, le jour de tous les anachronismes : Dimanche des rameaux, parce que, chevauchant un simple âne lors de sa rentrée à Jérusalem, le Christ fut reçu comme un roi, des branches de palmes jonchant le sol, et Dimanche des fous, c’est-à-dire, de ceux qui n’acceptent pas la réalité ou la voient autrement, en raison des farces, boutades, menteries et jeux frivoles auxquels le peuple se livre, le Poisson d’Avril en étant une des représentations emblématiques depuis 1564, date à laquelle Charles IX a décidé, par décret, de faire débuter l’année le premier Janvier au lieu de ce jour-là, que la tradition voulait accompagné de bombance et de ripailles. Quoiqu’il en soit, Irène Herpe-Litvin n’a pas hésité à faire de l’éphéméride ce dont elle était chargée, c’est-à-dire, diriger au Café des Phares® le sujet du jour, qui n’était rien d’autre que « Quel sens donner au silence ? », poiscaille dont fut aleviné donc l’étang des Phares.
Très vite, il est devenu clair qu’il ne s’agissait pas du silence des pêcheurs à la ligne, auquel cas il serait nécessaire de prendre un fil correspondant à la grosseur du poisson, un bouchon, des plombs et des hameçons. Non. Le silence à aiguiller devait s’entendre par le calme absolu, dont le paradigme pourrait être, par exemple, « Des pas sur la neige », de Debussy, composition où l’on trouve quelques durées muettes mêlées à ses mesures ou, mieux encore, un morceau de John Cage, intitulé « 4’33’’», une sonate composée de quatre minutes et trente trois secondes de silence, créée par le musicien en 1952, afin de démontrer que le temps constitue une continuelle mélodie et que seule l’absence de sons est intentionnelle, signifiante donc, plus qu’acoustique, les notes ou silences d’une séquence musicale ayant des temps réguliers et constants, exprimés par la notation à l’aide de symboles qui en représentent le moment temporel dans la partition.
Nous sommes ainsi contraints d’admettre que, brisant le silence, dans l’art d’organiser la durée des bruits et d’en combiner les sons pour qu’il y ait de la musique (un sens donc), s’introduit nécessairement un instant muet entre les signes qui les évoquent, et par conséquent pourrait-on peut-être conclure que c’est la néantisation qui permet la création. Dans la portée, ou découpage temporel d’une séquence musicale, entre une note et une autre (un do et un ré, par exemple), il y a effectivement un intervalle, mais pas rien, puisque même un silence musical n’est pas le vide, et plutôt un plein, explicitement marqué par le soupir, un signe de pause de différentes durées.
Ou alors, il n’était pas du tout question de musique et nous nous trouvions plutôt enveloppés dans ce dont nous voulions nous recouvrir, c’est-à-dire, des rideaux de fumée comme dans la scène de théâtre, séquence du film « Mulholland Drive », de David Lynch, où Rebekah del Rio chante « Llorando » et s’évanouit carrément sur scène dans le club « Silencio », alors que la chanson se poursuit. Le plaisir, en effet, ne dure qu’un instant. Or, au Café des Phares, ce sont presque deux heures chaque dimanche à s’échanger des propos plus ou moins pertinents, voire approximatifs. Ça paye, par conséquent.
En avant donc la musique, sans changer la partition, l’important étant plus de connaître la chanson que d’avoir l’oreille musicale.
Il a été alors dit que « le sujet justifiait le dicton ‘ la parole est d’argent, le silence est d’or’», et qu’il « fallait pouvoir parler pour être silencieux », un prof faisant état de « son admiration pour le silence de ses élèves, et ‘à contrario’ pour celui des gens devant la ‘shoah’ », « un silence facile, ajouta quelqu’un d’autre, face à celui d’un arbre qui bruit de ses feuilles », « les cas de conscience », « l’hommage du corps à l’esprit », « une énergie zéro lorsqu’il s’agit du silence face aux horreurs du Rwanda, par exemple », alors que « l’on peut l’utiliser pour faire mal ou pas », « être positif au cours de la campagne contre le bruit, et négatif lorsque l’on sème la mort », car « qui ne dit mot consent », « le silence ayant toutefois quelque chose d’autre, d’assourdissant, le ‘taire’ nous disant les mots qui n’arrivent pas, parce que secrètement contenus dans la parole, ou exprimés par la musique, ‘temporalité pure’ », « le silence violent dans les relations familiales », en même temps que « quête de liberté », « de responsabilité », « d’hommage dans ‘la minute de silence’ », « silence glacial devant la mort », « les techniques tibétaines pour faire le silence autour de soi », « le yoga », « le silence cosmique qui demande une oreille avertie pour remettre tout à sa juste valeur », un illusionniste étant aussi de la partie, pour « donner deux règles permettant d’arriver à ses fins : 1) garder le silence, 2) se taire lorsqu’il faut le rompre », et « il est à se demander si le silence existe vraiment », si ce n’est que « dans les Musées, comme ce fut le cas d’une femme qui, extasiée devant ‘l’Annonciation à Marie’, de Fra Angelico, a laissé tomber son bébé », puis on revint « à la burqa, qui empêche les femmes de parler », un autre ajoutant « si elles parlaient ce serait pire », « le mot recueillement n’ayant jamais été prononcé », comme il fut remarqué.
Gilles, notre poète, a fait entendre la musicalité de ses vers : « … nature, culture, attitudes s’opposant au bruit social, silence assourdissant, silence de mort : ‘silence, on tourne, moteur, action’ ».
- Dis donc, « quel sens peut-on donner au silence ? »
– Le sens des aiguilles d’une montre, par exemple.
– Bah !! Pourquoi faire ?
– Pour savoir à quelle heure on peut ouvrir sa gueule.
Carlos