7 Février 2011. En Chine l’Année du Lapin venait de démarrer. Au Caire, sur la place Al Tahir des milliers de manifestants continuaient d’exiger le départ de leur Président. Et au Café des Phares, cherchant de la matière à réflexion, l’animateur Daniel Ramirez a choisi un tunnel verbal pour le faire : « Je fais cas d’un philosophe dans la mesure où il est capable de fournir un exemple ». Point ! Nous étions prévenus que le laïus était de Nietzsche, donc de bonne trempe, car il n’y a pas d’absurdité qui n’ait été soutenue par quelque philosophe, comme le répétait Cicéron. Pourtant, avant de débriefer la colle qui nous était donnée, je précise pour mémoire que Nietzsche est ce philosophe à grosses moustaches et sourcils de père fouettard, solitaire et sujet à des crises de démence, qui se morfondait dans la Riviera Italienne, suite au départ de son égérie Lou Andréas-Salomé. Néanmoins, il était d’un fécond autant qu’envoûtant lyrisme astucieusement mis à profit dans sa critique de la culture occidentale ainsi que de ses valeurs morales (assimilées à un bestial mécanisme), essayant néanmoins de réévaluer ces forces vitales les insérant dans un « éternel retour » qui tendrait vers le bonheur bovin du « surhomme » et l’inéluctable « mort de Dieu » dans un monde dépourvu de sens ultime, dès que l’on part du principe que « toute valeur créée, c’est moi », autrement dit, la fatalité de son être fait partie de la fatalité de Tout.
En définitif, pour revenir à « l’exemple » de notre sujet, ou bien Nietzsche s’est appuyé sur une bévue ou il voulait parler d’autre chose. Il s’avère que devant la nécessité d’échafauder une réponse sans savoir d’où sortait la question ni de quel modèle il s’agissait, un tel rébus à déchiffrer, nous a rappelé le type classique de ces débats balourds bâtis sur des malentendus où chacun peut vider son sac sans se soucier de Saussure, c’est-à-dire, que le signe soit signifiant, la première urgence étant en l’occurrence d’éclaircir ce que c’est qu’« un exemple » ! Ah, ça, par exemple, pour un exemple c’était un exemple. Mais un exemple ne fait pas d’habitude un philosophe ; un mathématicien, peut-être, et c’est là que nous sommes passés allègrement de la philosophie à la science et aux suffisantes flâneries des philistins de la connaissance exacte. Tant pis ; on en a vu d’autres.
Sans exemple qui facilitât la compréhension de la démonstration pour en tirer une conclusion, l’animateur y a soupçonné en conséquence un chemin entre la métaphysique et l’éthique, insistant donc pour que le débat ait lieu malgré tout et il ne nous restait plus qu’à deviner ce que le fameux aphoriste a voulu dire ; alors, faute de grives, pour régler l’affaire, on improvisa des exemples savants, agencés sur des doctes quiproquo. C’est ainsi qu’à un certain moment quelqu’un m’a confié que l’on se croirait au Salon des Verdurin (truffant d’exemples « La Recherche du Temps Perdu » où Charles officiait comme « Maître du Logos »), autant de références à l’œuvre de Nietzsche d’où il ressort que la vie est limitée par notre propre contention, et j’ai compris donc que c’est dans la liberté de pouvoir choisir sa fin que la vie prend toute sa valeur, l’« exemple » en question étant sans doute l’immolation et qu’oscillant entre présence et absence, le singulier penseur éternellement insatisfait fit mourir Dieu, ce qui le dispensait de l’idée de supprimer sa propre vie. A vrai dire, les exemples se recoupant les uns les autres, la seule chance de pouvoir sortir de soi, de se décentrer, de s’arracher à soi-même est de se mettre à l’écoute de son existence ; l’imagination ne cesse pas de nous tromper car le désir s’accroît avec la difficulté des rencontres. Au bout du compte, la mauvaise foi de Nietzsche met le philosophe dont il fait cas, au défi de devenir autre chose que lui, si l’on suit Sartre lorsqu’il affirme que « l’Homme n’est pas ce qu’il est et est ce qu’il n’est pas »
Carlos Gravito